Alors que l’Afrique suscite de plus en plus d’intérêts, le continent se retrouve à nouveau victime d’acteurs étrangers qui spéculent sur des investissements à court terme et des produits de mauvaise qualité. La France, dont l'image sur le continent laisse souvent à désirer, s'impose paradoxalement comme l'un de ses partenaires les plus scrupuleux.
Depuis quelques années, le continent africain cultive une image d’El Dorado économique. Les raisons en sont simples : une marge de développement forte pour un continent encore jeune, une population de plus en plus éduquée, des richesses quasi infinies en matières premières, et des économies à l’orée de nouvelles révolutions industrielles.
Tous ces atouts attirent, pour des raisons géopolitiques ou financières, superpuissances et grandes entreprises qui voient en l’Afrique au mieux un marché juteux, au pire le prochain théâtre d’une domination mondiale.
Un bon augure pour le continent ? Pas toujours, hélas. Car si l’Afrique a un besoin criant d’investissements pour réussir sa mue, les préoccupations nationales sont rarement au cœur des nouveaux bienfaiteurs qui se bousculent à son portillon. Et la manne étrangère, quand elle est soumise à une logique court-termiste, fait plus de mal que de bien.
L’exemple le plus récent de cette tendance de fond est celui du Maroc. Le pays a récemment lancé un appel d’offres géant pour le marquage fiscal des boissons alcoolisées et des produits issus du tabac afin de lutter contre les trafics à ses frontières, qui amputent sévèrement les revenus de l’État.
Il s’agit d’un des appels d’offres les plus stratégiques du secteur du marquage fiscal, d’un de ceux qui détermineront le futur de l’activité. Au sein des trois acteurs encore en lice, un d’entre eux a adopté une stratégie pour le moins iconoclaste. Il s’agit de De La Rue, une des plus vieilles entreprises d’imprimerie fiduciaire au monde.
L’aventure africaine, cache-misère d’entreprises en difficulté
Malgré son âge avancé, De La Rue accumule, depuis plusieurs années, les déconvenues. En un an, la dette de l’entreprise culmine à 107 millions de livres tandis que son profit opérationnel a baissé de 77%. Son équipe dirigeante, du Président au Directeur général, a été poussée vers la sortie par les actionnaires qui dénoncent une gestion calamiteuse de l’entreprise.
Enfin, ses précédents investissements, notamment celui d’un centre d’excellence à Malte, n’ont pas pu compenser la perte de plusieurs contrats clefs. Résultat, l’usine flambant neuve, ouverte en 2018, a été cédée en 2019, avec la totalité de la division « passeport », qui représentait pourtant le cœur économique de l’entreprise.
Il n’y a guère besoin d’être expert en comptabilité pour conclure que la situation de l’entreprise britannique est mauvaise. Et c’est là qu’intervient, comme tirée du chapeau, la carte « Afrique ».
Car depuis l’explosion des investissements étrangers ces dernières années, un parfum d’optimisme flotte sur le continent. De La Rue compte bien dessus pour reconquérir la confiance perdue de ses actionnaires. Afin de remporter l’appel d’offres salvateur, l’entreprise n’a pas peur de casser les prix. Selon une information d’une source proche du dossier, citée par le média marocain Le Desk, l’offre de De La Rue serait ainsi moitié moins chère que celle de ses concurrents. Pour un résultat équivalent ? Hélas non. Le Desk a décortiqué la proposition du Britannique, et le constat n’est guère brillant. L’entreprise manque non seulement d’expériences légitimes dans le secteur, mais serait également incapable d’investir les dix millions d’euros promis par son directeur business Andrew Clint dans l’Économiste.
Qu’importe. L’objectif pour De La Rue semble être, d’abord, de plaire à ses actionnaires. L’action du groupe est en chute libre et il faut absolument redonner confiance en engrangeant des contrats à forte valeur symbolique. « De La Rue tente de rassurer ses investisseurs en accédant au marché africain à fort potentiel avec un ticket d’entrée providentiel via le Maroc » décrypte le Desk. La pratique a un nom : le window dressing. Celle qui consiste à baisser drastiquement les prix en a un autre : le dumping. Dans les deux cas, il s’agirait d’une mauvaise nouvelle pour le pays qui, si l’on en croit la trajectoire classique, devrait se retrouver avec une offre en dessous des capacités du marché.
Sous les dollars, les chaînes
L’exemple de De La Rue n’est pas rare en Afrique : investissements low-cost et technologie bon marché se retrouvent fréquemment sur le continent, conséquence d’une absence de leadership politique ou, pire, de corruption des élites. Ce combo gagnant est même devenu l’un des modes opératoires de Pékin pour conquérir le continent, voire un symbole de la Chinafrique. Depuis l’élection de Xi Jingping à son poste de président de la République populaire, la Chine n’a en effet de cesse de séduire les pays africains en finançant leurs grands projets. Pour ce faire, comme dans tant d’autres investisseurs avant elle, Pékin n’a pas peur de pratiquer un dumping féroce en pariant sur des produits de moindre qualité. Résultat, en 2017, moins de deux semaines après son inauguration par le président kényan, un pont de 100 mètres construit par une filiale de l’entreprise China Railways s’effondre au-dessus du fleuve.
Synonyme de catastrophe écologique et d’endettement inconsidéré, les investissements chinois n’occultent pas moins d’autres, tout aussi désastreux, en provenance des États-Unis. Alors que Washington souhaite contrer la politique expansionniste de Pékin en Afrique pour des raisons politiques, l’OPIC (Overseas Private Investment Corp, l’équivalent de l’Agence française du développement) multiplie les partenariats avec les entreprises locales afin de conquérir les cœurs et les esprits.
Seulement ces partenariats restent fondamentalement construits dans une logique boursière, avec l’implication de fonds d’investissement privés. Résultat, en l’espace de cinq ans, pas moins de quatre grands projets ont connu des fins malheureuses : la modernisation de l’université ghanéenne par W.P. Carney Inc, ainsi que le démantèlement d’entreprises par les fonds d’investissement Carlyle, Blackstone ou encore KKR.
Le point commun de ces échecs répétés ? Une vision court-termiste des fonds, loin d’un engagement de long terme, qui a sonné le glas des projets qu’ils ont portés.
Le miroir aux alouettes des investissements faciles
Alors que le Continent noir se développe rapidement, les pays africains doivent aujourd’hui prendre garde. Pour éviter que la tragédie africaine ne se reproduise, les nouvelles puissances doivent changer de logiciel. Les économies africaines ont besoin de partenariats solides et durables et, surtout, de technologies à la hauteur de leurs ambitions.
Étonnamment, alors que la France dispose, encore parfois, d’une image exécrable, conséquence d’un passé douloureux, elle semble pourtant aujourd’hui la mieux placée pour compter comme un vecteur de relations bilatérales solides.
Emmanuel Macron fait partie des rares présidents occidentaux à avoir déclaré vouloir travailler « sur un pied d’égalité » avec les pays d’Afrique. Il est aussi le seul à avoir entamé une démarche de rapatriement des œuvres africaines conservées à Paris. Le chef d’État, qui parle désormais de « partenariat », veut faire de l’Afrique « une alliée pour inventer les grands équilibres du monde de demain ». Des gages d’ouverture qui se font rares à l’heure où le continent attise les convoitises. Aujourd’hui, celui-ci est à la croisée des chemins. Et dans ce moment décisif, le spectre de la Françafrique, régulièrement affiché en épouvantail, ne doit pas rendre les pouvoirs publics africains aveugles aux réalités économiques.