Macron tenté de jouer la montre avant son grand virage à gauche

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Par Eric Verhaeghe Modifié le 11 mars 2019 à 9h56
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@shutter - © Economie Matin

Le virage à gauche du président de la République se précise. Alors qu’une part importante de la majorité appelle à proposer des mesures dès le 15 mars, Macron propose de prolonger le débat en avril. Cette façon de gagner du temps lui permettrait de peaufiner son virage à gauche, en préparation active. Selon nous, cette option n’est pas réaliste et l’opinion publique, lassée par le Débat, lui demandera des mesures rapides.

Elle est longue, la marche pour sortir de la crise des Gilets Jaunes. Depuis plusieurs semaines, Emmanuel Macron prépare progressivement sa parade pour revenir dans le jeu, coincé entre la tentation de dépenser plus, et l’obligation de respecter les engagements européens de la France en matière d’orthodoxie budgétaire. Le congrès de Chartres, dimanche 10 mars, où En Marche présente sa contribution au Grand Débat, constitue une étape importante pour comprendre les pressions que Macron subit sur sa gauche.

Le virage à gauche se prépare à En Marche

La majorité a mené une belle offensive médiatique ce week-end pour préparer le terrain au virage à gauche que Macron devrait prendre pour renouer le fil avec l’opinion. Cette offensive a commencé avec une interview de Stanislas Guérini, délégué général d’En Marche, à la veille de son congrès à Chartres (où il présentait la contribution du parti au Grand Débat). Elle a continué avec une interview de Sébastien Lecornu au Journal du Dimanche qui, elle non plus, n’est pas piquée des vers.

Ces deux caciques de la Jeune Garde macronienne ont commencé à poser des billes très révélatrices. Dans les deux cas, les propos sont difficilement compatibles avec le positionnement personnel d’Édouard Philippe.

Guérini à rebrousse-poil du gouvernement Philippe

L’interview de Stanislas Guérini a commencé à poser les banderilles dans le cou du taureau philippard. On lira par exemple cette idée qui paraît parfaitement orthogonale avec la loi de financement de la sécurité sociale qu’Édouard Philippe (et Agnès Buzyn) faisait adopter en pleine crise des Gilets Jaunes:

Il faut revenir sur la sous-indexation des pensions pour les retraités les plus modestes. Pour ceux-là, les retraites doivent être réindexées à l’inflation.

Cette suggestion, qui heurte de plein fouet la politique menée à Matignon depuis plusieurs mois (initiée sous François Hollande qui avait retardé la revalorisation des retraites de six mois, rappelons-le) sonne comme une véritable déclaration de guerre contre le Premier Ministre. On voit mal comment celui-ci peut encore apparaître comme le chef constitutionnel de la majorité dès lors que le parti qui le soutient prend de telles positions.

En Marche vers une hausse de la fiscalité

Dans la même interview, Guérini prend des positions divertissantes sur la fiscalité.

Le grand débat ne peut pas déboucher sur autre chose que sur notre engagement de campagne, à savoir la baisse des impôts. Pour répondre au besoin de justice des Français, une des solutions, c’est d’aller au-delà du programme présidentiel et de supprimer la taxe d’habitation pour 100 % des Français. C’est un impôt injuste pour tous les Français. Mais, pour donner du sens et de la justice sociale, cette suppression pourrait être liée à une augmentation de l’impôt sur la fortune immobilièrequi pèse sur les plus gros patrimoines immobiliers. On souhaite aussi taxer les Français expatriés dans des pays où il n’existe pas de convention fiscale avec la France, particulièrement pour les résidents dans les paradis fiscaux.

Baisser les impôts, mais augmenter l’impôt sur la fortune immobilière et la taxation des Français exilés : la sophistique bat son plein dans le nouveau monde.

On comprend, au-delà de ces effets de manche, qu’En Marche appelle de ses voeux une politique sociale-démocrate (très strauss-kahnienne s’agissant de Guérini) qui fait quand même l’inverse de ce qu’Édouard Philippe soutient et pratique depuis plusieurs mois. Tout ceci annonce un remaniement que nous pressentons depuis plusieurs semaines.

Les surprises de Sébastien Lecornu

De son côté, le jeune ministre des collectivités territoriales Sébastien Lecornu ne s’est pas montré en reste. Chargé du rôle de Monsieur Loyal dans le Grand Débat, Lecornu tient des propos très révélateurs dans les colonnes du Journal du Dimanche:

« D'autres thèmes ont émergé. Je pense à la lutte contre la spéculation, contre les inégalités salariales, à l’immigration, la revalorisation du métier d’enseignant ou encore l’accès aux soins »

Cette phrase semble condenser tous les thèmes que le gouvernement Philippe laisse de côté depuis juin 2017, et sur lesquels la politique macronienne devrait prendre de grandes options. On rit par avance de voir l’ancien banquier de Rothschild s’attaquer à la spéculation. On rit aussi de voir le père fondateur de l’inversion de la hiérarchie des normes s’attaquer aux inégalités salariales. En outre, la revalorisation du métier d’enseignant devrait coûter très cher à l’État si elle est pratiquée dans la droite ligne des traditions connues jusqu’ici.

Bref, Lecornu a dessiné les contours d’un virage à gauche dont on conçoit mal que le pilotage soit confié à Édouard Philippe. Il a ajouté qu’Emmanuel Macron préparait des « surprises ». On demande à voir.

Macron veut gagner du temps

Lecornu a donné quelques indications intéressantes sur le calendrier qui sera finalement retenu pour l’annonce des mesures à venir issues du Grand Débat.

En avril, Emmanuel Macron clôturera le grand débat et précisera sa vision en donnant les grands axes de réponse et le sens de la direction à suivre pour le gouvernement. Au début du débat, dans sa lettre, ses questions étaient précises, ses ­réponses le seront aussi. Mais cette fin du débat ne signifie pas « circulez, il n’y a plus rien à voir, vous pouvez rentrer chez vous ». Après le temps du débat, après le temps du constat, cette prise de parole marquera le temps des propositions et de l’action, qui se déploieront jusqu’à l’été.

Autrement dit, la date du 15 mars serait reportée au mois d’avril, et serait rendue glissante par des annonces pour ainsi dire permanentes jusqu’à l’été. Emmanuel Macron lui-même l’a annoncé. Plusieurs raisons expliquent probablement cette stratégie de sortie « en sifflet », à commencer par une vraie difficulté du Président à trancher (qui apparaît avec le temps). Il n’est pas impossible non plus que Macron considère que le Grand Débat soit une façon commode de faire campagne, compte tenu de l’exposition médiatique que les déplacements en province lui offrent.

Tout ceci concourt quand même au sentiment d’une certaine confusion et d’une normalisation dans l’exercice du pouvoir qui se fait attendre.

Inévitable virage à gauche

Structurellement, le Président ne peut de toute façon échapper à un virage à gauche, dans la mesure où il a abandonné la piste d’une réforme de l’État en profondeur. Édouard Philippe l’a pourtant poussé plusieurs fois en ce sens, mais en vain. Faute d’une baisse des dépenses, il est donc condamné à programmer des hausses de recettes….

Sur ce sujet, les décisions semblent déjà toutes trouvées : l’annulation de la désindexation partielle des retraites, l’augmentation de l’impôt sur la fortune immobilière, une augmentation des droits de succession. D’autres mesures devraient suivre, concernant notamment l’accès aux soins, qu’on ne connaît pas encore, mais qui pourraient se révéler douloureuses pour les acteurs du secteur.

Difficile virage pour Macron sans Édouard Philippe

La difficulté pour Macron n’est guère de choisir la direction où aller, mais d’amorcer son virage sans dérapage incontrôlé. En particulier, il est à peu près inévitable que cet acte II du quinquennat (dont rien ne garantit qu’il suffira à tarir définitivement le mouvement des Gilets Jaunes) soit opéré sans Édouard Philippe. À de nombreux égards, la majorité pratiquera en effet une politique inverse de celle des premiers mois (même si Macron devrait sanctuariser la suppression de l’impôt sur la fortune).

Comment l’expliquer ? Comment pratiquer ? Avec brutalité ? En prenant son temps ? Il est probable que Macron n’ait pas encore toutes les réponses à ces questions. C’est aussi pour ça, peut-on penser, qu’il cherche à gagner du temps.

Article écrit par Eric Verhaeghe sur son blog

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "