Les syndicats rongeront-ils l’os des ordonnances tendu par Macron ?

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Par Eric Verhaeghe Modifié le 23 mai 2017 à 16h36
Cgt Code Du Travail Ordonnance Macron
@shutter - © Economie Matin
35 000Il n'y a que 35 000 accords d'entreprise par an en France.

Emmanuel Macron a annoncé qu’il recevrait les syndicats ce mardi pour discuter des fameuses ordonnances sur le marché du travail qu’il promet depuis plusieurs mois. Celles-ci, scénarisées à l’extrême par le pouvoir, paraissent singulièrement sous-dimensionnées pour justifier un tel émoi. Tout l’enjeu des prochaines semaines est de savoir si les organisations syndicales tomberont dans le piège tendu par le pouvoir pour les discréditer et affermir une autorité présidentielle à la recherche de succès symboliques.

Pourquoi les ordonnances sont-elles si prioritaires ?

On ne peut rien comprendre aux ordonnances si l’on n’a pas en tête les recommandations de la Commission à la France dans le cadre du Pacte de Stabilité : la réforme du marché du travail y figure explicitement comme un objectif prioritaire pour 2017. C’est même une sorte de marotte, ou d’antienne superstitieuse, reprise en coeur par les ordo-libéraux européens. Par exemple, Wolfgang Schaüble, le cruel ministre allemand des Finances, a redit au Spiegel le 12 mai qu’il s’agissait d’un enjeu de crédibilité pour Emmanuel Macron.

Le nouveau Président sait donc qu’il joue sa crédibilité internationale sur cette affaire – en tout cas sa crédibilité européenne. Il ne cédera donc rien sur le fond ni sur la forme. Puisque les Français ont choisi de voter pour l’engagement européiste, ils en souperont jusqu’au bout.

Ces ordonnances sont-elles utiles?

Les réformes prévues par ces ordonnances valent-elles vraiment la peine qu’on mette le pays à feu et à sang pour les combattre?

D’un point de vue économique, le combat qui se prépare n’a évidemment aucun sens. Il faut confondre l’économie politique avec la tarologie pour croire une seule minute que l’inversion de la hiérarchie des normes permettra, par magie, de régler la question du chômage. Rappelons que les entreprises qui recrutent le plus seront exclues du dispositif prévu par le Président.

Les entreprises de croissance ne disposent en effet d’aucun moyen ni légal ni réel pour négocier des accords. Permettre à ceux-ci de déroger à la loi n’aura donc que peu de conséquence positive sur l’emploi.

En revanche, l’accent mis sur l’accord d’entreprise bouleverse la culture anarcho-syndicale pour laquelle l’entreprise ne peut jamais être un lieu de négociation, mais doit être un lieu d’affrontement.

L’enjeu des ordonnances n’est donc pas de lutter contre le chômage. Il vise plutôt, outre la satisfaction donnée aux partenaires européens, à tourner une page, à préparer une recomposition syndicale au profit des délégués locaux et au détriment des appareils nationaux. Les confédérations ne s’y sont pas trompées.

Les ordonnances, un os à ronger

Sur le fond, la stratégie des ordonnances relève donc plus du champ symbolique et politique que du champ économique. Le Président ne peut ignorer que la simplification administrative ou la baisse de la charge socio-fiscale qui pèse sur les entreprises auront plus de poids pour lutter contre le chômage que la mécanique du dialogue social. Rappelons que la France compte plus de 2 millions d’entreprises et seulement 35.000 accords annuels dans celles-ci, dont la plupart ne sont pas des accords de flexibilité. C’est dire si le dialogue social a un poids marginal dans le chômage.

Certes, Macron s’est entouré d’une couche de technocrates qui n’ont qu’une connaissance théorique de la décision économique qui conduit à recruter en entreprise. Ceux-là soutiennent une doctrine abstraite selon laquelle le plein emploi passe par la « flexibilité » dont parlent les ordonnances. C’est ce brouillard idéologique qui donne tant d’importance à celles-ci.

Mais les entrepreneurs savent qu’ils décident de recruter lorsque leurs marges le leur permettent, et lorsque leurs perspectives de rentabilité rendent cet acte possible. Le poids du droit du travail dans cette option est minime.

Au final, la querelle qui devrait commencer ne constituera donc rien d’autre qu’un os à ronger, un appât pour attirer les organisations syndicales dans un bras de fer gagné d’avance. Sarkozy avait utilisé la même technique avec la fusion des régimes sociaux, qui avait ultimement nourri l’illusion qu’il dominait la rue.

Ce que les syndicats peuvent gagner à ne pas s’opposer frontalement à Macron

Plutôt que d’entrer dans une stratégie d’affrontement sans avenir, les organisations syndicales ont bien compris qu’elles avaient mieux à faire. Philippe Martinez, de la CGT, a par exemple annoncé qu’il proposerait à Emmanuel Macron dix mesures à prendre. Si le Président se montre à l’écoute, la CGT modérera son opposition au texte des ordonnances.

La même indulgence, moins implicite mais aussi profonde, vaudra de la part de FO.

Cela ne signifie pas qu’il n’y aura pas de manifestation contre les ordonnances. Il faut bien faire illusion et bercer la base de quelques croyances naïves. Mais les états-majors sauront arrêter le conflit au bon moment, lorsque les premiers signes de pourrissement rendront sage le retour dans les rangs .

Tout le problème est de connaître le contenu des accords secrets qui se préparent, et de savoir si la base débordera ou non les états-majors.

Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "