Y a-t-il un mouvement social contre la loi Travail ? ou bien le gouvernement (et l’opinion publique) ne veut-il pas voir le déploiement sournois, discret d’un projet insurrectionnel sur le mode de ce que Julien Coupat avait annoncé dans le livre collectif: L’insurrection qui vient. L’évolution des dernières heures pose question.
Mouvement social, où es-tu ?
La situation sociale laisse perplexe sur l’existence d’un mouvement social proprement dit, c’est-à-dire d’un mouvement ample, mobilisateur, où tous les salariés se retrouvent pour débrayer et agir.
L’un des symptômes de cette absence est contenue dans les chiffres de participation aux manifestations. Avec moins de 20.000 manifestants aujourd’hui dans les rues de Paris, une place de la République à peu près vidée de sa « Nuit Debout », Manuel Valls peut se dire assez légitimement que les formes traditionnelles de la contestation lui envoient des messages rassurants. Non, le secteur privé, non, les salariés ne se soulèvent pas contre la politique gouvernementale.
Une pré-insurrection ?
En revanche, la stratégie de la CGT, fondée sur des blocages ciblés touchant les réseaux (le pétrole, l’électricité, et marginalement les chemins de fer) pose véritablement la question de la nature, des intentions, de la volonté qui est à l’oeuvre aujourd’hui. En « consommant » beaucoup moins d’hommes et d’énergie militante, ces actions ont une efficacité redoutable et causent des dommages substantiels à l’économie du pays.
Il est difficile de ne pas se souvenir ici des diatribes de Julien Coupat sur l’utilité de mener une insurrection en bloquant la société sournoisement. On notera par exemple (page 101):
Inutile de s’appesantir sur les trois types de sabotage ouvrier: ralentir le travail, du «va-y mollo» à la grève du zèle; casser les machines, ou en entraver la marche; ébruiter les secrets de l’entreprise. Élargis aux dimensions de l’usine sociale, les principes du sabotage se généralisent de la production à la circulation. L’infrastructure technique de la métropole est vulnérable: ses flux ne sont pas seulement transports de personnes et de marchandises, informations et énergie circulent à travers des réseaux de fils, de fibres et de canalisations, qu’il est possible d’attaquer. Saboter avec quelque conséquence la machine sociale implique aujourd’hui de reconquérir et réinventer les moyens d’interrompre ses réseaux. Comment rendre inutilisable une ligne de TGV, un réseau électrique ? Comment trouver les points faibles des réseaux informatiques, comment brouiller des ondes radios et rendre à la neige le petit écran ?
La CGT est en train d’adapter le manuel de l’insurrection à la légalité syndicale. Le blocage des centrales électriques ou des raffineries de pétrole revient à bloquer la circulation de la « machine sociale » sans commettre d’actes de vandalisme répréhensibles.
L’insurrection de la CGT est donc plus légale que celle de Julien Coupat, mais elle n’en est pas moins efficace ni dangereuse.
La tentation de la dictature
Le chantage exercé, semble-t-il, par la CGT sur la presse pour que celle-ci publie une tribune de Philippe Martinez sous peine de ne pouvoir paraître, en dit long sur la manoeuvre qui se déroule en coulisse. On a du mal à le croire, mais la dictature du prolétariat, que le parti communiste n’a pu imposer en 1921, ni en 1944, ni en 1947, a commencé à pointer le bout de son nez en 2016. Il aura fallu presque cent ans pour que les communistes français parviennent à imiter, en France, leurs amis soviétiques de 1917.
Manuel Valls est peut-être trop occupé pour réagir à la hauteur de l’événement, mais, ne serait-ce que symboliquement, il ne serait pas absurde de marquer le coup.
Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog