En matière de placement en parts de capital social, c’est ou bien l’offre de plus-value ou bien l’offre de rendement qui prime. Que vaut-il mieux ?
Le moyen idéal de financer le développement d’une entreprise serait l’autofinancement, aujourd’hui présenté de façon quasi systématique comme préférable à la distribution des bénéfices. Verser sous forme de dividendes le plus gros des gains nets de l’exercice, puis en règle générale procéder à une augmentation de capital en vue d’investir ou même seulement de renforcer le fonds de roulement, serait une solution plus coûteuse, moins pratique, sans intérêt systémique.
Cette opinion peut avoir des justifications fiscales. Si l’imposition des plus-values est moins lourde que celle des dividendes, on comprend que les actionnaires comme les dirigeants de l’entreprise et leurs conseillers aient tendance à privilégier l’autofinancement comme moyen d’augmentation des fonds propres. Et cette impulsion est accentuée si, comme le projet en a été avancé en France, le taux de l’impôt payé par les entreprises sur leurs bénéfices devient plus élevé pour la tranche qui est distribuée en dividendes que pour celle qui ne l’est pas. Raisonnons donc comme si le législateur et le ministère des finances ne cédaient pas aux sirènes qui incitent les élus et les grands commis de l’État à privilégier par la fiscalité une vision partiale de la rationalité économique. La réalité ordonne de voir que le capitalisme de plus-value ne concerne qu’un sous-ensemble des sociétés commerciales. Le capitalisme de rendement est, lui, applicable à l’ensemble des entreprises, dont toutes les coopératives et les mutuelles à vocation commerciale. L’intérêt général commande de reconnaître l’existence de deux dynamiques de financement par fonds propres des entreprises.
La constitution de réserves, de préférence à l’augmentation du capital social, est certes une solution plus accommodante en cas de revers de fortune ultérieur. L’amputation du capital social est une opération qui entraîne davantage de formalités que l’apurement d’une perte par ponction sur les réserves. Mais une perte n’est-elle pas une circonstance grave, qui mérite toute l’attention des actionnaires, même si elle n’est pas inquiétante à court terme ? Il ne s’agit pas de prôner une sorte d’intégrisme excluant toute constitution de réserves, en sus de celles qui sont d’ores et déjà obligatoires. Pour autant, une vérité élémentaire ne doit plus être aussi couramment passée sous silence qu’elle l’est. Tout exercice clôturé sur une perte réelle, même relativement minime, se solde en réalité par une baisse du capital social exploité, toutes réserves comprises.
En tout état de cause, il serait sain que les actionnaires aient le choix entre réinvestir la part de bénéfice qui leur revient dans la même société, ou dans une autre, ou de l’utiliser pour des opérations de nature différente (consommation, dons), c’est leur affaire et leur responsabilité civique. Des actionnaires bien traités sont en général fidèles, et s’ils sont sollicités ils réinvestissent volontiers le montant de leurs dividendes ou davantage dans la société qui leur a procuré cette source de revenu. Mais ce nouveau placement d’épargne doit être un acte vraiment libre, posé de manière personnelle plutôt que décidé en bloc par un conseil d’administration et une assemblée générale. La devise de la République française comporte, en premier, le mot « liberté ».
Cette liberté est très favorable à l’efficacité. En effet, une dose importante de concurrence est requise pour le bon fonctionnement de l’économie. Il est donc souhaitable que le marché des fonds propres soit un marché ouvert, c’est-à-dire que Mme Dupont soit libre de réinvestir dans la société Y le coupon versé par la société X. Le recours systématique à la mise en réserve de la majeure partie du bénéfice fait obstacle à cette saine concurrence.
L’économie de casino est un pis-aller
Par ailleurs, les fonds de pension sont de gros investisseurs en actions. Personne, excepté des agioteurs qui se trouveraient faire partie de leurs équipes de gestion, n’a intérêt à ce que ces investisseurs soient des actionnaires versatiles, consacrant une part excessive de leur activité à vendre et acheter des valeurs mobilières. Il y a un quart de siècle, des économistes libéraux appelaient de leurs vœux le développement des fonds de pension parce qu’ils constituaient à cette époque des actionnaires stables, exerçant sur les entreprises dont ils étaient actionnaires une influence de « bons pères de famille ». Aujourd’hui, la durée de rotation de leur portefeuille est de l’ordre d’un an, chaque action étant en moyenne vendue douze mois après avoir été achetée. Est-ce de cela dont nous avons besoin pour la retraite par capitalisation ? Certainement pas !
Le rendement constitue un véritable revenu qui procure à l’actionnaire de quoi acheter des services et des biens en échange de ceux que ses apports ont contribué à produire. Par sa propre prestation de service, l’épargnant placeur en capital social agit vraiment en tant que producteur, comme les travailleurs. Il n’en va pas de même dans le cas des plus-values, dont on montre assez aisément qu’elles sont non pas des créations de pouvoir d’achat, mais des transferts entre des agents qui ont eu des anticipations divergentes ou qui sont soumis à des contraintes différentes. L’offre de rendement venant de l’entreprise qui se charge de le procurer est honnête dans son principe. L’offre de plus-value est, elle, une perspective à concrétiser par une tierce partie, ce qui la ramène au rang des promesses qui n’engagent que ceux qui y croient. La transformation de notre modernité en une vaste salle de jeu où l’on compte sur les plus-values pour faire fortune nous fait entrer dans l’avenir à reculons.
Dans une entreprise en nom personnel, le propriétaire gérant a tout intérêt à surveiller de près quel est le rendement de ses mises en capital. Prenons de la hauteur. Outre qu’un atout majeur du capitalisme de rendement est d’être universel, la plus insigne faiblesse de la priorité donnée à la plus-value au détriment du rendement est systémique. L’analyse économique, du type de celle que livre le site lecodemain.net montre, en effet, que le capitalisme de rendement est structurellement apte au plein-emploi alors que le capitalisme de plus-value, forcément exposé à de la captation très inégalitaire, ne l’est pas.