Les sherpas des marchés ont repris les choses en main la semaine dernière. Ils se sont appliqués à donner l’illusion d’un marché archi-haussier en orchestrant quatre séances de hausse parfaitement linéaire (+5% sur le CAC 40, de 4 300 à 4 515 points), ou sans le moindre retracement, comme à Wall Street. Les actions américaines ont en effet clôturé vendredi soir au plus haut du jour, de la semaine, du mois… et même depuis un an s’agissant du S&P 500.
Si les volumes avaient été de la partie — ils furent 30% inférieurs à la moyenne des 15 derniers jours –, cela aurait pu être interprété comme un signe de confiance à la veille d’un “pont” de trois jours (on célébrait le Memorial Day hier aux Etats-Unis), avec la confirmation que les opérateurs ont adopté une stratégie risk-on.
Mais le marché semble — non, il devient sans conteste — de plus en plus désert. Il ne monte que parce que plus personne n’ose vendre lorsqu’on entend toquer à la porte des marchés la fameuse “main invisible”. En réalité on ne voit plus qu’elle, au travers des “algos” qui travaillent tous dans le même sens. C’est comme si les plus gros intervenants — les sherpas — se mettaient (le conditionnel est évidemment superflu) à acheter au coup de sifflet pour soutenir la tendance.
Une hausse des taux à venir ?
La thèse qui semble séduire les opérateurs, c’est que le marché se réjouit de la perspective d’une hausse des taux US bien plus proche que le consensus le prévoyait il y a seulement 10 jours. De début novembre ou mi-décembre, l’horizon serait ramené à mi-juin (majoritairement jugé trop proche) ou fin juillet (jugé plus probable). Dans son discours de vendredi dernier, Janet Yellen s’est tout de même ménagé une porte de sortie. Elle a rappelé qu’un nouveau tour de vis monétaire reste conditionné par l’accélération de la croissance économique, assortie d’un rythme de créations d’emplois soutenu.
Que se passera-t-il si le “NFP” (Non-Farm Payroll, ou rapport sur les emplois non agricoles) publié ce vendredi est médiocre, de l’ordre des +160 000 publiés le 1er avril ? Que se passera-t-il si les opérateurs se mettaient à remettre en cause le concept d’une hausse des actions induite par la joie indicible de voir les taux monter en juillet… pour se laisser gagner par le soupçon qu’il s’agit d’une hausse créée de toutes pièces ? Cela afin de nous vendre l’idée que le marché applaudirait un ou plusieurs resserrements monétaires — lesquels seraient la preuve que tout va bien dans le meilleur des mondes.
Toujours la bonne vieille stratégie de “la queue qui remue le chien” !
La plupart des économistes sont convaincus que la croissance américaine demeure extrêmement fragile (elle vient d’être revue à 0,8% au premier trimestre au lieu de 0,9% anticipé, quelle accélération !) et qu’elle ne résisterait pas au prochain resserrement des conditions de crédit. La Fed se montre également plus inquiète en matière d’inflation ; c’est logique puisque le taux global flirte désormais avec les 2%. En réalité, le taux d’inflation réel, celui qui affecte très concrètement le pouvoir d’achat des ménages américains, dérape depuis l’instauration de programme Obamacare, tandis que le coût des études explose depuis 2008, de même que celui des loyers.
Les taux auraient dû être remontés depuis longtemps vers 2% ou plus pour prévenir le risque de bulle obligataire. Tout le monde sait bien que ce serait suicidaire, dans la mesure où le coût de la dette est “limite insupportable” pour le budget des différents Etats, aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe. C’est d’ailleurs la preuve que la croissance nominale est bien plus faible que celle mesurée par les statistiques officielles. Sinon, la moyenne des taux longs (entre les 0,15% des Bunds et les 1,85% des T-Bonds) serait bien supérieure à 1%… et surtout 0,5%, en agrégeant les 7 000 milliards de dollars de dettes assorties de taux négatifs en Europe et au Japon.
On n’est pas au bout des contradictions…
Autre absurdité qui passe pourtant comme une lettre à la poste : le chiffre d’affaires combiné des entreprises du S&P 500 est en contraction depuis deux trimestres. On se demande bien comment la Fed parvient à prévoir que la croissance US devrait renouer avec 2% et plus d’ici fin 2016. Le raffermissement du dollar lié aux anticipations de hausse de taux risque de plomber encore plus profondément les exportations. Il ne faudra peut-être pas attendre très longtemps avant que les prix du pétrole se remettent à respecter la relation inverse par rapport au cours du billet vert.
Il a fallu la combinaison de la chute de 50% des exportations canadiennes et des mises à l’arrêt d’installations pétrolières pour cause de sabotages au Nigeria pour créer un “effet pénurie” artificiel et probablement temporaire. Si le baril de WTI rechute, il ne faudra pas longtemps avant que les opérateurs se remettent à se préoccuper de la multiplication des défauts de remboursement des producteurs de shale oil. Même à 50 $, ils ne sont qu’une infime minorité à être rentables — et à 45 $ la plupart des exploitants repassent en mode “survie à crédit”… ou entreprises zombies.
Avec des taux plus élevés, quelle banque acceptera de leur prêter davantage ? Pour recevoir 25 points (0,25%) de rémunération en plus sur des dettes au rendement déjà archi-élevé (entre 7% et 14%)… au risque de ne pas être remboursé ? C’est véritablement ce qui s’appelle de “l’appétit pour le risque”… poussé à l’extrême !
Il n’y a plus qu’un seul acheteur
Naturellement, je ne reviendrai pas sur le matraquage du mensonge des marchés repassés soudain en mode risk-on mardi dernier. L’effondrement des volumes en Europe ainsi qu’à Wall Street suffit à discréditer tous les permabulls qui nous parlent de marchés redevenus “solidement acheteurs”.
Le pluriel est de trop car il n’y a plus en réalité qu’un seul acheteur : la banque centrale. La caricature absolue, le cas de figure le plus ridicule, c’est la Banque du Japon. Elle est devenue la plus grosse détentrice d’ETF de la planète et “fait les cours” à Tokyo, séance après séance. Et comme cela ne suffit pas, la rumeur voudrait qu’elle fasse encore plus… et achète également des dettes d’entreprises. Si les permabulls qualifient “d’acheteurs” les robots qui font de la réplication indicielle passive — c’est désormais le cas de 6 000 milliards de dollars de fonds actions qui n’ambitionnent rien d’autre que de répliquer le benchmark, sans oublier 6 300 ETF et ETP qui répliquent également un panier de valeurs –, alors d’accord, le marché est bull. Il est même en train de devenir totalement somnambull !
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