Vers un luxe plus simple, plus local ?

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Par Rédacteur Modifié le 23 octobre 2020 à 11h12
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7%les ventes du groupe français fondé par Bernard Arnault ont reculé de 7%

Le secteur du luxe a fait preuve d'une insolente résilience au cœur de la crise sanitaire, comme en témoignent les récents chiffres dévoilés par la locomotive de l'industrie, le groupe français LVMH. En dépit de ces bons résultats, le secteur n'échappera pas à une profonde remise en question de son modèle, qui a dérivé au cours des dernières années vers un luxe de plus en plus inaccessible au commun des mortels, risquant même de s'aliéner les consommateurs français et européens. La crise lui offre l'occasion d'un recentrage bienvenu.

Le luxe, imperméable à la crise ? Alors que les économies du monde entier tanguent dans la tempête économique et que les nuages de la crise sanitaire s'amoncellent plus qu'ils ne se dissipent, l'industrie du luxe, portée par son navire amiral, LVMH, tient le cap. Le numéro un mondial du secteur a publié, vendredi 16 octobre, ses derniers résultats trimestriels : certes, les ventes du groupe français fondé par Bernard Arnault ont reculé de 7% au terme du troisième trimestre, pour atteindre 12 milliards d'euros ; mais la baisse, contenue par le rebond des ventes du maroquinier Louis Vuitton, est moindre qu'escomptée par les analystes, qui tablaient jusqu'à la publication des résultats du groupe sur une chute de 12%.

Si le fleuron du luxe n'est pas épargné par la crise sanitaire, il limite donc sérieusement la casse. Une bonne nouvelle que les investisseurs ont, manifestement, apprécié à sa juste valeur, l'action LVMH flambant avant vendredi midi à 429,05 euros (+6,46%), s'adjugeant par la même occasion la première place du CAC40 et signant, tout en entraînant les autres valeurs du secteur (Kering, Hermès, Moncler, etc.) dans son sillage, sa meilleure séance depuis le mois de mars dernier. « Ces chiffres montrent clairement que l'appétit pour les produits de luxe n'a pas disparu avec la crise du Covid-19 », analyse une note de la banque Bryan Garnier, selon laquelle la pandémie a même « renforcé les marques les plus fortes et les plus iconiques ».

Les dangers d'un luxe hors-sol

Renforcée et tutoyant, comme LVMH en 2019, les sommets, l'industrie du luxe aurait pourtant tort de se croire définitivement à l'abri des secousses mondiales, immunisée, en quelque sorte, contre les pandémies, insensible aux évolutions des habitudes des consommateurs. Le danger serait pour elle de devenir « hors-sol », en ne s'adressant plus exclusivement qu'à une catégorie de clients extrêmement riches ou originaires d'Asie – pour ne pas dire de Chine. Cette tendance, amorcée depuis plusieurs années, conduirait le secteur à se couper de sa clientèle locale – autrement dit, pour une industrie dont une large proportion des marques est française, à s'aliéner les consommateurs français. Un comble, alors que la crise sanitaire a justement renforcé le besoin de « consommer local ».

En d'autres termes, l'industrie du luxe, qui a fait de son ancrage local l'un des axes majeurs de sa réussite et l'argument justifiant ses tarifs, se doit après être partie à la conquête du monde de reconquérir ses clients européens et français. Il ne suffit plus de faire briller dans les yeux des consommateurs chinois, russes ou moyen-orientaux l'éternel « chic parisien » ou le bon goût « à la française » ; encore faut-il offrir à la clientèle originelle des maisons de luxe des produits adaptés à ses besoins et à son portefeuille. Et donc proposer des vêtements, bijoux et cosmétiques correspondant sans doute moins à un désir d'étaler sa réussite sociale au grand jour qu'à celui de retrouver des produits de haute qualité, confectionnés dans des matières agréables, plus simples, plus durables dans leur conception aussi bien que dans leurs usages.

Revenir sur terre, en somme. C'est sans doute ce qu'ont oublié de faire certains grands chefs et restaurateurs étoilés qui, confrontés à la désertion des clients et aux fermetures administratives à répétition, en sont désormais réduits à appeler à l'aide les plus hautes autorités de l'Etat. Dans une lettre ouverte publiée dans les colonnes du Point, une soixantaine d'entre-eux vient ainsi de lancer un « cri d'alarme » à Emmanuel Macron, demandant au chef de l'Etat un assouplissement du couvre-feu pour les clients fréquentant leurs établissements. S'il est incontestable que la crise sanitaire et les mesures de confinement ont porté un coup, parfois fatal, aux professionnels de la restauration, certaines stars des fourneaux ne se sont-elles pas, elles-mêmes, tirées une balle dans le pied en affichant des menus à plusieurs centaines d'euros, uniquement accessibles aux ultra-riches et gourmets étrangers ? Comment, dès lors, feindre de s'étonner de la désertion de leur clientèle française ?

« Le luxe français est crédible parce qu'il a une vision »

Si les crises ont une vertu, celle-ci réside dans l'opportunité de questionner les modèles en vigueur – et le secteur du luxe n'échappe pas à cette remise en cause. « A l'heure où le luxe va se poser la question de sa résilience et de la confiance que les gens peuvent avoir en lui aujourd'hui, il ne faut pas qu'il oublie ce qui l'a ramené sous la lumière », prévient Philippe Lentschener, fondateur de l'agence Reputation Age. Pour le spécialiste en communication, l'industrie doit donc se recentrer autour de trois valeurs « décisives, au cœur de la nature du luxe » : la légitimité « par ses savoir-faire, son ancrage, son histoire » ; l'autorité, la France ayant su « hisser le savoir-faire au niveau d'art » ; et la crédibilité, c'est-à-dire « la légitimité et l'autorité propulsées par une vision ». « Le luxe français est crédible parce qu'il a une vision, un sens », conclut Philippe Lentschener. A bon entendeur.

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