Liebe Angela, Je t'écris pour échanger vraiment. Ces réunions à Bruxelles m'épuisent. Impossible de faire le moindre humour ni d'esquisser la moindre tactique afin de subdiviser pour régner, comme j'aimais tant le faire au PS. Et tout est en Anglais ! Donc je te parle « cash ».
D'abord, ce que j'ai tenté ne marche pas. Tu le sais, j'ai systématiquement défait ce qu'avait fait mon prédécesseur – et m'en mords les doigts, d'autant qu'il en avait payé le prix politique... en me permettant de passer ! Bêtise d'avoir défait la TVA sociale : c'était la bonne façon pour réduire le déficit public en augmentant l'impôt de façon indolore. J'ai donc dû lancer le CICE, qui ne va pas et que je ne puis arrêter. Bêtise d'avoir défait la réforme territoriale pour généraliser les compétences sur tout à toutes les instances régionales. Maintenant, je diminue le nombre de régions en spécialisant plus encore qu'avant les compétences et m'interroge sur les départements (que je vais garder car j'ai besoin de... M. Baylet). Bêtise d'avoir tant augmenté les impôts au nom de l'inusable « réduction des inégalités » (chère à mon électorat) au point d'arrêter l'investissement, de faire brûler des hôtels des impôts et de voir mis à bas des portiques d'écotaxe (je sélectionne).
Bêtise d'avoir tenté de te « corneriser », de t'avoir accusée de négliger la croissance européenne, de sous-investir, de ne pas te soucier du futur de ton pays vieillissant (alors que je viens de taxer, ici, les familles nombreuses aisées).
Bêtise d'avoir tenté de te mettre en minorité en réunissant mes camarades socio-démocrates avant les grandes réunions européennes... Bêtise d'avoir politisé les décisions européennes, la BCE, et tout ce qui dépendait de mon budget, alors qu'il s'agissait ni plus ni moins de respecter les accords que j'avais signés.
Bêtise, surtout, d'avoir politisé la relation Franco-Allemande, alors qu'elle est un invariant stratégique de la construction européenne. Avec moi, il ne s'est plus seulement agi de critiquer cette "Bruxelles" qui nous pousse à l'austérité, après avoir poussé la Grèce à la misère, mais de te critiquer – toi. Toi qui gèrerais de manière égoïste ton pays, sans voir que dans quelques années tes succès à l'exportation vont s'arrêter, faute de mains allemandes ! Toi qui ne penserais pas assez aux autres, dans l'union monétaire et bancaire ! Entschuldigung ! Sorry ! Désolé !
Pour en sortir, la seule voie est de me rapprocher vraiment de toi, pour convertir la France à « l'économie sociale de marché ». Valls a commencé, Jean Pisani continue et, comment te le dire aussi directement que je puis (tu me connais, avec mon sens de la décision) : « je n'y suis pas hostile ». Mais quel retard ! Et je vais entendre mes amis répéter mon : « je n'ai qu'un ennemi, la finance sans visage » et me dire que l'objectif central d'une politique économique socialiste est la réduction des inégalités. Dans l'économie sociale de marché, je serais comme un poisson dans l'eau. Mais je n'arrive pas à m'y résoudre. Au fond, en matière de choix stratégiques, je suis comme en matière d'amies.
Et pourtant, il va falloir avancer. Ce serait tellement bien de continuer avec toi (après Sarkozy !) sur l'harmonisation des bases fiscales entre nos deux pays, pour peser ensuite sur les autres, Luxembourg et Irlande en tête. Ce serait tellement bien de mener ensemble de grands sujets : investissement, santé, vieillissement, énergie, économie circulaire, Internet européen (auquel tu tiens tant), frontières, défense. Une belle liste. Avancer sur ce programme t'aiderait sans doute, me sauverait surtout.
Toi et moi sommes l'armature de la zone euro, celle qui fonde sa crédibilité. Toi plus que moi, j'avoue. Je sais que tu sais que je l'ai affaiblie et que je dois réduire la dépense publique, autrement dit le nombre de fonctionnaires, et soutenir le profit privé, autrement dit flexibiliser le marché du travail. Mais quand je te vois, je me dis que tu es là parce que Schröder l'a fait, au risque de perdre les élections. Quand je te vois, je vois ce qu'il me faudrait faire pour entrer dans l'histoire, au risque de perdre mon élection. Mais c'est le choix inverse qui me tient. Aide-moi !
François
Article initialement publié sur le blog de Jean-Paul Betbèze et reproduit ici avec l'aimable autorisation de son auteur