Le gouvernement tient tout particulièrement à rapprocher le constructeur naval Naval Group, anciennement DCNS, de l’italien Fincantieri, déjà identifié sur le dossier STX (anciennement Chantiers de l’Atlantique). L’opération, négociée en grande pompe par Bruno Le Maire et Florence Parly, devrait conduire à une disparition progressive de l’opérateur français, pourtant stratégique pour la Marine Française. Tout cela, au nom de l’idéologie de la « taille critique » et du « big is beautiful ».
C’est toujours la même rengaine, imposée d’en haut par une certaine élite de la fonction publique: au nom de la taille critique, il faut « apporter » des groupes industriels français à des concurrents étrangers, sans quoi ils n’auraient, dit-on, aucun espoir de survivre. Tout montre, à chaque occasion, que ces stratégies de fusion conduisent au résultat inverse : au lieu de pérenniser les groupes industriels français, elles les dissolvent, les démembrent, et précipitent leur chute.
Mais le haut fonctionnaire français est comme un docile chien de Pavlov, il répète sans jamais se lasser, sur le ton le plus dogmatique et le plus péremptoire possible (toute divergence d’opinion étant cataloguée comme « erreur » et signe d’incompétence), les imbécillités qu’il a prononcées la veille, et dont l’expérience la plus évidente lui montre qu’elle est une duperie. C’est par ces raisonnements nullissimes qu’Alstom a, par exemple, disparu corps et âme.
Naval Group, prestigieuse maison née au XVIIè siècle, et passée par différents états et tourments jusqu’à devenir DCNS (puis Naval Group en 2017) ne devrait pas échapper à cette ubuesque règle. Au nom du « big is beautiful », le gouvernement français négocie son adossement à l’italien Fincantieri qui devrait rapidement mettre son partenaire français en coupe réglée.
Naval Group et l’illusion du leader mondial
Dès l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir, le dossier Naval Group est remonté sur le haut de la pile, dans l’embrouillamini des affaires où l’on sait depuis longtemps que le secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler, négocie pied à pied avec Fincantieri. Pour régler le problème de Naval Group, on a ressorti l’antienne facile à prononcer dans les salons parisiens: la France est trop petite toute seule, elle ne peut pas s’en sortir, le salut passe par la constitution de géants mondiaux où les acteurs français sont forcément minoritaires.
Dès le mois de septembre 2017, c’est-à-dire quatre mois après la nomination du gouvernement, Florence Parly affirmait d’ailleursqu’il fallait « une alliance entre les industries navales militaires française et italienne, dans le domaine des bâtiments de surface, avec l’ambition de constituer à terme un leader mondial ». D’où la théorie de l'Airbus des mers qui a suffi, dans l’esprit de certains, à justifier cette opération qui touche aux intérêts stratégiques français.
On notera que le brillant binôme Le Maire-Parly s’est d’ailleurs déplacé à Rome début février pour claironner sur tous les toits l’intérêt de cette opération. Là encore, on reste confondu par la méthode: comment peut-on espérer tirer le meilleur profit d’une négociation quand on professe par avance son intention d’aboutir à tout prix, et en fixant par avance un calendrier contraignant pour aboutir (en l’espèce, juin 2018…)?
L’alerte lancée par les syndicats dès avril 2018
On peut dire beaucoup de mal des syndicats français, et en particulier de la CGT, il n’en reste pas moins que l’intérêt des salariés est de garder leur emploi. Or, depuis plusieurs semaines, les délégués syndicaux de Naval Group tirent la sonnette d’alarme sur le destin qui attend leur entreprise dans le cadre du rapprochement avec Fincantieri.
En particulier, les délégués syndicaux attirent l’attention sur le plausible déplacement en Italie de la construction de sous-marins, et sur les difficultés prévisibles pour la maintenance des navires français, qui sera à partager avec la flotte italienne.
« Ce rapprochement avec les Italiens est surtout inquiétant pour le maintien en condition opérationnelle (entretien des navires militaires) qui sera à partager, avec peu de chance de récupérer l’entretien de navires italiens en France », regrettent Roland Guilcher et Erwan Coatanéa de la CGT Naval Group.
Sur ce point, on aimerait que l’exécutif français nous rassure sur le fait que, dans le cadre du rapprochement avec Fincantieri, Naval Group ne disparaîtra pas corps et âme, et que la marine française disposera toujours d’un chantier en France pour réparer ses bateaux… Mais peut-être ces préoccupations relèvent-elles trop d’un nationalisme chauvin et populiste de bas étage…
Naval Group évincé de certaines zones du monde
Plus préoccupant encore, Fincantieri ne cache pas son intention de faire disparaître son concurrent Naval Group de certains marchés sensibles, comme le Brésil. Naval Group dispose pourtant de solides coopérations dans ce grand pays d’Amérique du Sud. Raison de plus pour Fincantieri d’écarter un gêneur et de rafler quelques marchés juteux.
Autrement dit, les Italiens multiplient déjà les signaux éloquents sur le vrai sens de cet « Airbus des mers »: il s’agira purement et simplement d’apporter l’activité des Français à un groupe italien qui neutralise un concurrent. Pourtant, la France est membre du Conseil permanent de l’ONU, et a donc un besoin crucial d’une industrie de défense qui garantisse son indépendance.
Au nom du « big is beautiful », cette dimension-là semble désormais oubliée. La France fait partie des 5 premières puissances mondiales, mais son gouvernement s’emploie à démanteler patiemment tous les attributs de sa puissance, pour justifier la doctrine selon laquelle nous ne serions plus qu’une petite puissance régionale.
Ce manque d’ambition n’empêche pourtant pas Emmanuel Macron d’expliquer que l’histoire de ce pays a été faite par ses élites…