Politique économique, libérer la société civile – Les secours économiques sont une chose, les sécurités économiques en sont une autre. Les secours sont fournis par des transferts de pouvoir d’achat et d’autres dons.
Les sécurités ont pour instrument le plus viable des échanges marchands de primes ou d’abondements périodiques contre des prestations.
Ce dernier instrument a toujours recours à la mutualisation actuarielle, à savoir à la répartition entre les assurés d’un coût évalué au moyen de tables de probabilité établies par des actuaires. L’art de faire société devient plus clair quand il est couramment enseigné que la sécurité économique n’est en soi ni plus ni moins sociale et morale que l’ensemble des échanges marchands, comme le secours économique n’est en soi ni plus ni moins social et moral que la pratique de ces échanges. S’ajoute à cela que : 1) dans une société libre, le secteur public n’a pas l’exclusivité des services rendus au public ; 2) dans une société démocratique la séparation des pouvoirs règne partout, y compris dans le secteur privé où, comme dans le secteur public, le législateur avisé interdit aux entreprises de diversifier à l’infini leurs activités… mais aujourd’hui cette fonction du droit du commerce est en déliquescence.
La discipline du capital variable, ses bienfaits potentiels
Dans les actions, quand ce mot désigne des parts de capital social, il y a celles qui sont restituables, au côté de celles qui sont négociables (Economie Matin du 13 avril 17, avec dans les deux cas celles qui sont en pratique difficiles ou même impossibles à liquider par l’épargnant qui en détient). Une action n’est vraiment restituable que lorsqu’une formalité simple à effectuer suffit à obtenir le remboursement du placement dans un délai court. Seules peuvent fournir ce service des sociétés dont les conseils d’administration mettent délibérément en œuvre ce qu’implique un capital social variable, y compris pour ce qui est des dividendes à verser aux détenteurs de parts de ce capital lorsque la société est bénéficiaire ; donc des sociétaires, des administrateurs et des directions générales qui ne mettent pas dans le même sac le capitalisme de plus-value et le capitalisme de rendement (Economie Matin du 27 octobre 16).
Pour mieux assurer la fourniture de soins médicaux et de logements à loyers modérés, il faut du capital et du profit, aux sens univoques de l’un et l’autre de ces concepts en économie objective. Plus largement, pour mieux assurer la fourniture de sécurités économiques, il faut du capital social, faute de quoi l’autonomie de cette fourniture par rapport aux appétits de pouvoir de la puissance publique et de l’industrie financière se révèle impossible à établir et perpétuer. Plus précisément, il faut du capital social par actions restituables en assez grande abondance, ce dans tout le domaine des services commerçables au public lorsque ce dernier trouve majoritairement préférable leur production par des sociétés privées à propriété collective (explication) dont le financement permanent provient de leurs seuls sociétaires (toute personne physique qui le désire) par placement direct d’épargne en capital qualité retraite. Que les hôpitaux universitaires et intercommunaux, ainsi que les services de poste sur tout le territoire, aient entre autres pour structure économique de telles sociétés ne se trouve à l’extérieur que du schéma dans lequel les fonctions du capital et du profit en économie désidéologisée ne sont pas prises en considération – où il n’y a de capitalisme reconnu tel que voué à la captation de plus-values et où l’étatisation conduit à déployer une bureaucratie que son grossissement incline à minimiser l’effet macroéconomique du cofinancement chronique de ses charges par de l’endettement (sur cet effet, Economie Matin du 14 décembre 17).
Les sécurisations économiques rendues obligatoires par le législateur ne nécessitent pas l’étatisation de leur fourniture
Que deviennent constituées en sociétés par actions restituables d’une part les organismes d’assurance obligatoire sur les conséquences financières de maladies, de l’enfantement, des accidents du travail ; de la perte d’emploi ; d’autre part d’un régime unique de retraites à la carte par transfert (Economie Matin du 17 janvier 18) et d’une non moins unique caisse mutuelle d’allocations familiales ? Cette forme de désétatisation peut fort bien fonctionner, avec bien davantage de retombées positives sur le reste de l’économie, si deux transformations l’ont préparée. L’une concerne l’instauration de publicités sur le financement et la rentabilité des entreprises de toute sorte, l’autre la levée des entraves à l’égalisation des rentabilités de même appartenance. En économie libre assez complètement conçue, la concurrence est un principe général d’organisation qui n’est convenablement décliné que moyennant ces deux innovations.
Ce n’est certainement pas la technicité de ces réformes et d’autres de même veine d’où provient le peu d’empressement à s’en emparer. Cette veine-là se met en exploitation moyennant une réorientation de l’économie politique. Répandre la connaissance de la possibilité et de la nécessité de cette réorientation butte bien entendu sur de la résistance tant au changement d’idées directrices qu’à la mise en cause d’intérêts corporatistes, tant dans le secteur public que dans le secteur privé. Car de cette réorientation qui est vers davantage de maturité économique et ce faisant sociale, on peut certes attendre, lorsque de plus en plus nombreux enseignants et chercheurs et publicistes s’en seront emparés, moins de vulnérabilité de l’économie de marché à des crises d’origine financière, ce qui passe aujourd’hui par une réduction sensible des pouvoirs de la haute finance tant privée que publique.
Vers plus ou moins d’étatisation, de mercantilisation et de déresponsabilisation
Dans mon Précis d’économie objective, le titre du dernier chapitre de la partie sur la politique économique sonne comme un slogan de campagne électorale : Libérer la société civile. Ce genre d’affichage donne à redouter plus d’intentions creuses et de vues démagogiques que d’initiatives concrètes et convergentes. La première des deux orientations majeures préconisées dans ce chapitre est d’ouvrir les privatisations à des sociétés par actions restituables. La seconde est de poursuivre jusqu’à son terme la désétatisation des fournitures commerçables de sécurités économiques.
C’est cohérent avec la défiance dans la primauté accordée à la plus-value, qui est la voie de la mercantilisation débridée, et avec la confiance de principe dans le capitalisme de rendement, potentiellement plus respectueux des déterminants logiques des valeurs d’échange marchand (Economie Matin du 23 novembre 17). Plus largement, c’est cohérent avec tout le reste du réalisable détecté par la science économique de base (Economie Matin du 29 décembre 16). De cette détection ressort en effet deux images animées, mais inversées. Dans l’une, grâce à l’innovation de l’économie politique définie l’art de faire société produit en peu de générations moins d’étatisation, moins de mercantilisation et moins de déresponsabilisation. Dans l’autre, la modernité aux manettes s’obstine à voir une fatalité, pour l’essentiel par les confusions mentales dans lesquelles elle s’enfonce en affaires économiques. Sur cette pente, savonnée par l’économie politique néoclassique plus ou moins teintée de malthusianisme et de marxisme, devenue le grand tobogan de la finance vouée avant tout à la captation de plus-value, les sociétés humaines ne pourraient plus aller que vers davantage d’étatisation, de mercantilisation, de déresponsabilisation, ainsi que de déstabilisations. Tant que cet asservissement au présent restera aussi répandu qu’il l’est, ses instigateurs continueront à ne pas croire du tout qu’ils préparent leur discrédit en tenant pour impossible de changer à ce point de cap.