« Donner et retenir ne vaut »

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Par Jacques Bichot Publié le 23 décembre 2018 à 7h25
Patrimoine Menages France 2015 Argent Inegalites
@shutter - © Economie Matin

Ce proverbe est d’une actualité brûlante. En haut lieu, on semble l’ignorer, alors qu’il devrait être inscrit en lettres d’or sur les murs des bureaux et des hémicycles où se décide la politique de la France.

Le loto patrimonial

Stéphane Bern, grand connaisseur, promoteur et défenseur du merveilleux patrimoine architectural, artistique et historique de notre pays, a été nommé en septembre 2017 à la tête d’une « mission patrimoine » : excellente idée ! Etant mieux placé que quiconque pour connaître le formidable besoin d’entretien et de mise en valeur de ce patrimoine, et constatant que l’Etat, les Régions, les Départements et les Communes sont à demi paralysés par leurs difficultés budgétaires, il a engagé le crédit qu’il possède auprès des Français pour lancer un « loto du patrimoine » susceptible de suppléer quelque peu l’insuffisance des dotations publiques.

Comme la tombola, le loto est classiquement utilisé pour réunir des fonds au profit d’actions devant profiter à une association ou à une œuvre utile à la communauté nationale : les joueurs le savent, et ils acceptent volontiers que les lots attribués aux gagnants ne représentent qu’une fraction minoritaire des mises effectuées, parce que le bénéfice est intégralement attribué à une cause qui leur tient à cœur.

La loi prévoit que ce bénéfice ne soit pas imposable. Le site servicepublic.fr nous affirme : « Les associations sans but lucratif et dont la gestion est désintéressée sont exonérées des impôts commerciaux (impôt sur les sociétés, cotisation foncière des entreprises, cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, TVA) sur les sommes recueillies lors des manifestations de bienfaisance ou de soutien (dont les loteries et tombolas). » Le citoyen est donc officiellement informé que le bénéfice réalisé sur ses achats de billets de loterie ira intégralement à la noble cause qu’il entend soutenir, comme s’il avait fait un don, à la différence toutefois qu’il ne bénéficiera pas d’une réduction d’impôt.

Or voici que l’Assemblée nationale a voté il y a quelques jours un amendement à la loi de finances visant à taxer le produit des jeux en faveur du patrimoine national. Cela a provoqué beaucoup d’indignation. Pour faire taire les protestations, le gouvernement a promis de verser une dotation compensant ce prélèvement fiscal. Nous avons ainsi deux opérations de sens contraire qui se neutralisent l’une l’autre, mais absorbent de l’énergie : quel trait de génie !!! Un mauvais génie, qui au-delà de ce cas particulier, est hélas l’inspirateur très puissant de toute notre politique fiscale et sociale.

Donner et retenir est hélas devenu un principe de base de l’organisation de nos retraites

Regardons l’organisation de notre vie : d’une main la sécurité sociale, devenue un satellite de l’Etat, verse aux Français des pensions plutôt confortables, à partir d’âges très précoces si on les compare à ce qui se passe chez nos voisins germaniques ou nordiques ; et de l’autre, elle prélève des cotisations vieillesse très élevées, qui réduisent trop fortement le revenu disponible des ménages actifs. Ne vaudrait-il pas mieux diminuer à la fois ce qui est retenu sur le gain professionnel, et consacrer moins d’argent aux pensions, non pas en rognant leur montant mensuel, mais en augmentant l’âge moyen de départ en retraite ?

Le subventionnement des transports publics

Regardons maintenant tous les services subventionnés qui nous sont proposés, par exemple en matière de transport collectif. Bien entendu, si nous payons le ticket ou l’abonnement la moitié seulement de ce qu’il faudrait pour rentabiliser les entreprises de transport, il faut en contrepartie prélever par l’impôt de quoi donner à ces entreprises les moyens de leur fonctionnement. Ne serait-il pas préférable que nous achetions nos titres de transport au juste prix, et que nous soyons moins pressurés fiscalement ?

L’importance de ce phénomène échappe à beaucoup, parce que la ponction exercée sur les revenus est pour une bonne part indirecte : les entreprises sont assujetties à contribuer au financement des transports en commun ; leur contribution n’est pas juridiquement une cotisation sociale payée par les travailleurs, mais économiquement c’est bel et bien de cela dont il s’agit : les entreprises calculent évidemment les salaires de façon à ce qu’il leur reste en caisse de quoi effectuer leur versement transport. Toute une redistribution est effectuée de cette manière, au profit de ceux qui peuvent utiliser commodément les transports en commun, et au détriment de ceux qui doivent se servir d’un engin leur appartenant.

Le financement de la formation

Terminons par le financement de la formation initiale. Cette activité mobilise un ensemble de budgets dont le total dépasse en France la centaine de milliards d’euros. Il s’agit là d’un investissement, et d’un investissement particulièrement utile, car l’homme est le facteur de production le plus important, nonobstant les fariboles que l’on peut raconter pour nous faire miroiter un monde où les robots feront tout le travail.

Cet investissement est financé par l’Etat, et donc par l’impôt, ce qui donne l’impression qu’il est gratuit. Comme disait l’ineffable François Hollande, « vous n’avez rien à débourser, c’est l’Etat qui paie ! » Au lieu de donner une apparence de vérité à cette calembredaine, mieux vaudrait que chacun soit convié, s’il veut un jour percevoir une pension, à verser son écot à une caisse de la formation initiale et professionnelle qui, en échange, lui décernerait des points du régime de retraite unifié que nous concocte Jean-Paul Delevoye. Une telle réforme remplacerait une centaine de milliards de prélèvement obligatoire sans contrepartie par une épargne ayant une finalité compréhensible par tout un chacun : préparer ses vieux jours.

Ces quelques exemples, auxquels bien d’autres pourraient être ajoutés, montrent que des gouvernants éclairés pourraient rompre avec la tendance française à la fausse gratuité appuyée sur de vrais prélèvements obligatoires. Laissons aux citoyens le soin de payer eux-mêmes une bonne partie de ce dont ils profitent en apparence gratuitement, et ils se rendront compte concrètement qu’ils bénéficient de beaucoup plus de biens et de services que la calamiteuse organisation actuelle ne leur en donne l’impression.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.