Ils sont dans l’imaginaire populaire l’image même de la respectabilité, gardiens des secrets de familles et scribes des héritages et autres actes de transmission de patrimoine. C’est aussi une profession qui veille jalousement à protéger ses intérêts, quitte à flirter parfois avec les limites de l'éthique et du droit dont ils sont pourtant très officiellement des représentants.
Qui, parmi tous les professionnels auquel vous pouvez faire appel, connait le mieux votre vie ? Certains seraient tentés de répondre le médecin ou le psychologue ; les catholiques pourraient penser au prêtre et à la confession. Mais en réalité, celui qui connait le plus les aléas de votre vie et peut faire l’inventaire matériel et professionnel de votre séjour terrestre, c’est bien votre notaire. Entre secrets de famille et conflits d’héritage, ceux-ci voient passer par leurs officines toutes les facettes de la comédie humaine. Au passage, ils voient aussi transiter par leurs comptes de quantités d’argent parfois phénoménales : 600 milliards d’euros à l'année en France pour 6,5 milliards de chiffre d’affaires (50% sont liés à l’immobilier). Il est vrai qu’en droit latin, le notaire dispose d’un monopole sur la réalisation des actes authentiques. Mais ce droit exclusif ne le met pas à l’abri des erreurs.
Errare humanum est…
Chez les notaires comme partout, il y a des gens plus ou moins compétents et rigoureux. Mais quel notaire n’a jamais perdu un papier ou un document ? L’erreur est toujours possible et Olivier, comme le racontent nos confrères du Point dans une enquête intitulée "Enquête sur les secrets bien gardés des notaires", publiée en novembre 2010, en a fait les frais lors de son premier achat. Rien de bien grave en apparence : un certificat manquant concernant les termites. Sauf qu’au moment d’emménager, Olivier découvre que son appartement va être démoli avec le reste de l’immeuble précisément en raison des termites… Une erreur aussi grossière se règle généralement vite, à condition toutefois de retrouver le vendeur !
Mais dans d’autres cas, plus complexes et avec des sommes plus conséquentes en jeu, le notaire cherche parfois à fuir ses responsabilités. Ce fut le cas vécu par le couple Cormier, qui, désirant acheter une maison plus contemporaine, décide de vendre le bien qu’il occupe. La transaction se déroule sans problème, mais le notaire de la partie acheteuse se mélange dans certains papiers et fait état d’une conformité d’une fosse septique, qui en réalité ne l’est pas. C’est une faute cruciale quand on sait que le permis de construire de la maison concernée stipule qu’en cas de vente, il est nécessaire de procéder à la réfection du système d’assainissement. Corriger le problème est dans les faits l’affaire de quelques dizaines de milliers d’euros ; sur une vente à plusieurs millions, rien d’insurmontable en apparence, sachant que les deux parties sont au courant de l’état de la fosse septique. Mais les évènements s’enchainent lorsque la partie acheteuse se retrouve en difficulté pour payer les traites de l’emprunt : avertie de cette faille dans l’acte authentique de vente, la banque de l’acheteur fait pression par son entremise pour faire annuler la vente, et obtenir le remboursement intégral par l’intermédiaire de la justice, sachant que le vendeur a, de son côté, racheté une maison avec le capital ainsi récupéré. De là, commence une épopée judiciaire qui dure depuis plus d’une décennie, aujourd’hui entre les mains de la Cour d’appel de Rennes et du TGI de Blois. Du côté des Cormier, le préjudice est énorme, non seulement en termes financiers avec près d’un million de frais d’avocats cumulés, mais également en termes d’image, pour un chef d’entreprise qui voit ses différentes sociétés saisies à titre conservatoire.
Mais le plus curieux est de constater que le notaire fautif a disparu du paysage ; banques, vendeur, acheteur et tribunaux essayant tant bien que mal de démêler un écheveau judiciaire dont tout le monde se serait bien passé. Il faut dire qu’en la circonstance, le notaire a gros à perdre : outre les dommages en termes de réputation (et de valorisation de son étude), le notaire aurait très certainement d’importants comptes à rendre à son assurance. Mais en matière d'« erreurs », certains sont allés plus loin que d’autres.
Goût du lucre
En fin de carrière, un notaire peut générer un revenu brut de près de 500 000 euros, soit plus de 40 000 euros par mois. Les notaires les plus « pauvres » (tout est relatif), situés en zone rurale essentiellement, gagnent, eux, moins de 100 000 euros par an. Mais en haut ou en bas d’une telle échelle de revenus, à ce tarif, n’importe qui défendrait (chèrement) son monopole. Les notaires ne sont pas en reste sur le sujet et face aux tentatives de libéralisation des professions réglementés, ils sont régulièrement montés au créneau, avec un certain succès d’ailleurs.
Mais ces victoires d’estime n’empêchent pas certains de franchir ligne : en 2010, dans le cadre de l’affaire Apollonia, trois notaires sont ainsi incarcérés pour "faux en écriture publique" et "complicité d'escroquerie en bande organisée", comme le rappelle Le Monde. Dans cette affaire une société nommée Apollonia vendait des placements immobiliers LMP (loueur en meublé professionnel) à des particuliers : des appartements étaient achetés en grand nombre pour le compte de particuliers investisseurs, les revenus de location devant couvrir les frais d’achat. Le rendement de ces placements était très largement surestimé, mais il était en tout état de cause nécessaire de disposer de la complicité de notaires pour l’enregistrement des actes de ventes. "Les notaires n'ont pas seulement apporté une crédibilité à ces montages financiers trompeurs, mais ils ont, de mon point de vue, été complices, en organisant une véritable industrie de l'acte de vente", analyse Claude Michel, président fondateur de l'ASDEVILMP, l’association de défense des victimes de cette affaire.
Dans un autre cas plus ancien, le montage réalisé entre des notaires et des financiers a été bien plus subtil, à tel point que l’illégalité des pratiques considérées n’a jamais été démontrées. Pour autant, une fois exposée dans les médias, cette affaire a tout de même poussé le Conseil supérieur du notariat (CSN) à se désengager des participations concernées. Au début des années 2000, on a ainsi commencé à entendre parler de la SAS Unofi, l'Union notariale financière, une entreprise qui proposait des services financiers divers à ses clients, par l’intermédiaire des notaires rétribués pour cette mission… commerciale. Un mélange des genres qui a fait réagir à l’époque jusqu’au Garde des Sceaux, mais sans grand résultat : si l’histoire est gênante sur le plan éthique, elle est très floue sur le plan juridique… "la compatibilité déontologique avec les activités des notaires peut apparaître relativement douteuse", comme le notent très prudemment nos confrères des Echos, qui évoquent bien par ailleurs "une confusion gênante entre les missions du notaire et des fonctions commerciales de collecte et de gestion d'épargne".
Les notaires ne sont ni plus ni moins que des prestataires de services, certes indispensables, mais des services très encadrés, tout en étant bien rémunérés. Le service rendu justifie-t-il de tels émoluments ? Les notaires répondront par l’affirmative, et expliqueront, entre autres, qu’acheter une étude est un investissement colossal qu’il faut bien rembourser. Mais c’est précisément parce qu’elles rapportent autant que les études valent si chères. Quoi qu’il en soit, dans un métier à mi-chemin entre le juriste et le fonctionnaire, il est décidemment beaucoup question d’argent.