Les échanges monétarisés (dont trocs calés sur des égalités de valeur monétaire) existent et jouent un grand rôle, de même que les transferts de termes de ces échanges, les uns volontaires (dons) et les autres forcés (impôts, successions). C’est on ne peut plus certain. Partant de là, une piste conduit à d’autres certitudes, dont celle de la supériorité conceptuelle et politique de l’économie strictement définie.
Les échanges et les transferts économiques coexistent et ne peuvent que coexister. Le système entretenu par leur pratique conjointe constitue un sous-système de la vie sociale. Certes tout ce que nous sommes et croyons être intervient dans nos manières de faire société, ce qui incline à penser que ce sous-système n’est étudié pour ce qu’il est que sous le primat de considérations sur la condition humaine. C’est une illusion. Par définition ce qui est propre à un sous-système n’appartient qu’à lui, y compris en l’occurrence à raison des interventions dans son pilotage de la subjectivité collective. À cause de cela, la discipline de théorisation et d’action appelée « économie politique » est bien nommée. Elle inclut, quand on ne s’acharne pas à la dévoyer, 1/ pour la théorisation la science économique (Economie Matin du 1er décembre 2016), 2/ pour l’action la politique économique (Economie Matin du 8 décembre 2016). L’économie politique ainsi entendue n’a pour objet que ce qui est spécifique à la pratique des échanges monétarisés et des transferts de valeur d’échange de cette sorte, la mécanique de créances et de dettes qui en résulte comprise. L’économique n’est rien de plus pour elle. La supériorité de l’économie politique strictement définie vient de là, par toute une série de faits dont voici quelques aperçus.
De vérités en vérités, davantage de clarté
Une théorisation du sous-système économique de la vie sociale est captieuse dans le cas suivant. Elle ne prend pas appui sur une définition de l’ensemble des marchandises, assortie d’une division exhaustive de cet ensemble en catégories homogènes, cette définition et cette division étant assez poussées pour être recevables en logique des ensembles finis. Car en réalité le sous-ensemble économique des actes sociaux est bel et bien fini : les affaires de marchandise et d’argent ne sont pas le tout naturel de nos vies et de nos sociétés, l’économique qui est trop ne peut que virer au grand n’importe quoi, y compris environnemental. Assumer la finitude qui vient d’être rappelée dissout les emprises faussement adverses du libéralisme mercantiliste et du socialisme étatiste. L’économisme étant à l’économie ce que le scientisme est aux sciences exactes, il réduit la condition humaine à ce qu’il est inhumain d’en faire. Il bafoue sans vergogne le bon sens sur ce qu’est un marché en soutenant qu’il y en a finalement un partout où se rencontre une offre et une demande, donc y compris en matière électorale et conjugale et religieuse entre autres actions qui se déroulent sur la scène des affaires humaines. En économie strictement définie, il n’y a de marché que là où se rencontre en tant que tels des vendeurs et des acheteurs de marchandise (services et biens) ou de créances qui ont une valeur d’échange marchand. C’est simple, c’est clair, c’est libérateur.
Par rapport aux économismes de toute tendance, en économie strictement définie davantage de vérités sur l’appareil étudié sont cernées et soupesées. C’est particulièrement manifeste non seulement pour les marchés, mais aussi notamment pour les revenus, la rentabilité, la productivité et la profitabilité. Tant que ces désignations restent en analyse économique des notions d’où n’ont été qu’apparemment tirées des concepts assurément vrais, deux problèmes cruciaux restent mal élucidés. L’un est celui du cours normal de la répartition des revenus, et par ricochet de l’évolution normale au long cours des inégalités des patrimoines privés – rien de moins, donc, que la répartition avant toute redistribution de moyens économiques entre les foyers. L’autre problème crucial est celui du juste prix des services et des biens vendus par les entreprises – rien de moins, donc, que la résistance au pullulement de procédés mensongers. La théorie des valeurs d’échange marchand, profits et salaires compris, qui charpente l’économie politique strictement définie montre qu’il existe bel et bien une solution assurément vraie à chacun de ces problèmes, et à plusieurs autres mitoyens qui restent manifestement mal résolus. La conception de l’économie de marché qui tient aujourd’hui le haut du pavé est à remplacer pour débarrasser la vie politique et les prises de position syndicales de sottises sempiternelles sur la fiscalité et ses usages, ainsi que plus largement sur l’ordre public en matière économique. Il n’y a rien de positivement scientifique, civique et humaniste qui justifie de s’arc-bouter à une économie politique originellement viciée.
Le marginalisme et le monde du silence
L’économiste en tant que tel serait compétent sur n’importe quel service rendu ou quelle astreinte imposée ou quel sévisse infligé par qui que ce soit à qui que ce soit. Ce débordement est d’autant plus ravageur qu’il s’accommode de contrevérités. Par exemple, soutenir que les prestations publiques ont des prix forfaitairement facturés par des taxes et d’autres impôts paraît bien vu. Pourtant, c’est fautif. Un prix est en économie objective une valeur d’échange marchand, comme le sont par exemple les prix des pains vendus par les boulangers. Mais on veut nous faire avaler que la préparation, par un membre de la famille, d’un repas pour les autres membres et lui a une valeur économique, comme n’importe quoi d’autre qui a une utilité (valeur d’usage). Un service ou un bien n’a une valeur économique (valeur d’échange) que s’il est destiné à être vendu et que s’il l’est effectivement en règle générale, comme le sont les productions du céréalier, du minotier et du boulanger. La confusion des valeurs, cette fois dans tous les sens de ce mot, n’est faste qu’à la répression de distinctions avérées. L’ingénieuse invention de l’utilité marginale est une solution fallacieuse au problème mal posé de la cherté, cette solution conduisant à – nous y sommes ! – un monde délirant parce que la discipline des prix y est de plus en plus évanescente alors que la manipulation d’affects y est de plus en plus omniprésente.
C’est, en effet, sur le marginalisme et son parti pris comportementaliste et utilitariste que repose la théorisation néoclassique et, par elle, l’économie politique de nos jours en vigueur. Ses fondamentaux confortent trop d’inepties. Il y a, par exemple, celle selon laquelle le temps de travail serait une denrée économique qui pourrait faire l’objet d’une répartition – le « partage du temps de travail » dont l’illusion détourne de l’officialisation de la fonction principale des écarts de salaire, cependant que ce détournement entretient un lourd déni de justice économique (Economie Matin du 12 janvier 2018). Il y a, autre exemple, la croyance que le cofinancement des charges publiques par de l’endettement n’est pas pénalisant tout de suite (Economie Matin du 14 décembre 2017). Plus insidieusement, les fondamentaux du marginalisme rendent impossible de faire franchir à ce courant d’analyse le seuil d’une science exacte des prix, méthodologiquement parce que la théorie néoclassique de la valeur est une pétition de principe (Economie Matin du 16 février 2017). L’approche objectiviste change la donne, si elle est encadrée par l’astreinte à des définitions recevables en logique des ensembles finis chaque fois que le réel élémentaire le permet. Toutefois, faut-il s’empresser d’ajouter car l’histoire des théories institutionalisées l’enseigne, on doit s’attendre à ce que des corps constitués repoussent cette approche en lui opposant leur silence d’autorités qui ont officiellement voix au chapitre – silence, au demeurant, que des imbus de leur statut subventionné intiment à ceux qui ne veulent ou ne peuvent pas passer sous les fourches caudines de comités de lecture cooptés, voir de Pierre Cahuc et André Zylberberg Le négationnisme économique et comment s’en débarrasser (Flammarion, 2016).
Le futur de l’économie politique réorientée
Le présent de l’économie politique assez strictement définie pour la rendre aussi objective que possible est celui d’une proposition en attente de sélection. Pour que cette sélection progresse, il faudra le dévouement de professeurs, de chercheurs, de publicistes et d’autres rebelles à la servitude volontaire distillée par le mercantilisme néolibéral et le darwinisme social, fomenteurs tant de la priorité allouée aux captages de plus-value (Economie Matin du 27 octobre 2016) que des surcroîts d’étatisation qui seraient un bienfaisant « en même temps » (Economie Matin du 24 janvier 2018). Si la percée de l’économie politique réorientée dans le sens qui vient d’être indiqué reste à jamais hors d’atteinte, ce sera à coup sûr parce que trop peu aura été fait pour rendre son contenu captivant et revigorant.
À cette fin, il faudra sans relâche viser de la vulgarisation de haute qualité didactique, sur fond de vérifications elles-mêmes de haute qualité méthodologique : absence de contradiction au sein du corpus théorique, conformité aux faits sans escamotage des distinctions qu’ils impliquent, usage scrupuleux de données et de modèles numériques, jugements de valeur subordonnés à des jugements de fait impartialement instruits, aspiration à un langage mieux fait. Face à ce possible, le dévouement ci-dessus évoqué fera selon son intensité et sa pérennité qu’il y aura ou il n’y aura pas assez d’esprits qui se rendront à la supériorité certaine de l’économie strictement définie – je n’ose pas dire de cette supériorité qu’elle est civilisationnelle, bien que je ne voie pas ce qu’il y a en l’occurrence d’excessif dans cette qualification.