Malgré X plans l’apprentissage en France est toujours à la traîne

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Par Daniel Moinier Modifié le 13 décembre 2022 à 20h39
France Apprentissage Reforme Formation Emploi
@shutter - © Economie Matin
1851L'apprentissage est né en 1851.

Avec la prochaine loi Macron sur l’apprentissage, ce sera la 70ème (Lois, décrets et ordonnances) mise en place depuis le début de la création en 1851.

Depuis de très nombreuses années les exécutifs successifs ont dépensé des milliards pour peu de résultats probants, tant sur le plan quantitatif que qualitatif. Il a été fixé une barre symbolique de 500.000 apprentis par les deux avant derniers gouvernements qui n’a encore jamais été atteinte. Le premier « impair » est venu en 1959, lors de l’instauration de l’enseignement obligatoire jusqu’à 16 ans qui a décalé l’entrée en apprentissage d’autant. Depuis 1936, les apprentis étaient intégrés à 14 ans pour une durée de 3 ans (C’était 13 ans de 1882 à 1936). N’ayant pas de chômage, à 17 ans ils trouvaient tous un emploi immédiatement.

Visible ci-dessous : La chute des contrats à 3 ans, la pente ascendante pour les contrats à 2 ans et le démarrage des bacs pro en 1984 en 4 ans puis en 3 ans.

A partir de cette date, a été créé un nouveau contrat de 2 ans, entre 16 et 25 ans. Il en résulte que la formation est moins complète, il est difficile de faire en 2 ans ce que l’on réalisait en 3 années. Autre conséquence, un démarrage dans la vie active reculé qui ne favorise pas plus l’intégration alors qu’il existe un chômage élevé. Il n’y a que 69% qui trouvent un emploi dans les 7 mois. C’est tout de même mieux que les non diplômés qui ne sont que 49% à trouver un emploi sur la même durée. Par ailleurs, le salaire d'un apprenti est toujours supérieur aux minimas sociaux. Et ils cotisent pour leur retraite, ainsi que pour le chômage.

Tableau reflétant l’évolution des effectifs en apprentissage-alternance entre 1958 à 1978

Autre tableau décrivant la très forte baisse des contrats d’apprentissage de 3 ans après la mise en place de l’âge de l’école obligatoire jusqu’à 16 ans.

Et pourtant le contrat de trois ans a été conservé, mais plus à partir de 14 ans, ce qui a eu comme conséquence de le pousser vers son extinction progressive, même s’il y eu des possibilités de démarrer plus tôt, 15 ans, voire moins, dans des cas exceptionnels. Tous les efforts déployés surtout depuis 2004 jusqu’en 2010, ont contribué à une augmentation financière de 56% de l’état des régions et des entreprises, soit une augmentation annuelle de 9%.

Pour quels résultats ?

A l’exception d’un rebond en 1990, une des meilleures années avec la période 2004/2008 sur le plan économique, l’apprentissage a marqué le pas. Pire, il a même chuté de façon spectaculaire depuis 2012, ( – 32.000 apprentis de 2012 à 2014) . C’est encore plus marqué avec les entrées en apprentissage, - 8% en 2013 et 2,9% en 2014 avant de relever un peu la tête en 2015. Si l’on compare l’effort financier par rapport à la progression du nombre d’apprentis + 16% sur 6 ans, le rendement est très faible et cela permet de douter sérieusement de l’efficacité des mesures prises ! C’est près de 9 milliards de financement par an que coûte l’apprentissage dont près de 3 milliards d’euros versés en rémunération aux apprentis, soit 19.000 euros versés en moyenne par apprenti. En 2004, ce coût était de 14.200 euros.

Depuis 1987 une mutation de l’apprentissage s’est développée au profit de l’alternance. En effet en 1987, l’apprentissage s’est ouvert à l’enseignement supérieur, il était temps ! Il s’est rapidement développé vers les plus diplômés, tandis qu’il s’est progressivement tourné vers les niveaux inférieurs au bac. C’est surtout depuis 2005 que la courbe s’est fortement accentuée. Aujourd’hui plus du quart des apprentis sont des « alternants » de l’enseignement supérieur, ce qui représente à lui seul 24% de hausse.

L’apprentissage en France contrairement à l’Allemagne apparaît encore comme une « voie de garage » pour les jeunes décrochés du système. Il existe en France une polarisation aux deux extrémités de l’échelle des niveaux de qualifications. Le milieu est oublié, pratiquement inexistant au niveau de l’enseignement secondaire non supérieur.?Une remarque que je souhaite faire à nos politiques et médias : Evitez de nommer « Apprentissage » lorsqu’il s’agit du niveau de l’Enseignement supérieur, le terme « Alternance » est plus approprié et valorisant.

Ci-dessous veillez trouver 2 tableaux des secteurs professionnels et d’organisation de l’apprentissage ainsi que des détails concernant les fédérations professionnelles et groupes spéciaux.

Chômage des jeunes dans l'UE

Au sein de l'Union européenne, le taux de chômage des 15-24 ans a atteint 19% en 2016, soit deux fois plus que le taux global qui s'arrête à 9%. En France, ce sont 22,8% des jeunes de 16 à 25 ans qui étaient au chômage en 2017, un chiffre "auquel on peut ajouter 8,3% de la classe d’âge inactive hors scolarité et études soit un total de 1,33 million de jeunes", explique Bruno Ducoudré, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

Évolution comparée du nombre d’apprentis et du taux de chômage en %

Les chiffres montrent que l’apprentissage permet de lutter efficacement contre le chômage des jeunes. Or il recule aujourd’hui pour les jeunes les moins qualifiés qui en sont justement davantage victimes. On assiste effectivement à une chute de l’apprentissage pour les niveaux les plus faibles : pour les niveaux CAP et BEP, il est passé de 245.000 jeunes en 2000 à 187.000 en 2012. S’il y a des facteurs conjoncturels à ce recul, il n’en reste pas moins que des réformes structurelles peuvent et doivent être menées. Aujourd’hui près de 2 millions de jeunes de 15 à 29 ans ne sont ni en emploi, ni scolarisés, ni en formation. Ce phénomène n’est pas près de se tarir puisque près de 200.000 jeunes sortent chaque année du système scolaire sans aucune qualification.

Pourquoi la France est-elle encore à la traîne par rapport à un bon nombre de pays européens ?

Ci-dessous, le tableau des 10 premiers pays d’Europe en Apprentissage et Alternance.

Même si la France a fait des efforts, elle se classe 9ème en 2017, elle se situe encore très loin des ténors.

Quels sont les points qui seraient à améliorer ?

La culture d’entreprise

Si l’on compare la France avec l’Allemagne, pour cette dernière l’apprentissage est une voie sélective, exigeante tant pour l’apprenti que l’entreprise d’accueil avec des contrats de longue durée. C’est le mode d’accès privilégié aux qualifications moyennes avec des débouchés intéressants et des perspectives de progression ultérieures dans l’entreprise. Toutes les entreprises sont très impliquées dans ce système.

Augmenter la pratique

En France en moyenne, l’apprenti a un temps généralement réparti à moitié pour l’entreprise et moitié pour l’enseignement. En Allemagne, c’est plutôt 3 à 4 jours de présence en entreprise, en Autriche c’est encore plus puisque l’apprenti passe 80% de son temps au travail. Les Suisses pour leurs propres enfants, privilégient la formation pratique.

Durée moyenne des contrats à augmenter

En France la durée moyenne d’un contrat est de 1,7 an, contre 3 années tant en Allemagne qu’en Autriche. L’état n’a pas assez incité les entreprises françaises à ce type de contrat et l’âge de démarrage y est certainement pour beaucoup. En France l’âge moyen d’entrée d’un apprenti est à 18,7 ans, c’est beaucoup plus tard que dans ces deux pays.

Diminuer l’âge légal de démarrage

En Allemagne les jeunes peuvent être orientés vers l’Alternance à 11 ou 12 ans, en Autriche c’est même vers dix ans. L’âge légal d’entrée en apprentissage en Autriche est de 14 ans comme il l’était en France avant les 16 ans de l’enseignement obligatoire.

Augmenter les places

En France, c’est l’état et les régions par l’intermédiaire des CFA qui fixent le nombre de places ouvertes à l’apprentissage. En Autriche la demande est si forte qu’elle permet aux jeunes qui ne trouvent pas de place de les orienter en formation qualifiante financée par le pôle Emploi autrichien. En Suisse ce sont les entreprises qui fixent le nombre de places ouvertes à l’apprentissage, en fonction de leurs besoins. C’est un tiers des entreprises qui y ont recours. Trois des ministres suisses de l’exécutif sont issus de l’apprentissage.

Augmenter le nombre de métiers

C’est l’Allemagne qui est la championne du nombre de métiers proposés en apprentissage avec plus de 350. La Suisse en aurait 250, en France, le nombre de type de CAP s’élèverait à un peu plus de 200. Il faut y ajouter les autres diplômes. L’Allemagne par contre, a beaucoup plus de mal dans les métiers de l’artisanat qui manque de candidat(e)s.

Modifier une organisation bien trop compliquée en France

En Allemagne, l'ensemble des politiques de formation, de l'enseignement professionnel et de la recherche sont pris en charge par un même ministère. Alors qu'en France, le ministère de l'Éducation nationale gère l'enseignement professionnel scolaire mais partage avec le ministère du Travail la responsabilité de l'apprentissage... Côté organisation générale, en Allemagne, le niveau central agit comme une tête de réseau de tous les organismes régionaux responsables de la formation professionnelle et associe étroitement à sa gouvernance les partenaires sociaux et les Länder. Ces derniers mettent en place la politique nationale et assurent seuls la tutelle et le financement des écoles professionnelles. Alors qu'en France, c'est quasi-inexplicable, les régions conventionnent et subventionnent (sur des montants compliqués à calculer) les CFA. Elles élaborent aussi ledit contrat de plan régional des formations et de l'orientation professionnelles, qui inclut aussi bien l'apprentissage que l'enseignement professionnelle par voie scolaire. Un contrat qui doit être cosigné par le préfet de région et le recteur. Quant à l'approbation du contrat par les partenaires sociaux, elle n'est que facultative.

Diminuer le chômage

Pour diminuer le chômage, rien de tel qu’un nombre le plus conséquent possible de jeunes en apprentissage en alternance et surtout démarrant plus tôt. Pour plusieurs raisons : L’entrée en emploi est beaucoup plus rapide à la fin du contrat tout en favorisant les embauches. Plus l’apprentissage démarre tôt, plus l’économie est boostée par l’argent injecté par les salaires ainsi que les charges sociales : 10% en apprentissage (5 pour l’apprenti et 5 pour l’entreprise) et des charges normales pour les contrats de professionnalisation.

Après un taux de chômage des jeunes à plus de 25%, la France au 1er trimestre 2018 vient de redescendre à 22%. Nous sommes loin de l’Allemagne avec 6,1%, la Suisse avec 8,3%, le Danemark avec 9,5%, l’Autriche avec 10,5%, des pays qui ont les plus forts taux d’apprentissage. Ce qui révèle bien que le taux d’apprentissage à une forte incidence sur le chômage total d’un pays.

Si la France avait le taux de chômage des jeunes allemands, au lieu 1,7 millions de chômeurs, il n’aurait que 485. 000 chômeurs, soit 1.21 millions en moins. Si nous les enlevions des 3,5 millions de chômeurs total, il ne resterait plus que 2,3 millions, soit un chômage descendu à moins de 8%. Le montant des salaires supplémentaires boosterait la consommation, la productivité et toute l’économie, nous rapprochant très sérieusement du niveau de l’économie allemande.

En parallèle à l’apprentissage et alternance, les collèges et lycées professionnels contribuent à apporter sur le marché, des jeunes qui deviendront en grande partie la structure humaine des sociétés industrielles, mais aussi des cadres qui évolueront dans différents secteurs, parfois même très éloignés de leur enseignement de base.

Comme le dit Matthew Crawford ; « le travail manuel permet de se concentrer dans le réel ». Et Roger-Pol Droit qui l’interrogeait : C’est un penseur aussi à l’aise dans son atelier de Richmond que dans les amphis, il préfère être garagiste plutôt que chercheur dans un précieux think tank, car il ne connaît pas d’activité intellectuelle plus gratifiante que la mécanique. Justement en parlant de mécanique, les excellentes ENP (Ecole Nationale Professionnelle) transformées en Lycée Technique d’Etat, incorporaient des jeunes qui travaillaient déjà en atelier de menuiserie et de mécanique dès la 6ème Technique. Puis en 5ème et surtout en 4ème ils passaient par tous les ateliers de Mécanique : ajustage, tournage, fraisage, alésage, travail sur étau limeur, sur perceuse radiale ; et aussi dans les autres ateliers de Fonderie, de Modelage sur bois, de Forge sur machine et manuellement, de Tôlerie, Chaudronnerie, Soudure, Découpe, au Bureau d’études, des méthodes, en Electricité puis Electronique…

Actuellement, les ¾ des métiers manuels ont été supprimés, une des raisons des difficultés de recrutement des entreprises industrielles ! Il est vrai que l’on est passé à l’ère des commandes numériques, des automates, des robots, du numérique, de l’I A (Intelligence Artificielle) et toutes les nouveautés à venir. Mais pour les équipements et besoins unitaires, le manuel aura certainement toujours sa place.

Dans cet enseignement technique les horaires ont fortement diminué passant de 40/44 heures semaine vers les 35. Le nombre d’élèves par classe aussi, de 40/44, aujourd’hui c’est plutôt 35. Le nombre d’internes était très conséquent, plus du quart des effectifs avec plus de 30 heures d’études surveillées par semaine ! L’effectif global par contre a peu changé, en général aux environs de 2000 élèves. Les cours vont de la 6ème jusqu’aux préparations d’ingénieurs. Il y avait environ une ENP par département. A cette époque tous les élèves portaient des costumes de semaine et de WE. Aujourd’hui de nombreuses matières nouvelles sont apparues en lien avec l’évolution d’une ère moins industrielle.

Il est certain que l’enseignement industriel a besoin d’évoluer constamment pour suivre les changements économiques, mais la baisse des horaires, des effectifs, l’entrée à l’école reculée, la suppression de certaines branches techniques ont entraîné des manques qui se répercutent depuis plusieurs années dans les recrutements et les connaissances. On note aussi depuis un certain nombre d’années que les métiers techniques industriels sont de moins en moins prisés par les parents, surtout ceux des niveaux les moins élevés. Autre branche très intéressante, c’est l’alternance qui est un véritable tremplin de la vie professionnel, une voie anti chômage, qu’il faut comme en Allemagne, absolument l’amplifier et surtout dans l’enseignement supérieur. Autre constat très alarmant, une étude du cabinet de conseil Korn Ferry en gestion de talents et organisation, révèle qu’une pénurie de main d’œuvre qualifiée est très probable, de l’ordre de 1,5 million de salariés d’ici 2030. Cette pénurie pourrait représenter 175 milliards d’euros de perte de revenus.

Cela semble déjà être déjà confirmé ; 40% de chefs d’entreprises se plaignent de ne pas trouver les compétences plus ou moins pointues dont ils auraient besoin ! Mais ce qui est encore est plus affligeant, c’est que cette étude démontre aussi que pendant cette période, 1,7 millions de jeunes en général peu qualifiés, se retrouveront « sur le carreau » sans emploi. Alors en ce qui concerne la formation, il serait grand temps de s’y mettre et d’agir très vite et efficacemment ?

www.livres-daniel-moinier.com

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Daniel Moinier a travaillé 11 années chez Pechiney International, 16 années en recrutement chez BIS en France et Belgique, puis 28 ans comme chasseur de têtes, dont 17 années à son compte, au sein de son Cabinet D.M.C. Il est aussi l'auteur de six ouvrages, dont "En finir avec ce chômage", "La Crise, une Chance pour la Croissance et le Pouvoir d'achat", "L'Europe et surtout la France, malades de leurs "Vieux"". Et le dernier “Pourquoi la France est en déficit depuis 1975, Analyse-Solutions” chez Edilivre.