La nature de la monnaie selon Ludwig von Mises (3/3)

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Par Jörg Guido Hülsmann Publié le 7 avril 2019 à 8h00
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Entre les débauches monétaires des banquiers centraux et la Théorie monétaire moderne, il est utile de revoir les thèses classiques pour se vacciner contre la folie.

Comme nous l’avons vu ici et , Ludwig von Mises a réfléchi sur la nature de la monnaie. Premièrement, il a commencé par hiérarchiser ses fonctions (à savoir : moyen d’échange, réserve de valeur, et unité de compte). Deuxièmement, il a clairement distingué la monnaie et les « substituts monétaires ». Troisièmement, il a établi qu’on ne pouvait pas quantifier ou chiffrer la satisfaction et attribuer une valeur constante à la monnaie.

Mises a démontré qu’il n’existe aucune relation quantitative constante entre l’action humaine et ses répercussions dans la sphère sociale. Par exemple une augmentation de la demande de pommes doit nécessairement mener à des prix plus élevés que si la demande était restée stable, mais il n’existe aucune loi universelle permettant de déterminer qu’une hausse de 10% de la demande doit entraîner une hausse des prix de par exemple 8% ou 14%. Les données réelles dépendront toujours des circonstances particulières liées à chaque situation.

Quatrièmement, Mises s’est attaqué de façon plus directe que Menger aux affirmations des « chartalistes », partisans d’une vision étatiste de la monnaie. Alors que Menger pensait que la monnaie pouvait émerger spontanément sur un marché libre, les économistes étatistes affirmaient que la monnaie était une création de l’Etat.

Ce débat peut être retracé jusqu’au temps de Platon et d’Aristote. Il a continué de faire rage à travers tout le Moyen-Âge, et un consensus fut trouvé temporairement par les économistes de l’école classique qui défendaient un point de vue similaire à celui de Menger. Mais à la fin du XIXème siècle, les étatistes ont fait leur grand retour et ont contre-attaqué. Cernuschi en France, Neupauer en Autriche et Lexis en Allemagne ont réaffirmé l’idée que c’est à l’État de décider de ce qui doit être utilisé comme monnaie (9).

Le plus célèbre défenseur de cette vision était Georg Knapp (celui-là même qui fut pionnier dans l’étude des lois germaniques en tant que force de libération des paysans d’Europe de l’est).

Dans son ouvrage intitulé Staatliche Theorie des Geldes (Théorie étatique de la monnaie), Georg Knapp défendait l’idée que la monnaie est une création issue du système juridique et que par conséquent la théorie monétaire doit être étudiée en tant que branche de l’histoire juridique (10).

D’après Knapp, la monnaie existe par décret de l’Etat. L’Etat possède le pouvoir de proclamer que telle ou telle chose est une monnaie, donnant instantanément à cette chose une valeur d’échange contre des biens et services réels. La monnaie serait donc par essence une devise proclamée par le gouvernement (charta, en latin) dotée d’un statut de moyen de paiement à cours légal (11).

Les idées de Knapp ont été largement rejetées dans un premier temps (12), mais ont reçu rapidement le soutien de grands banquiers (13), et sa théorie a finalement rallié de nombreux sympathisants.

Après tout, sa théorie « chartaliste » venait compléter à la perfection la vision étatiste déjà dominante à l’époque parmi les professeurs d’économie allemands. Comme Mises l’a observé plus tard :

« L’école étatiste d’économie en Allemagne a probablement atteint son apogée avec la Théorie étatique de la monnaie de Georg Friedrich Knapp. L’émergence de cette théorie n’est pas très étonnante. Après tout, les principes sur lesquels elle est basée sont défendus depuis plusieurs siècles par les juristes, romantiques, canonistes, ainsi qu’un certain nombre de socialistes. Ce qui est plus surprenant, c’est le succès de cet ouvrage. (14) »

L’erreur fondamentale de Knapp fut de ne pas voir que le gouvernement ne peut décréter le statut légal d’une monnaie que si celle-ci a été préalablement sélectionnée par le marché en tant que moyen contractuel de paiement des créances.

Le gouvernement ne peut déterminer qu’a posteriori ce qui doit être utilisé comme « monnaie » et par conséquent comme moyen de paiement. En revanche, il n’a pas la capacité d’imposer préalablement aux intervenants sur le marché un moyen d’échange pour les transactions futures :

« Seul le commerce peut transformer une simple matière première en moyen de paiement ordinaire. Ce n’est pas l’Etat, mais les transactions menées au quotidien par les agents économiques sur le marché, qui a permis de donner naissance à la monnaie. (15) »

Article traduit avec l’autorisation du Mises Institute. Original en anglais ici

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(9) Sur ce sujet : Henri Cernuschi, Legal Tender (Appleton & Co., New York, 1877) ; Josef von Neupauer, Die Schäden und Gefahren der Valutaregulierung für die Volkswirtschaft und die Kriegsbereitschaft (Lesk & Schwidernoch, Vienne, 1892) ; Wilhelm Lexis, “Papiergeld”, Handwörterbuch der Staatswissenschaften (Gustav Fischer, Iéna, 1893, 2nd éd., 1901, 3è éd., 1910). Mises mentionne l’ouvrage de Neupauer dans “Die wirtschaftspolitischen Motive der österreichischen Valutaregulierung”, Zeitschrift für Volkswirtschaft, Sozialpolitik und Verwaltung, 16 (1907), p. 578.

(10) Sur ce sujet : Georg F. Knapp, Staatliche Theorie des Geldes, 2nd éd. (Duncker & Humblot, Munich et Leipzig, 1918), p. 1.

(11) ibid., p. 31. Knapp pensait qu’il devait créer tout un vocabulaire nouveau afin de traiter de façon adéquate de la théorie de la monnaie. Il inventa ainsi l’expression “chartalisme” et fut à l’origine de nombreuses autres innovations linguistiques.

(12) L’une des critiques les plus défavorables est venu d’Andreas Voigt, l’un des leaders d’un petit (mais grandissant) groupe d’économistes s’opposant aux idées de Schmoller. Voir à ce sujet Andres Voigt, “Die staatliche Theorie des Geldes”, Zeitschrift für die gesamte Staatswissenschaft, 62 (1906), pp. 317-340.

(13) Sur ce sujet : L. Calligaris, “Staatliche Theorie des Geldes”, Münchener Allgemeine Zeitung (1er février 1906) ; idem, “Staatliche Theorie des Geldes,” Österreichische Rundschau 7, no. 80 (10 mai 1906) ; F. Bendixen, Das Wesen des Geldes (Duncker & Humblot, Leipzig , 1908), p. 3 ; idem, “Fünf Jahre Geldtheorie”, Bank-Archiv, n° 10 (1911) : pp. 145 sq. ; W. Lexis, “Eine neue Geldtheorie”, Archiv für Sozialwissenschaften und Sozialpolitik, 5 (1906), pp. 557-574 ; idem, “Die Knappsche Geldtheorie,” Jahrbücher für Nationalökonomie und Statistik, 3rd series, 32 (1906), pp. 534-545.

(14) Ludwig von Mises, Staat, Nation und Wirtschaft (Manz, Vienne, 1919), p. 5, n. 3. Mises se réfère ici à la critique écrite par Anderson concernant l’ouvrage de Knapp : « Il a eu une grande influence sur la pensée allemande en matière monétaire. Il est typique chez les penseurs allemands de désirer mettre l’Etat au centre de tout. » Benjamin M. Anderson, The Value of Money (Macmillan, New York, 1917), p. 433. Mises s’est également appuyé sur un commentaire critique écrit par Carl Menger, qui s’exaspérait du succès de l’ouvrage de Knapp, Théorie étatique de la monnaie. « Il s’agit du développement logique de la police de la pensée scientifique prussienne. Que faut-il penser d’une nation dont les élites, après deux siècles de recherche économique, peuvent encore porter autant d’admiration à de telles absurdités, et en parler comme d’une grande révélation alors qu’aucune de ces idées ne sont réellement nouvelles ? » Mises, Erinnerungen, p. 20 ; Notes et mémoires, p. 35.

(15) Mises, Théorie de la monnaie et du crédit, p. 93. Red.

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Jörg Guido Hülsmann est collaborateur émérite au Mises Institut. Il fut directeur de la recherche pour le Mises Fellows de 1999 à 2004. Il est également l’auteur de Mises : The Last Knight of Liberalism et de The Ethics of Money Production. Il enseigne à présent en France, à l’université d’Angers.