L’année 2015 a été la plus dramatique en termes de mouvement de population depuis la Seconde Guerre mondiale. Jamais autant de personnes ne se sont retrouvées loin de chez elles.
Si les acteurs humanitaires ne peuvent soigner les causes de cet exode, ils peuvent en panser les plaies pour permettre à ces familles réfugiées de protéger les leurs et de rester dignes. Et de tenter, auprès de l’opinion publique, de lui faire surmonter les tensions liées aux problèmes de l’accueil et de mobiliser sa solidarité.
Paris intramuros vidé de ses habitants. L’ensemble des habitants de la Suisse, de la Belgique, du Portugal, des Pays-Bas et de la Grèce réunis sont sur les routes dans leur pays. Une partie essaie de se réfugier en Italie et en Espagne en traversant l’hexagone. Ce scénario catastrophe, c’est le constat accablant que nous faisons en 2015 : plus de 60 millions de réfugiés et de déplacés selon les estimations en cours. Une personne sur 122 est déracinée sur la planète. Rapporté à la France, ce serait 500 000 personnes errant du Nord au Sud ou essayant de fuir dans les pays voisins. ??
C’est une accélération fulgurante avec 20 millions de plus qu’en 2011 et toujours plus de réfugiés et de déplacés chaque année. Du jamais vu depuis la Seconde Guerre mondiale. La crise des migrants en Europe nous rappelle crument le sort des ce populations. Et quelles perspectives de retour ? En 2014, seulement 126 800 réfugiés ont pu retourner dans leurs pays d'origine. C'est le nombre le plus faible enregistré en 31 ans…
Le Moyen-Orient, où se déroule la plus grande crise humanitaire depuis la seconde guerre mondiale, concentre à lui seul plus d’un tiers des réfugiés et des déplacés dans le monde. A fin 2015, 4,3 millions de Syriens ont rejoint les pays limitrophes : plus de 2 millions en Turquie, près d’1,2 millions au Liban, près de 650 000 en Jordanie, sans compter l’Egypte, l’Irak… et bien sûr, ces 17 millions de Syriens déplacés dans leur propre pays. Des pays comme le Liban, la Turquie ou la Jordanie ont depuis plusieurs années fourni des efforts considérables de prise en charge. Au Liban, le nombre de réfugiés syriens représente près de 30 % de la population. Imaginons la France devant faire face à la présence de 20 millions de réfugiés depuis plusieurs années…
"En général, tout le monde répond présent sur le premier temps de la crise" Et sur chaque crise, ce sont les mêmes cycles que nous observons. La première phase, c’est l’accueil des Etats, des individus, des autorités administratives locales, traditionnelles... L’humanité, tout simplement. C’est un des principes directeurs de l’aide humanitaire : porter secours, notion tout simplement intégrée par chacun d’entre nous face à la crise que vivent nos frères de culture dans lesquels on se projette. En général, tout le monde répond présent sur ce premier temps de la crise. Les frontières s’ouvrent, la communauté internationale réagit, les organisations internationales et humanitaires se mobilisent. Les médias sont là, l’exposition est bonne, tout va bien. Il en va de la dignité de ces populations poursuivies, percutées, fuyant l’insécurité de ces zones de conflits armés sans perspective de résolution.
Après la compassion, les tensions. Voici venu le temps des premières interrogations : quelle prise en charge devra être mise en place pour ces populations ? Jusqu’où va-t-on ? Etre réfugié, c’est d’abord être enregistré, reconnu en tant que tel. Le statut de réfugié donne droit à un certain nombre de services destinés à couvrir ses besoins vitaux : aide alimentaire, accès à l’eau, prise en charge médicale, le tout est gratuit. Ces aides sont dispensées majoritairement par les acteurs humanitaires financés par leurs donateurs et par les Etats. Mais sur le terrain, dans le village voisin qui côtoie les camps de réfugiés, l’incompréhension s’installe. Pour ses 400 habitants qui disposent d’un réseau de distribution d’eau potable rarement pleinement fonctionnel, d’un centre de santé mal approvisionné en médicaments et alors qu’il faut assurer les besoins quotidiens de la famille, l’accueil bienveillant de ces réfugiés se transforme parfois en jalousie, en tensions larvées. Car les villageois ne sont pas éligibles aux aides internationales, ils ne sont pas réfugiés. La question de la différence de traitement apparait plus cruellement dans la durée. ??
Après les phases d’accueil et de tensions vient celle de la lassitude : lassitude des états accueillants, lassitude financière des donateurs internationaux, désintérêt des médias et du grand public… alors que dans le même temps augmentent les pressions sur les ressources naturelles et les tensions sociales. Au bout de quelques années d’un conflit dont on ne voit pas la fin, les budgets alloués à ces crises commencent à être amputés. D’autres crises plus médiatiques apparaissent en parallèle. Alors on réduit la ration alimentaire, on réduit l’accès à l’eau… Quand on coupe le robinet dans des zones où la chaleur monte à 45 degrés, imaginez les réactions. Une situation qui peut remettre en cause un équilibre fragile porté à bout de bras par les pays accueillants. "Notre mission en tant qu’acteurs humanitaires : assurer le minimum vital pour ces familles qui essaient de protéger les leurs et préserver un semblant de dignité".
En tant qu’acteur humanitaire, nous traitons les conséquences d’une crise. Pas les causes. Ce n’est pas notre métier. Les solutions politiques sont complexes, nous en sommes conscients et en subissons l’absence dans notre quotidien avec des besoins grandissants, une sécurité et un accès aux populations toujours plus fragiles. C’est évidemment le cas au Moyen-Orient, comme dans la vingtaine de pays où nous intervenons : Afghanistan, Centrafrique, Soudan du Sud, RD Congo, Somalie pour ne citer qu’eux. En attendant la résolution de ces conflits, pas d’autre option pour nous que de répondre aux besoins de base de ces populations fragilisées, accueillies parfois dans des Etats parmi les moins avancés. Et d’assurer le minimum vital à ces familles qui essaient de protéger les leurs et de préserver un semblant de dignité. Ne l’oublions pas, leur souhait est de retrouver leur pays, leur maison, leur environnement, pour reprendre une vie normale, donner un avenir à leurs enfants.