Comment réformer la fonction publique sans se fâcher avec les fonctionnaires? En faisant semblant, bien entendu, c’est-à-dire en multipliant les mesures d’affichage sans s’attaquer au renouvellement des élites administratives qui sclérosent le pays et l’amènent à la ruine.
Ce mercredi, Olivier Dussopt, chargé de la fonction publique au sein du gouvernement Philippe, doit présenter un projet de loi réformant celle-ci. Son manque d’ambition tranche avec l’annonce du « Big bang » faite l’an dernier sur le sujet. Elle ne comporte aucune des dispositions promises par Emmanuel Macron pour changer les règles du jeu dans la haute administration.
Réformer la fonction publique ? D'accord, mais lentement
Le point central du projet gouvernemental ravive une vieille lune : la possibilité de recruter des contractuels de façon plus large. C’est le genre de mesure technique qui rassure tout le monde. Elle permet en effet de donner l’illusion qu’on change les règles du jeu. En même temps, elle permet de ne rien changer sur le fond, et donc de ne pas menacer les rentes acquises par les insiders.
Pour neutraliser cette mesure, les insiders ont en effet une pratique bien rôdée. Ils mettent tous les cinq ans en œuvre une mesure de titularisation des précaires. Autrement dit, au bout de cinq ans, les « contractuels » deviennent fonctionnaires et l’administration ne tarde pas à retrouver son cours normal par la digestion des nouveaux. Ce système est vieux comme notre administration.
On se demande même comment ce genre de proposition peut encore faire illusion. Ou comment elle peut être vendue comme une réforme. Elle cache chaque fois l’hésitation qu’ont les gouvernements qui se suivent à prendre de front les citadelles de la fonction publique.
Rien sur la haute fonction publique
Dans la pratique, le projet gouvernemental reste muet sur les mesures que le pouvoir exécutif devrait prendre vis-à-vis de la fonction publique pour la remettre sur les rails. Celle-ci souffre de maux bien connus: politisation galopante, obsession de l’étiquette, de la verticalité, et absence de culture du résultat.
Durant sa campagne électorale, Emmanuel Macron avait annoncé qu’il rencontrerait les directeurs clés d’administration centrale et qu’il leur assignerait des objectifs. Il avait aussi, au mois de décembre, annoncé qu’il supprimerait l’accès direct aux grands corps à la sortie de l’ENA.
Dans la pratique, tout cela est passé à l’as. Comme nous l’avions souligné à plusieurs reprises, Emmanuel Macron a oublié son ambition de changer le gouvernement profond qui impose ses vues et sa politique suicidaire à la société française.
Pourquoi il faut changer les règles du jeu !
Or le pays a besoin de renouveler sa technostructure et ses techniques de recrutement. L’énarchie, aux yeux de beaucoup de Français, est largement discréditée. Elle suscite une intense détestation. Dans la pratique, et bien au-delà de l’ENA, les performances de la haute fonction publique en matière de gestion sont faibles. Les dépenses ne sont pas maîtrisées, les services publics sont peu productifs et sont surtout largement inefficaces.
Les résultats médiocres de la France en matière d’éducation, par exemple, le rappellent.
Sans un renouvellement des élites administratives, la France peinera donc à se relever, et on regrettera que les pouvoirs publics ne s’y attèlent pas.
Comment changer les règles du jeu
Une mesure salutaire pour modifier rapidement et en profondeur les élites administratives pourrait passer par la fin de la garantie de l’emploi pour les directeurs d’administration centrale. C’est la meilleure façon d’introduire des paramètres de responsabilité individuelle dans nos administrations, et de sortir de cette culture de la subordination au politique.
Dans cet esprit, les directeurs qui n’atteindraient pas leurs objectifs, notamment financiers, pourraient être licenciés purement et simplement de la fonction publique. Aujourd’hui, en cas de problème, ils sont simplement reclasser dans un corps d’inspection.
La garantie de l’emploi pour ces fonctionnaires fut justifiée, à une époque, par la nécessité de ne pas les livrer pieds et poings liés à l’autorité politique. Le problème est qu’il est désormais impossible d’accéder à un emploi de directeur sans passer par un cabinet ministériel.
Paradoxalement, la meilleure façon de dépolitiser la haute fonction publique consiste donc à lui supprimer la garantie de l’emploi et à la soumettre à des objectifs quantifiables.
Mais de cela, il n’est pas question dans le frileux projet de loi du gouvernement.
Article écrit par Eric Verhaeghe sur son blog