Les entreprises françaises doivent aujourd’hui relever un défi de taille : gommer l’obsolescence de leur management. Il y va de leur compétitivité économique. Les bonnes volontés existent, tout comme les bonnes pratiques mais force est de constater que la réponse n’est pas à la hauteur des enjeux.
Beaucoup de dirigeants ne perçoivent pas le risque qu’ils prennent à favoriser un management encore trop hiérarchisé, à maintenir un management par objectif en mode command-control, et des rituels managériaux comme l’entretien annuel qui se révèlent inopérants. La crise des vocations de managers, l’importance du turn-over sur les métiers en tension, le désengagement des collaborateurs en témoignent pourtant : tous ces signaux devraient les alerter sur la nécessité de moderniser leur « cœur de métier » : le management. En accélérant les tendances en germe, la pandémie les oblige à le faire en urgence. Le management hybride, par exemple, n’est plus une option. Les entreprises longtemps réticentes au télétravail ne peuvent aujourd’hui que l’adopter. Loin d’être conjoncturel, ce phénomène est durable : il implique ainsi une nécessaire refonte des pratiques managériales « à tous les étages », depuis les managers de proximité jusqu’aux leaders des comités de direction.
Le digital, levier stratégique de la modernisation
Depuis deux ans, toutes les organisations ont accéléré la transformation digitale des pratiques de vente, de production ou de collaboration. Face aux nombreux bouleversements et à la nécessité de moderniser le management, le digital doit être vu comme un allié. Il n’est pas ici question d’intelligence artificielle qui remplacerait les managers. Rien de fumeux mais du concret : la technologie actuelle est beaucoup plus simple à mettre en place, plus facile à utiliser y compris depuis son smartphone… Elle permet aux nouvelles (bonnes) pratiques, et nouveaux indicateurs d’aide au management d’être accessibles et opérationnelles, à l’échelle, que l’on soit une « Scale up », une ETI ou un grand groupe.
Un des chantiers les plus importants est certainement la modernisation de l’entretien annuel, le rituel de management de référence, qui reste pourtant insatisfaisant pour tous les acteurs : tel qu’il est pratiqué aujourd’hui, il ne sert ni à améliorer la performance, ni à développer le collaborateur. Le digital permet de le rendre plus régulier, plus collaboratif, plus mobile, et surtout de diffuser à 100% des managers une pratique plus impactante pour l’engagement et l’atteinte des objectifs opérationnels. Le digital est donc un vrai levier de transformation dans la mesure où il répond aux besoins des collaborateurs et des managers, celui d’être écouté et compris, d’être accompagné dans leur quotidien professionnel, dans leur exigence de performance.
Au coeur des systèmes, le manager
Longtemps les systèmes proposés pour le management ne répondaient qu’aux attentes des services RH ou Finance : les fonctionnalités étaient conçues pour eux, pas pour les usagers ! Managers et collaborateurs ont été les grands oubliés du management digital. Ce temps est révolu : aujourd’hui, le client, c’est le collaborateur, celui qui manage, qui est sur le terrain... Ainsi par exemple, au-delà du suivi des KPIs quantitatifs, il est devenu clef de prendre en compte les motivations, les besoins des équipes pour leur donner les moyens de progresser et de mieux travailler : l’enjeu semble simple. Il est encore trop souvent négligé par les entreprises : elles préfèrent laisser ces sujets dans la boîte noire par peur de devoir traiter les attentes qui s’y trouvent ! Or la demande devient pressante : quand ce ne sont pas les collaborateurs qui poussent aux changements, il arrive que ce soient les fonds d’investissement qui encouragent le mouvement car ils en ont bien compris l’intérêt pour la performance de l’entreprise
Des outils au service d’une ambition managériale
L’adoption du digital ne doit pas relever d’une mode, il ne s’agit pas de s’équiper pour surfer sur une tendance. Le « tourisme technologique » peut faire des dégâts : sans projet sérieux et sans intention véritable, la mise en place de ces nouveaux outils ne sert à rien, pire elle peut être le prétexte à remettre la modernisation du management à plus tard. Si la technologie n’est pas la panacée, elle reste un levier puissant. Encore faut-il que le « Management » - les dirigeants en première ligne - porte un projet sincère et une stratégie audacieuse de transformation du métier de manager au service d’une ambition déterminée et d’une gestion du changement à mener pour les autres et pour soi.
Des solutions nouvelles : la Management Tech
Une nouvelle génération de solutions digitales, SaaS (Software As Service) émerge et prend de plus en plus d’importance. Points réguliers, alignement, OKR, conversations managériales continues, feedback 360°, écoute continue en sont les principales fonctionnalités, à la croisée de la HR Tech et de la digital Workplace.
Comme nous l’avons indiqué, les solutions de modernisation du management doivent être conçues pour les managers et les collaborateurs. Elles doivent aussi s’adapter aux spécificités de chaque entreprise, unique par sa culture, son secteur d’activité, son histoire. Le projet de transformation n’est opérant qu’en prenant en compte ses différences, qu’en configurant les usages au plus près de la réalité des clients, qu’en les accompagnant dans leurs évolutions.
Un sujet de souveraineté : la domination du modèle (et des logiciels) américain
Or que constate-t-on ? Comme la grande majorité des secteurs du digital, la « Management Tech » est déjà dominée par les Américains, les premiers à s’être lancé sur ce marché. Ils ont pour eux la puissance des investissements, l’expérience et la force marketing. Est-ce un problème pour nos entreprises françaises et européennes ? Nous pensons que oui.
Leur approche « One size fits all », certes très pragmatique pour viser le marché mondial, offre en réalité peu de flexibilité. Ce qui sera un problème comme nous l’avons vu précédemment. Et puis, il ne faut pas être trop candide : leur vision du management reste différente de celle des Européens, et des Français en particulier. Leurs solutions digitales sont ainsi irriguées par des modèles de management « made in US ». Prenons la posture de manager coach qui est bien souvent la fondation des logiciels américains. Elle est loin d’être unique en France : le manager français peut faire réagir, participer, proposer, il a encore toute légitimité pour imposer des décisions à ses équipiers. Qu’on le déplore ou qu’on le salue, c’est un fait à prendre en compte quand on déploie des solutions digitales de management. Il en va de l’efficacité du système, de son utilisation par les collaborateurs et, in fine, de la réussite de la transformation souhaitée, quelle que soit son ampleur.
Refuser un modèle « prêt à l’emploi » constitue un acte de résistance contre le « soft power » américain et aidera à se prémunir contre des problèmes de conformité avec les exigences juridiques nationales (l’obligation de l’entretien professionnel par exemple).
Agissons pour avoir des champions de la Management Tech
Il y a aujourd’hui un risque de quasi-monopole des entreprises américaines sur le secteur de la Management Tech qui est au cœur de la compétitivité des entreprises. Pour rééquilibrer les forces en présence et surtout favoriser des modèles de management plus variés, il est urgent de reconnaître et soutenir la croissance de champions français . La French Tech est très dynamique : les sociétés du CAC 40 ont des engagements à tenir pour aider l’innovation, les licornes font régulièrement appel au patriotisme pour les aider à devenir des leaders de leur secteur. La Management Tech doit aujourd’hui être considérée comme stratégique à soutenir. Plusieurs expériences récentes témoignent que ce n’est pas le cas, y compris quand la préférence des équipes va à l’acteur de proximité. Engager une politique d’achat responsable constituerait un premier acte fort pour soutenir les entreprises françaises du secteur et entamer un cercle vertueux pour la performance et la pluralité du management, la compétitivité de nos organisations et celle de notre économie.