Liu He à Washington, Acte II : pas de nouveau « coup de théâtre » ?

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Par Hervé Goulletquer Modifié le 25 janvier 2019 à 10h21
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50 MILLIARDS $Donald Trump a décidé de droits de douane supplémentaires sur 50 milliards de dollars d'achats de produits chinois.

En milieu de semaine prochaine le Vice premier ministre chinois en charge de la politique économique discutera relations commerciales avec ses homologues américains. Le point est de première importance pour les marchés. Que peut-on en dire ?

Progresser dans le dossier des relations commerciales entre Chine et Etats-Unis

Balisons les principaux évènements de la semaine prochaine. A côté des statistiques économiques, qui prennent d’autant d’importance à l’heure actuelle que le marché s’interroge sur le profil précis de la croissance (et en sachant que le shutdown de l’administration fédérale américaine perturbe la production des données concernant les Etats-Unis), l’attention se portera sur la politique et la politique économique. Le mardi 29 janvier, la chambre des communes au Royaume-Uni vote sur le Plan B de sortie du pays de l’UE, présenté il y a quelques jours par la Première ministre. En revanche, le discours sur l’Etat de l’Union, que le Président américain devait prononcer devant le Congrès, est remis à plus tard pour cause de shutdown. Le mercredi 30, la Fed, la banque centrale des Etats-Unis, rendra compte des conclusions de son comité de politique monétaire. Ce même jour et le suivant, Liu He, le Vice premier ministre chinois, sera présent à Washington, dans le but de faire progresser le dossier des relations commerciales entre les deux pays.

Les deux premiers rendez-vous sont évidemment importants. Mais on pense avoir une idée plutôt claire, à défaut d’être très précise, des conclusions sur lesquels ils déboucheront. Le refus du No-Deal Brexit par le Parlement britannique, avec une interrogation sur le type d’accord souhaité (le degré de proximité demain avec l’UE). Pas de modification du réglage monétaire de la Fed, avec une attention particulière sur les décisions futures à prendre (calendrier et nombre de hausses du taux directeur, et peut-être aussi révision du rythme de réduction de la taille du bilan).

Tout est beaucoup moins bien balisé au sujet des négociations qui auront lieu entre Liu He et les officiels américains. Que peut-on en dire ?

La première idée qui vient à l’esprit est la suivante : si celui qui a la haute main sur la politique économique chinoise se rend à Washington, c’est pour faire avancer le dossier. Bref, les conditions de franchissement d’une étape, dans le sens, si ce n’est d’une résolution du différent, au moins d’une amélioration des relations, seraient réunies. Il y a au moins une raison qui incite à prendre un peu de distance vis-à-vis de cette vue constructive. Il faut se souvenir qu’en mai dernier, lors de sa précédente venue dans la capitale fédérale américaine, Liu He avait affirmé que les deux pays avaient forgé un consensus en matière économique et commerciale et s’engageaient à ne pas enclencher une guerre commerciale. Plus précisément, la Chine allait intensifier les efforts d’ouverture de son marché intérieur, de renforcement de l’attractivité du pays pour les investisseurs étrangers et de protection de la propriété intellectuelle, le tout en augmentant les importations. Patatrac, à peine quelques jours plus tard, le Président Trump décidait de droits de douane supplémentaires sur 50 milliards de dollars d’achats de produits chinois et affirmait sa volonté de restreindre tant les investissements directs chinois aux Etats-Unis que certaines exportations américaines en Chine.

La Maison Blanche devrait rechercher un accord

Passons maintenant de l’approche analogique à quelque chose de plus analytique. Il faut sans doute faire une distinction entre la dimension politique et celle davantage centrée sur les aspects concrets (le commerce, les transferts de technologie …).

En matière politique, deux aspects sont à prendre en compte. Le premier va dans le sens d’une volonté partagée d’une résolution des différends en cours, le second, moins. On l’a dit et redit, les deux pays ont besoin d’une croissance économique à la fois pérenne et à un niveau satisfaisant. Les Président et Vice-président chinois l’ont rappelé au cours des derniers jours. Quant au locataire de la Maison Blanche, un environnement économique porteur est un paramètre important dans sa capacité à franchir l’obstacle de sa réélection en fin d’année prochaine. Quittons donc l’économie et disons deux mots de la diplomatie. Celle de Pékin a bien sûr évolué, le temps passant et le poids de la Chine dans les affaires du monde, augmentant. Il n’empêche que les principes, de non-ingérence, de coexistence pacifique et de coopération bénéfique de part et d’autre, restent en place. Mais ils se mâtinent dorénavant de messages sur la vision made in Beijing des relations internationales : la conscience des racines historiques, les changements ne peuvent qu’être progressifs et … la prise de conscience par tous du rôle de la Chine. Les lignes de force de la politique étrangère de l’Amérique de Trump sont plus difficiles à définir. Mais ce qu’on en perçoit n’envoie pas une image de stabilité. Peut-être d’ailleurs que Liu He en sait quelque chose ! Décrivons-la en trois points : il n’y a ni ami ni ennemi attitrés ; les relations sont transactionnelles et non fondées sur la profondeur des liens passés ; le but est d’en retirer un avantage immédiat (le plus souvent commercial ou diplomatique). Essayons de faire une synthèse entre ces deux dimensions. Comment ne pas conclure que la contrainte du maintien d’un certain niveau de croissance et la recherche d’un avantage immédiat devrait inciter la Maison Blanche à rechercher un accord ? Accord que les Chinois sont très vraisemblablement désireux de trouver.

Passons à la substance, c’est-à-dire au fond des discussions en cours. L’Administration Trump veut à la fois un rééquilibrage des échanges commerciaux, un arrêt du « pillage » des avancées technologiques américaines, un comportement équitable des autorités chinoises vis-à-vis des entreprises étrangères et une politique industrielle moins volontariste. Pour les autorités chinoises, le dernier point est le plus difficile à résoudre. Comment remettre en cause ce qui est l’alma mater du développement économique depuis 40 ans ? Sur les autres sujets, Pékin propose des avancées. Ainsi plus tôt dans le mois, le comité permanent du bureau politique (la plus haute instance de décision du Parti communiste) a discuté d’un projet de loi qui modifie l’encadrement des investissements étrangers en Chine et couvre les sujets sensibles de la propriété industrielle, des transferts « forcés » de technologie et de l’égalité de traitement entre entreprises chinoises et non-chinoises.

Alors que va-t-il ressortir de la visite de Liu He à Washington ? Le choix des possibles est entre échec des négociations, poursuite de celles-ci ou accord (partiel ou complet). Faisons le pari que l’une des cases, « poursuite » ou « accord partiel », sera cochée !

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Hervé Goulletquer est stratégiste de la Direction de la gestion de La Banque Postale Asset Management depuis 2014. Ses champs d’expertises couvrent l’économie mondiale, les marchés de capitaux et l’arbitrage entre classe d’actifs. Il produit une recherche quotidienne et hebdomadaire, et communique sur ces thèmes auprès des investisseurs français et internationaux. Après des débuts chez Framatome, il a effectué toute sa carrière dans le secteur financier. Il était en dernier poste responsable mondial de la recherche marchés du Crédit Agricole CIB, où il gérait et animait un réseau d’une trentaine d’économistes et de stratégistes situés à Londres, Paris, New York, Hong Kong et Tokyo. Il est titulaire d’une maîtrise d’économétrie, d’un DEA de conjoncture et politique économique et diplômé de l’Institut d’Administration des Entreprises de Paris.

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