30 décembre. Jean-Pierre Chevènement est interviewé sur le plateau de « I-Télé ». C’est aujourd’hui un vieux monsieur, d’une tenue physique et intellectuelle exemplaire.
L’oral fait l’histoire des hommes, l’écrit ne fait que la sceller et dans l’oral, la tenue du corps conditionne celle de l’esprit. C’est assez dire la place que tient le corps des hommes dans leur histoire. Jean-Pierre Chevènement l’a montré ce matin de la façon la plus claire.
Plus aucun de nos orateurs politiques n’a son élégance physique et intellectuelle. Son regard accueillant porté sur le journaliste dans l’horizontalité du champ social, formait un couple parfait avec sa belle posture verticale qu’il ne paraissait même pas revendiquer. Ses gestes rares, souples, accordés à son texte, s’écartaient parfois beaucoup du corps. Pourtant ils ne déséquilibraient jamais ni sa posture ni son regard. Ils parachevaient son élégance.
A deux ou trois reprises, il quitta le journaliste du regard pour réfléchir avant de répondre. Le silence fut long, il ne chercha pas à le meubler. Curieusement, sans paraître s’en rendre compte, il mettait en scène sa réflexion et le journaliste attendait. Pourtant, les médias n’aiment pas les silences. Mais ça n’était pas sa personne qui réfléchissait devant les caméras, c’était un personnage du théâtre politique, beaucoup plus grand que sa personne. De personne, il n’y avait plus. Le corps de l’orateur l’avait élevé à la hauteur d’un personnage.
Il avait aussi élevé son esprit. Sur toutes les questions qu’on lui posa, la situation tendue en Corse, le retrait de la nationalité française aux binationaux terroristes, la démission réclamée de Christiane Taubira, Jean Pierre Chevènement n’ajouta pas de parti-pris aux centaines d’autres donnés depuis plusieurs jours par un tas de politiques. C’eût été sans effet. Il eut simplement du bon sens (comment un kamikaze pourrait-il craindre de se faire confisquer son passeport ?…), de la nuance (… pourtant la République a besoin de symboles, le retrait de la nationalité en est un…), et du jugement (… la France n’arrive pas encore à intégrer par l’école les jeunes générations issues de l’immigration).
Et Jean Pierre Chevènement fait réfléchir. A propos de l’école, il souligne qu’elle conduit au baccalauréat des jeunes issus de l’immigration qui partent pourtant faire le jihad. Il dit aussi que jamais on n’a entendu un seul enseignant approuver les crimes terroristes, que c’est une réussite de la République. Si on le suit, le « versant auteur » du discours des enseignants sert parfaitement leur double rôle de transmetteur du savoir et de hussard de la République. Où donc alors l’intégration par l’école est-elle perfectible ?
Nous soutenons depuis des années que la formation des enseignants « versant acteur » est lacunaire. Jean Pierre Chevènement, Français et énarque de surcroit, ne peut pas le voir. Notre culture, dont il est l’un des brillants représentants, met tellement le cerveau sur un pinacle que par défaut elle oublie le rôle prépondérant du corps dans la vie sociale. Ce regard sur l’autre et cette verticalité parfaite dont il est doté sans le savoir, n’est pas pratique courante en particulier chez nos enseignants. Puisqu’il ne s’agit là « que » du corps, il faudrait la leur enseigner comme à des sportifs.
Intégrer l’autre c’est l’accueillir dans sa culture, c’est-à-dire dans sa façon de penser. Cela commence par la parole qu’on lui tient. Elle devrait toujours s’accompagner d’un regard d’intérêt décidé pour lui pendant qu’on lui parle, ce que les Français en général ne savent plus faire.
Derrière les yeux de l’orateur, au bout du nerf optique, sa pensée travaille. Nourrie par le regard à la façon de penser de son auditeur, le bon orateur l’inclut intuitivement dans la sienneet lui fait une place. C’est ainsi qu’il intègre sans douleur la culture de son auditeur dans sa propre culture. Seule la parole des enseignants peut faire que l’école réussisse à intégrer tous les enfants dans la République, y compris les enfants issus de l’immigration. Formons nos enseignants à parler en public.
Article publié initialement sur le blog de Stéphane André