Les jeunes financent-ils la protection sociale des vieux? Cette question à laquelle nous connaissons tous la réponse (la protection sociale visant par principe à financer les dépenses de maladie par les gens qui ne sont pas malades, c’est-à-dire à payer les soins des plus âgés par des contributions des plus jeunes) a fait l’objet d’une farce « scientifique » financée par France Stratégie, l’ancien commissariat au Plan, c’est-à-dire par le contribuable.
Il a tout de même fallu trois scientifiques officiels pour concocter ce document dont on se demande comment les autorités publiques peuvent en accepter la responsabilité. Deux de ces trois scientifiques appartiennent à Paris School of Economics. Voilà qui en dit long sur l’absurdité de ces structures narcissiques et nombrilistes créées par l’université française.
La protection sociale biaisée
Toute la farce consiste à bâtir un calcul sur un indicateur complètement bidonné: l’évolution des dépenses individuelles moyennes de protection sociale y compris éducation, rapportées en pourcentage de PIB par tête, depuis les années 70. On en reste sur les fesses! mais qui peut donner une caution scientifique à une démarche qui consiste à englober les dépenses d’éducation dans les dépenses de protection sociale?
En réalité, on voit bien le calcul qui se trouve derrière: l’objectif est d’atténuer l’effet de transfert de richesses entre générations en soutenant que ce que les vieux reçoivent de la solidarité des jeunes lorsqu’ils vont l’hôpital est contrebalancé par ce qu’ils paient en impôts pour que les jeunes puissent aller à l’école. Mais, à ce compte, sauf à valider des démarches idéologiques dans les statistiques, on voit mal pourquoi les rédacteurs de la note n’englobent pas l’ensemble des dépenses publiques dans leurs calculs. Car, si les vieux paient des impôts pour l’école, ils en paient aussi pour une myriade de services publics qui leur sert sans servir aux jeunes.
L’ambition de la note, pour être honnête, aurait donc dû consister à calculer, génération par génération, l’allocation des dépenses publiques, protection sociale comprise. Au lieu de cette démarche équilibrée, France Stratégie a préféré une opération de propagande déguisée en statistique officielle qui ne fait pas honneur à cette institution.
La protection sociale escamotée
L’autre biais de cette étude bidonnée consiste à mélanger les torchons et les serviettes fiscales. La note répond en effet à une question simple: qui, par tranche d’âge, bénéficie de la mutualisation des dépenses? Mais elle escamote complètement l’autre question qui fâche, indissociable et indispensable: qui, par tranche d’âge, finance la mutualisation des dépenses?
De ce point de vue, mélanger les dépenses d’éducation financées par l’impôt, c’est-à-dire par tout le monde, et les dépenses de protection sociale majoritairement financées par les cotisations sur le travail, est une imposture. D’un côté, en effet, la solidarité est le produit d’une démarche universelle. De l’autre, elle est segmentée sur une assiette réduite de population. Autrement dit, il existe en France un groupe de population (ceux qui travaillent!) condamné à payer des impôts pour aider tout le monde, et à payer des cotisations pour ceux qui n’en paient plus. Cette conception-là de la solidarité mérite d’être mise sur la table et discutée.
C’est précisément ce que ne fait pas la note de France Stratégie, qui fait croire, faute de s’interroger sur la nature du financement de la solidarité, que tout le monde paie et tout le monde reçoit équitablement.
La protection sociale à 48 ans, âge maudit
Malgré tous ces biais idéologiques navrants, où l’on retrouve la mentalité gauche-bobo des universitaires et des fonctionnaires français obsédés par l’idée que la sécurité sociale telle qu’elle est doit être préservée coûte-que-coûte, l’étude ne parvient pas à cacher que les grands bénéficiaires de la protection sociale sont les plus âgés, c’est-à-dire ceux qui la financent le moins, mais qui en tirent le plus d’avantages.
Au passage, on apprend que l’âge maudit en France se situe à 48 ans: c’est l’année de la vie où l’on paie le plus pour les autres, et où l’on reçoit le moins.
Le seul mérite de l’étude consiste à avoir montré que, en France, ce n’est pas seulement avoir moins de 25 ans qui est une calamité. C’est aussi avoir moins de 60 ans.
Sans surprise, les candidats aux présidentielles issus des partis de gouvernement devraient d’ailleurs avoir plus de 60 ans…
Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog