Alors que le projet de loi issu des Etats Généraux de l’Alimentation entre en séance publique à l’Assemblée nationale, quels enseignements peut-on tirer de la LME (loi de modernisation de l’économie) et de ses effets sur les relations commerciales ? A partir de ce bilan, il apparaît clairement que la nouvelle loi devra enfin s’attaquer à la vraie cause de la destruction de valeur et de sa mauvaise répartition dans la filière : le déséquilibre structurel entre l’aval concentré et l’amont atomisé.
La LME de 2008 est l’illustration d’une double erreur historique et stratégique commise à une époque où les dirigeants, probablement déconnectés de l’économie réelle, n’étaient pas prêts à vouloir changer le monde pour répondre aux attentes de ses habitants.
Ceci étant, quand une loi est mauvaise et qu’elle ne produit pas les effets escomptés, il faut savoir la changer ! En effet, l’ambition d’une loi est d’aider à transformer la société et non de défendre les acquis ou intérêts catégoriels de groupes particuliers.
Première erreur de la LME : vouloir redistribuer du pouvoir d’achat aux ménages consommateurs par la guerre des prix
La première erreur historique a été de vouloir redistribuer du pouvoir d’achat aux ménages consommateurs par la guerre des prix, c’est-à-dire clairement au détriment notamment des acteurs les plus fragiles de l’agriculture et de l’industrie française (PME) qui, par cette guerre, ont été fragilisés à un moment où il aurait fallu les renforcer ! Conséquence : beaucoup d’acteurs se sont appauvris, ont disparu même et n’ont pas eu, bien sûr, les moyens d'investir dans l’avenir aux dépens notamment de l’emploi…
Cette première erreur historique a consisté à croire que l’on pouvait développer le pouvoir d’achat, d’une part, par la destruction de valeur de notre appareil productif et, d’autre part, par la guerre des prix ! Alors que la création de valeur est le fait d’un commerce dans un cadre pacifié, c’est-à-dire dans un cadre respecté où la concurrence est loyale et équilibrée, contrairement à la guerre des prix qui s’illustre finalement par la loi du plus fort !
Au total, cette guerre des prix a contraint les distributeurs à se regrouper dans des alliances défensives à l’achat qui ont non seulement accru les pressions vis-à-vis des fournisseurs, mais surtout qui ont profité aux fournisseurs les plus forts (les grands groupes) du fait de leur puissance financière et commerciale, mais surtout de leur capacité à profiter de la mondialisation pour répondre à ces pressions. Ce qui est terrible est qu’on a laissé se développer ces regroupements (au niveau national, européen et international) contraires au jeu normal de la concurrence, en les justifiant par le fait que ces regroupements étaient sains puisqu’ils permettaient la baisse des prix au profit des consommateurs ! Quel rapport avec le jeu normal de la concurrence ?
Cet état de fait n’a même pas favorisé la croissance puisque qu’il correspond à peu près avec la fin de la consommation de masse. On peut même dire que cette situation a plutôt retardé l’évolution du « business model » de la Grande Distribution notamment par rapport à l’e-commerce, les nouvelles attentes grandissantes des consommateurs…
Deuxième erreur de la LME : sur-réglementer pour plus de protection des acteurs
La deuxième erreur historique est plus pernicieuse et est vraisemblablement issue de la mauvaise conscience collective ou de la « bien-pensance ». En réalité, conscients des effets délétères et pervers de cette 1ère erreur historique, les politiques ont voulu en limiter ses effets par des mesures réglementaires de protection des acteurs ! C’est notamment l’origine de la définition de la période légale de négociations annuelles (unique au monde !), de la convention unique dont le formalisme est extrêmement lourd et déconnecté de la réalité des relations commerciales…
Formalisme pour lequel les PME ne sont absolument pas armées pour les gérer et obtenir des contreparties, contrairement aux grands groupes. Conséquence : ce formalisme soi-disant protecteur n’a évité ni la guerre des prix, ni la loi du plus fort ! Pire, il a même précarisé les relations commerciales
dans la mesure où, chaque année, la relation commerciale est remise en cause (comme un CDD) alors que le commerce pour être créateur de valeur doit se construire sur la confiance, donc s’inscrire dans la durée (comme un CDI, ce qui n’empêche pas bien sûr, par exception, des ruptures en cas de
désajustement).
Nouvelle loi Alimentation : quelles perspectives ?
Pour gommer ces insuffisances de la LME, la nouvelle loi Alimentation qui entre en discussion devra permettre de répondre à la vraie cause de la destruction de valeur et de sa mauvaise répartition entre les différents acteurs des filières, à savoir le déséquilibre des relations commerciales entre un aval
concentré qui contrôle / domine les marchés (avec, d’une part, 4 grandes alliances qui représentent plus du 90% du CA à l’achat pour la distribution et, d’autre part, une centaine de grands groupes industriels) et un amont atomisé et dominé (470 000 agriculteurs, 17 000 PME). La guerre des prix
n’étant que la conséquence de ce déséquilibre.
L’objectif du Président Macron,étant la revalorisation des revenus de l’amont notamment agricole, passe évidemment par le rééquilibrage des relations commerciales.
Enfin, au total, ce qui compte c’est la manière de réhabiliter le commerce et les négociations commerciales qui ne sont qu’un mécanisme permanent d’ajustements entre, par exemple, les évolutions des marchés ou des matières premières. Pour cela, il faut cesser de considérer que le client distributeur
est le responsable de tous les maux et que la négociation est, par nature, un mal nécessairement conflictuel !
Il faut œuvrer pour inverser tout le processus et redonner ainsi ses lettres de noblesse au commerce, un commerce responsable et durable.