La BCE achète du temps, mais pas seulement

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Par Frédérik Ducrozet Modifié le 9 septembre 2013 à 11h35

La gestion du temps par la Banque Centrale Européenne est une dimension souvent méconnue de la crise profonde traversée de la zone euro. Elle est aussi à l'origine des désaccords et malentendus fréquents au sujet du rôle de la BCE dans cette gestion de crise.

Cette dernière n'est pas terminée – en cela, le Président de la Bundesbank a raison – mais elle a changé de nature au fil du temps, et on peut espérer que sa dimension économique commence enfin à s'estomper – en cela, l'espoir du Président français n'est pas sans fondement.

On connaît les actions les plus « visibles » de la BCE

Elle est intervenue de façon radicale pour assurer la liquidité des banques depuis 2007, elle a progressivement étendu son arsenal jusqu'à prêter aux banques à très long terme (3 ans) et à bas coût (0,50% au taux actuel) et contre des garanties assouplies. La BCE a également fait beaucoup pour assurer la liquidité des Etats, en commençant par acheter directement des titres de dette publique grecs, irlandais, portugais, puis italiens et espagnols, entre 2010 et 2011, avant de mettre en œuvre un programme de soutien beaucoup plus ambitieux et efficace à l'été 2012, bien qu'encore inutilisé à ce jour, appelé OMT. Plus récemment, après avoir baissé son principal taux directeur au niveau historique de 0,50%, la BCE a de nouveau innové en s'engageant à maintenir ce niveau de taux bas « pendant une période de temps prolongée », soit une forme allégée de guidage des anticipations sur le modèle d'autres banques centrales, mais totalement inédit dans le cas de la BCE.

Alors que les premiers signes de reprise économique se font plus visibles dans la plupart des pays de la zone euro, la BCE peut-elle se permettre de rester attentiste ? Au contraire, doit-elle tout tenter pour consolider cette reprise encore fragile ?

Elle choisira probablement un mélange des deux, comme souvent

Un objectif majeur de la BCE au cours de la crise a toujours été la recherche du meilleur équilibre possible entre soutien aux banques, aux marchés, à l'économie, et maintien d'une pression suffisante sur les gouvernements et les institutions supranationales pour poursuivre les réformes. Paradoxalement, de meilleurs indicateurs économiques pourraient inquiéter les membres les plus « faucons » de la BCE qui craignent un ralentissement de cet effort de réforme. Et les faits pourraient leur donner raison. Le projet ambitieux d'union bancaire, en particulier, est à risque, alors que des dissensions profondes voient le jour entre les pays membres, la BCE et la Commission au sujet notamment des mécanismes de résolution bancaire.

En clair, qui doit payer en cas de nouvelle crise bancaire à l'avenir ? Et plus encore, comment régler une fois pour toutes les problèmes hérités de la crise, en Espagne ou en Irlande ? L'absence de pression sur les décideurs politiques réduit les chances de parvenir à un accord ambitieux.

Plus généralement, la BCE considère que la crise actuelle trouve ses fondements dans les défaillances institutionnelles de l'union monétaire, et elle entend jouer un rôle de premier plan pour les corriger. Il est donc concevable que la BCE continue de soutenir les banques et l'économie dans la limite de son mandat, sans jamais en faire plus que nécessaire, tout en se montrant très rigide sur ses sujets de prédilection, appelant à plus de réformes et plus d'intégration en Europe.

Le prochain test arrive à grands pas, avec les « stress tests » bancaires que la BCE doit encadrer début 2014 avant de prendre en main l'ensemble de la régulation bancaire. Il ne serait pas surprenant que la BCE revête à nouveau à cette occasion son habit de « gendarme » de la zone euro, pour le meilleur et pour le pire.

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Frédérik Ducrozet est économiste senior, spécialiste de la zone euro au Crédit Agricole.

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