Avec l’investiture d’Emmanuel Macron, il faut bien – n’en déplaise aux idolâtres de tous bords – poser quelques réflexions sérieuses sur l’état du capitalisme français et sur la situation générale du pays. Par-delà le brouillard des propagandes, restent en effet quelques réalités, quelques faits têtus, qui excluent toute compréhension du mandat à venir si on ne s’accommode pas de leur présence.
La dépense publique dans le collimateur de l’Union Européenne
On ne pourra rien comprendre aux cinq ans qui vont venir si l’on oublie ce petit mot de Jean-Claude Juncker prononcé la semaine dernière: « Les Français dépensent trop ». Au demeurant, la remarque est exacte: la dépense publique, inactive, passive, étouffe l’économie française. Elle impose un tribut colossal aux forces vives du pays, sans contrepartie acceptable. En France, le service public est vieillot, inefficace, paperassier. Il est comme la vérole sur le clergé: il se nourrit du pays en l’empoisonnant à petits feux.
Reste que, dans la bouche de Juncker, cette phrase a un sens précis. Elle dit que, pour se rapprocher de la zone monétaire optimale, il faut harmoniser les politiques économiques et budgétaires dans l’Union. Et, sur ce point, la France joue trop à l’originalité, surtout depuis l’annonce du Brexit. Rappelons que la Grande-Bretagne était, comme la France, grande amatrice de déficit budgétaire. Désormais, la France est le dernier grand pays de l’Union à vivre beaucoup trop au-dessus de ses moyens.
La mission de Macron est de fondre la France dans le moule de l’ordo-libéralisme
Ne pas comprendre qu’Emmanuel Macron a une mission et une seule: faire rentrer la France dans le moule de l’ordo-libéralisme germano-européen, c’est passer à côté de son mandat, et même de l’Histoire. Bien entendu, Macron n’est pas, comme l’avait caricaturé Marine Le Pen, le gauleiter de l’Allemagne. Il n’exécute pas fidèlement une politique décidée dans ses moindres détails depuis Berlin ou Bruxelles. Il conserve le choix des détails.
Mais, sur le fond, l’enjeu est simple: l’euro survivra si se réalisent les conditions d’une zone monétaire optimale, c’est-à-dire une convergence des politiques budgétaires autour de la logique ordo-libérale qui structure le noyau dure de la zone, l’Allemagne. La mission d’Emmanuel Macron n’est pas autre qu’assurer la survie de la zone euro en distillant en France la dose d’ordo-libéralisme nécessaire pour assurer la convergence des politiques économiques et budgétaires.
Le marché du travail français, obsession européenne
Dans le coeur de cette convergence, on trouve deux mamelles. L’une est le retour de la France à un déficit public inférieur à 3% du PIB. L’autre est la lutte contre le chômage de masse par une réforme du marché du travail. Personne ne sait plus exactement pourquoi l’élite européenne a la croyance selon laquelle le chômage de masse s’explique en France par les rigidités de son marché du travail, mais tout le monde y croit et propage cette croyance.
C’est pourquoi Macron utilisera des ordonnances pour mettre en place ce programme d’harmonisation européenne du droit du travail. C’est comme ça, et c’est pas autrement. Macron a représenté le camp de l’Europe contre celui de la souveraineté, et il mettra en oeuvre cette commande européenne. Point à la ligne.
L’impensé du couple franco-allemand
Selon une tradition désormais bien ancrée, Macron effectuera son premier voyage officiel dès lundi, pour rencontrer Angela Merkel. Le site de propagande macroniste Challenges dit ceci (avec l’AFP) de ce voyage:
Emmanuel Macron veut engager un travail commun avec Angela Merkel autour de trois priorités : la sécurité, l’économie et l’investissement, ainsi que la protection sociale, a-t-on appris dans l’entourage du président élu. La source a précisé que dans le domaine de la protection sociale, la lutte contre le dumping et les abus du travail détaché était essentielle.
L’enjeu du président Macron est bien d’assurer une convergence des réglementations du travail entre l’Allemagne et la France, en abordant techniquement les sujets qui font grief entre les deux pays. On sait notamment que l’agriculture allemande se livre à un dumping effréné sur le marché européen en abusant du travail détaché venu de l’Est.
Dans la pratique, cette convergence franco-allemande n’est plus interrogée et le sujet est devenu tabou. Dont acte, mais il ne serait pas inutile de reconnaître que cet impensé est porteur de pas mal de malentendus dans l’opinion française, qui subit, sans en comprendre les raisons, des adaptations réglementaires (comme celles qui se préparent avec les ordonnances) qui seraient mieux vécues en étant expliquées.
Macron a explosé les souverainistes… avec l’aide de Marine Le Pen
Macron va mettre en place une politique pragmatique, qui n’est pas vraiment choisie, mais qui relève plus du « contre mauvaise fortune, bon coeur ». Face à cette intégration européenne à marches forcées, il n’existe plus vraiment de vision alternative, depuis que Marine Le Pen, candidate identitaire, a décidé de ridiculiser le camp des souverainistes en se hasardant sur le champ de bataille de l’union monétaire sans avoir compris de quoi il s’agissait.
Or, on ne le dira jamais assez, on peut être souverainiste sans être identitaire, et on peut être identitaire sans être souverainiste. Marine Le Pen a joué une partition qui n’était pas la sienne, et elle a fait perdre son camp comme celui des souverainistes.
Reste que, économiquement, le pays a besoin, ne serait-ce que par les raisons de l’équilibre, de contrebalancer la vision européiste de son capitalisme par une lucidité souverainiste. N’oublions jamais que la France n’a plus la capacité de fabriquer un téléphone portable, un ordinateur, une tablette. Et elle n’est plus la première puissance productrice de fromages, supplantée par l’Allemagne.
Qu’on le veuille ou non, ces questions souverainistes-là demeureront… Tant qu’elles ne seront pas adressées, il subsistera un malaise dans l’opinion.
Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog