Certains les ont nommés « les premiers de corvée ». En pleine pandémie, leur assiduité a permis d’éviter l’arrêt complet du pays et d’assurer les services essentiels. Le 20 mars, Bruno le Maire, ministre de l’Économie, demandait aux enseignes de la grande distribution de récompenser leurs employés par une prime de 1000 euros. Deux mois plus tard, malgré les annonces positives des grands du secteur, les modalités pratiques de distribution de la « prime covid » ont fait de nombreux mécontents.
L’ampleur du dispositif est pourtant sans précédent : plus de 65000 employés sont potentiellement concernés chez Auchan contre 85000 chez Carrefour par exemple. La facture sera donc salée pour un secteur qui, s’il a profité du confinement pour engranger les ventes, reste structurellement fragile. Avant la crise, les nuages s’amoncelaient sur la grande distribution avec des pertes records chez Auchan et un plan de sauvegarde drastique chez Casino. Pour les employés, préparateurs ou agents de caisses, cette annonce pouvait ressembler à une promesse un peu trop belle.
Les nuances et les déceptions ont vite succédé aux annonces. En déclarant que la prime serait pondérée par la durée réelle du temps de travail, Auchan jette un premier pavé dans la marre. Dans un secteur où les temps partiels sont légions, une telle décision, en diminuant la facture pour l’enseigne a créé de sérieuses disparités entre ceux et celles qui ont continué leur activité malgré les risques.
Même constat chez Casino : « il y a des règles d’exclusion sur les congés payés, les heures de récupération, tout ce qui est absences diverses sur cette période de huit semaines, du 16 mars au 10 mai 2020. Nous trouvons toutes ces règles d’exclusion déplorables. » déclare la CGT.
Pas de tels calculs chez Carrefour : quel que soit leur temps de travail effectif, les salariés recevront la même prime. A une exception cependant : les renforts de dernière minute comme les intérimaires recevront une prime tenant compte de leur date d’arrivée.
Pourtant les disparités les plus importantes ne naitront pas de ces calculs sourcilleux, mais de la structure même de la grande distribution qui favorise de plus en plus les franchises, en particulier pour les magasins de proximité.
Dans ce cas de figure, seul le « patron franchisé » décide de l’octroi de la prime et de son mode de calcul. Les déclarations d’intention des états-majors ne concernent qu’une partie du personnel total. La tentation est donc forte pour certains franchisés, arguant de difficultés locales dans leurs établissements, de diminuer le montant de la prime. Si, par exemple, le conseil d’administration de Leclerc a bien voté le versement d’une prime, il n’a, de fait, aucun moyen d’imposer sa décision à ses franchisés. D’un établissement à l’autre, d’importantes disparités de traitement vont donc apparaitre entre des employés aux fonctions identiques. Comme l’indique la CFDT Casino, « lorsque les dirigeants annoncent le versement de la prime, ce n’est vrai que pour la partie intégrée de leur groupe, leur siège social et la logistique, mais aucun magasin n’est concerné. Chaque magasin fait ce qu’il veut. En général, les primes réelles vont de 500 euros chez certains franchisés à 800 chez d’autres. C’est vraiment au bon vouloir du patron du magasin. Par exemple, une caissière qui a travaillé pendant deux mois, elle a des droits mais comme elle a quitté l’entreprise le 30 mai elle n’a pas eu droit à la prime. »
Chez Auchan, les inégalités de traitement en fonction du type de contrat ont déjà mis le feu aux poudres : une pétition en ligne a déjà récolté près de 20000 signatures pour protester contre cette « trahison » imputée au groupe et au gouvernement.
Destinée à récompenser ceux qui ont assuré le ravitaillement d’une France immobile, la « prime covid » pourrait à l’inverse nourrir un profond ressentiment chez les employés de la grande distribution, qui furent nombreux, et pendant de longues semaines, à s’engager dans le mouvement des Gilets jaunes.