La couronne d’Angleterre, dont le vrai nom de famille n’est pas Windsor mais Saxe-Cobourg-Gotha (comme la famille royale belge…), s’est officiellement convertie, à l’occasion du très médiatique mariage du prince Harry, au règne tout-puissant de la bienveillance et de l’empire du bien, avec un clin d’oeil appuyé au multiculturalisme, deux ans après le Brexit. La presse américaine s’en félicite.
On n’en croyait pas ses yeux. La mère de la mariée portait un piercing au nez, allusion paraît-il aux esclaves des plantations dont elle serait une descendante (personne n’a évidemment vérifié cette histoire, mais le symbole est si beau…) et faisait face à la reine d’Angleterre. Un choeur de ghospel a entonné « Stand by me », chanson de référence pour le mouvement des droits civiques. Un violoncelliste noir a joué quelques partitions. Et le révérend noir Michael Curry, qui dirige l’église anglicane d’Amérique du Nord, est venu parler de l’esclavage. Le Monde rapporte sa conclusion:
« Nous devons trouver le pouvoir de l’amour, le pouvoir rédempteur de l’amour. De cette façon, nous pourrons faire du vieux monde un monde nouveau. L’amour est le seul moyen. »
L’amour ! toujours l’amour ! Ce n’est pas seulement lui qui justifie qu’on se marie. C’est aussi lui qui devient la solution politique à tous les problèmes de notre temps. Avec de l’amour, nous pourrons transformer notre vieille société nécrosée par son identité culturelle occidentale, en une société nouvelle, un « monde nouveau », où les descendants des esclaves noirs se mélangeront allègrement à la vieille aristocratie germanique qui tient les trônes européens.
N’est-ce pas le plus magnifique des projets ?
La presse américaine enthousiaste pour la couronne d’Angleterre
On lira ces mots tout à fait instructifs dans le New York Times pour comprendre la portée de l’événement:
Harry’s popularity helped give him the power to stretch the bounds of convention by marrying Ms. Markle, an American of mixed race. The decision may have a lasting effect on British society, which has been swept by a wave of anti-immigrant feeling.
La popularité d’Harry l’a aidé à disposer du pouvoir de repousser les limites de l’étiquette en épousant Mme Markle, une Américaine métisse. Ce choix pourrait avoir un effet durable sur une société britannique qui a été balayée par une vague de sentiment anti-migrant.
La phrase mérite d’être longuement méditée, puisqu’elle nous explique que la parade aux problèmes politiques britanniques vient désormais d’événements qui relèvent plus du show people, du spectacle, que de l’engagement. Face aux forces souverainistes qui ont obtenu le Brexit, le seul argument majeur à opposer à la majorité britannique, la seule possibilité d’arracher une conviction, est de réunir des people noirs américains et une foule de vedettes dans une chapelle royale (en prenant soin de parquer des « associatifs » anonymes tout autour pour cautionner moralement l’opération et lui donner un côté peuple) pour assister à un sermon appelant sans détour à une société multiculturelle.
Bienvenue dans la société du show hype transmis en direct sur toutes les télévisions du monde, où des gens fortunés applaudissent en coeur à un discours sur l’amour entre les hommes et les communautés comme solution à tout.
Que signifie cette conversion à l’empire du bien?
Pour tous ceux qui s’imaginent que la société multiculturelle, qui abolit les frontières et conspue le principe de nation, est un principe révolutionnaire, le vrai marqueur du fossé entre la gauche et le droite, la sanctification de tous leurs principes par la couronne d’Angleterre mériterait d’être longuement méditée. Le fait que la reine Élisabeth ait elle-même assisté à cette mise en scène en dit long sur la nature tout à fait particulière de cet idéal qui nous est présenté comme la plus belle réalisation de l’humanité contemporaine.
Le fait que la plus vieille et la plus puissante monarchie d’Europe s’approprie personnellement ces valeurs est en soi un indicateur de leur réalité politique. Non! l’amour universel n’est pas une valeur politique révolutionnaire. C’est au contraire l’un des apanages du conservateur le plus obscur et le plus insidieux qui soit: celui d’une société qui donne ses bons sentiments en spectacle pour être sûre de ne pas avoir à les pratiquer.
Car si le bon peuple est appelé à se mélanger allègrement à tous les autres peuples de la terre au nom de l’amour, on notera précieusement que la famille royale d’Angleterre continue à trier sur le volet ceux qui ont le droit de s’allier à elle. Le tri se fait désormais sur la fortune et la notoriété.
Voilà qui en dit long sur l’imposture que l’émotion bienveillante constitue vis-à-vis de la réalité de notre société. Qu’elle soit de gauche ou de droite.