La dégradation du salariat prise pour son contraire

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Par Dominique Michaut Publié le 21 septembre 2017 à 5h00
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La dégradation du salariat prise pour son contraire - © Economie Matin
2 225 eurosEn 2014, le salaire mensuel net moyen était de 2 225 euros

La compensation de la faiblesse des bas salaires par de la redistribution est finalement en trompe l’œil. Les subventions à l’emploi renforcent des incapacités collectives. Des prix particulièrement importants sont faussés par ces propensions publiques.

En 2006, l’économiste américain Edmund Phelps, cette année-là récipiendaire du prix de la Banque de Suède en mémoire d’Alfred Nobel, a confirmé sa prescription dans la presse grand public (tribune parue notamment dans Le Figaro du 23 juin) : « La meilleure solution est de subventionner les emplois peu qualifiés et mal rémunérés en versant une prime aux patrons pour chaque embauche à plein temps ». Les dispositifs français d’« abaissements des charges » et de « prime pour l’emploi » sont des subventions de cette sorte. En France et ailleurs, les gouvernements successifs ont poursuivi une action qu’ils ont cru bénéfique alors qu’elle a pour effet de dégrader le salariat en général et l’emploi « des moins qualifiés » en particulier.

La sacro-sainte redistribution

Comment l’écart entre les salaires évolue-t-il entre le temps d’avant, celui où le législateur n’a pas encore mis en place de la redistribution destinée à réduire la différence de pouvoir d’achat, et le temps d’après, celui où une telle redistribution est entrée en vigueur ? Avant et après, la répartition du revenu total du travail se poursuit, y compris tant que la subjectivité collective est largement incitée à ne pas l’assumer : l’affaire se joue par les taux inégaux et égaux d’augmentation des salaires nominaux (Economie Matin du 14 septembre).

J et P sont salariés. Dès le temps d’avant, le salaire de J est au niveau des plus bas en usage dans le pays alors que le salaire de P est celui d’un cadre supérieur exerçant son métier dans le même pays. Dans le temps d’après, il se passe forcément ce qui suit, lorsque n’ont pas été suspendues la liberté d’employer, la liberté de chercher et d’accepter un emploi, la liberté de négocier le montant du salaire. Les considérations prises en compte dans la partie du réglage des écarts de rémunération qui concerne plus particulièrement J et P comportent au fil du temps la redistribution instaurée. Du coup, dans la durée le resserrement de l’écart de salaire entre J et P se trouve plutôt freinée, voire remplacée par son contraire. En revanche, les coûts administratifs du dispositif, et les complications réglementaires nécessaires à sa mise en place et à sa maintenance, eux perdurent, avec ce qu’ils comportent de négatif pour la croissance dans la mesure où les charges publiques (les charges, pas les investissements publics) sont cofinancées par de l’emprunt public.

Avant la redistribution, il y a la distribution

Les saignées voulues progressives, allusion à la progressivité de l’impôt élevée à la hauteur d’un idéal par l’État-providence, sont de la médecine de Diafoirus dans la mesure où elles procèdent de diagnostics mal posés. Avant toute redistribution, quel est le cours normal des principales répartitions économiques, autrement dit des principales distributions de revenus ? Giscard d’Estaing a en son temps engagé son autorité de président de la République en proclamant Raymonde Barre, qu’il venait de nommer premier ministre, « meilleur économiste de France ». Or dans le traité d’économie politique en deux volumes du professeur Barre une réponse claire à la question ci-dessus ne se trouve pas.

Ce manque de clarté continue à sévir. La progression exponentielle de livres et d’articles économiques n’y a rien changé. Il n’est pas enseigné, et en conséquence il reste trop continument hors du champ de conscience des partis politiques et des syndicats et de l’opinion publique que quoi qu’on fasse le revenu total du travail est un reste (Economie Matin du 15 juin). Du coup, il n’est pas enseigné que quoi qu’on fasse une autre équation règle la répartition du revenu global (Economie Matin du 22 juin). Tout se passe donc comme si, pour complaire aux orchestrateurs de l’État providence, il ne fallait révéler ni que la maximisation du revenu total se peut et se doit (Economie Matin du 29 juin) ; ni que les écarts de salaires horaires entiers règlent la répartition de ce total en rémunérations individuelles (Economie Matin du 14 septembre) – comme par peur que les flonflons des susdits orchestrateurs soient sur ce point remplacés officiellement par les verdicts de la subjectivité collective.

Changement de cap

L’abrogation par paliers des redistributions motivées par la faiblesse des bas salaires est possible, à une condition. Elle doit aller de pair, pendant quelques quinquennats consécutis, avec une hausse nominale des bas salaires un peu plus grande que celle du salaire médian et nettement plus grande que celle des hauts salaires.

En tout état de cause, la compensation de la faiblesse des bas salaires par de la redistribution n’est pas une nécessité organique objective. Elle ne pourrait l’être que si, pays par pays, la répartition du revenu total du travail n’était pas réglable par la subjectivité collective au moyen de taux d’augmentation des salaires différents selon leurs niveaux – avec au fil du temps des verdicts probablement semblables dans les pays parvenus à des degrés proches de développement économique. La compétitivité internationale dépendant, entre bien d’autres facteurs, des coûts du travail autant pour ceux qui sont supérieurs à leur niveau médian que pour ceux qui leur sont inférieurs, les resserrements et desserrements progressifs de leurs écarts au sein d’une nation ne l’atteignent pas.

Prix faussés, incapacités alourdies

La prescription d’Edmund Phelps ne fait pas exception. Le subventionnement de l’emploi élevé à la hauteur d’une politique publique fausse des prix particulièrement importants : les bas salaires qui sont toujours trop hauts dans l’optique dénoncée par Peter F. Drucker (Economie Matin du 2 mars), mais non par Edmund Phelps. En outre, ce subventionnement engendre imperturbablement des incapacités collectives qui ne sont pas inhérentes à l’économie de marché.

Il rend les salaires entiers horaires moins aisément comparables, ce qui en soi est une atteinte à la concurrence, atteinte qui elle-même rend plus approximatif et paresseux le réglage des écarts de rémunération du travail par la subjectivité collective. Il fait comme si c’était une contrevérité que la répartition du revenu global tend normalement à maximiser le revenu total du travail et comme si c’était une autre contrevérité que ce dernier total est de fait réparti en salaires individuels. Il atténue les responsabilités des employeurs et les incite à se faire davantage quémandeurs de subventions directes et indirectes. Il crée des seuils qui segmente artificiellement le marché du travail et complexifie maintes administrations. Il est un pis-aller face à une trop faible création d’emplois par manque d’épargne placée en financement permanent d’entreprise (capital). Il rend plus difficile l’atteinte de l’équilibre budgétaire en finances publiques (cet équilibre = entière couverture par les recettes fiscales des charges publiques, hors investissements mais annuités complètes d’amortissement des dettes comprises, Economie Matin du 30 mars).

Le salaire minimum étalonne

Les bas salaires, et particulièrement le salaire minimum horaire quand il a été instauré et qu’il est respecté, participent, au sein de chaque économie nationale, à l’étalonnage non seulement des salaires plus élevés, mais aussi de bien d’autres prix. Toutefois, ce calage est d’autant plus approximatif que les subventions à l’emploi sont nombreuses. Inversement, moins ce calage est branlant, mieux la subjectivité collective règle en connaissance de cause les inégalités et les égalités de rémunération du travail.

À qui se demande ce que les politiques et les grands commis doivent avoir mieux compris à raison de leurs responsabilités économiques, les points ci-dessus abordés fournissent des éléments substantiels.

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Dominique Michaut a été directeur des études du Centre consulaire de formation de Metz puis conseiller de gestion, principalement auprès d’entreprises. Depuis 2014, il administre le site L’économie demain, dédié à la publication d’un précis d’économie objective (préface de Jacques Bichot).

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