Le Japon ne parvient pas à fleurir, retardé par la lenteur de la vaccination

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Par Stéphane Monier Publié le 2 juin 2021 à 5h22
Japon Dette Economie Shinzo Abe
@shutter - © Economie Matin
266%la dette publique japonaise a bondi de 238% du PIB en 2019 à 266% en 2020.

La troisième plus grande économie du monde indique l'un des taux de contaminations au Covid-19 parmi les plus bas des nations développées et accueillera les Jeux olympiques dans deux mois. Le Japon devrait être au seuil d'un boom économique. Toutefois, le pays se bat pour accélérer la vaccination et fait face à des incertitudes politiques.

Au Japon, la pandémie s'est jusqu'à présent avérée beaucoup moins meurtrière qu'ailleurs. Au 29 mai 2021, le pays enregistrait 12 926 décès liés au Covid-19, soit un taux de mortalité culminant à 0,89 décès recensés par million d'habitants, contre des pics de 18,5/million au Royaume-Uni, 10,3/million aux États-Unis et 8,0/million au sein de l'Union européenne (UE). En Asie, ce chiffre est à comparer au 0,46/million de décès en Corée du Sud et au 0,1/million à Singapour.

Cependant, la vaccination au Japon s'avère plus lente que dans de nombreux autres pays, puisque seulement 6,4% des habitants du pays ont reçu une première dose. Cela est dû à deux facteurs : jusqu'à récemment, le vaccin de Pfizer-BioNTech était le seul autorisé et le pays exige un médecin pour l'administrer.

Dans le même temps, le gouvernement a décidé la semaine dernière que l'état d'urgence dans neuf préfectures, dont Tokyo, qui devait prendre fin le 31 mai, se poursuivra jusqu'au 20 juin. De nouvelles préfectures ayant imposé l'état d'urgence depuis mi-mai, quelque 40% de la population japonaise vit toujours sous le coup de restrictions.

La lenteur de la vaccination pèse déjà sur la performance économique du pays, qui a enregistré une contraction de son produit intérieur brut de -5,1% au premier trimestre. Les Jeux olympiques de Tokyo de 2021, qui débuteront le 23 juillet, auraient dû stimuler l'économie dans un contexte normal. Cependant, déjà reportés l'année dernière, les JO ont déclenché l'hostilité du public japonais, de plus en plus opposé à l'événement dans ce contexte de poursuite de la pandémie.

Une grande partie de la hausse du PIB observée par le passé dans les pays hôtes des JO provient des projets de construction réalisés en vue de l'événement, ainsi que des dépenses des visiteurs. En 2016, se basant sur la hausse constatée dans les précédentes villes hôtes, telles que Londres, Athènes et Pékin, la Banque du Japon (BoJ) a estimé que les Jeux ajouteraient jusqu'à 0,3 point en moyenne à la croissance annuelle du PIB réel. Cela ne se produira pas cette fois.

À vos marques...

À moins de deux mois de l'ouverture des Jeux, le gouvernement nippon et le Comité international olympique affirment que l'événement peut se dérouler dans un périmètre protégé avec des athlètes vaccinés. Le gouvernement doit également décider si les résidents japonais auront le droit d'y assister en tant que spectateurs. Les visiteurs étrangers en sont d'ores et déjà bannis.

Le Japon accueillera des « jeux sûrs et sécurisés », martèle le Premier ministre Suga Yoshihide. La décision d'aller de l'avant et ses conséquences politiques pour le gouvernement déjà peu populaire du Japon dépend aussi de la ville de Tokyo. Toutefois, aucune autorité ne semble prête à assumer la responsabilité et les coûts d'une annulation.

Pour l'ensemble de l'année, et en supposant que les Jeux olympiques aient lieu, nous tablons sur une croissance de 3% à mesure que la reprise post-pandémie se matérialise. Toutefois, si les JO étaient annulés, le Japon pourrait voir sa croissance annuelle reculer de 1,7 point, selon Bloomberg.

M. Suga, qui a succédé à Abe Shinzo au poste de Premier ministre en septembre 2020, fait face à d'autres défis politiques. Sa cote de popularité auprès des électeurs a chuté à 32%. Les réprimandes liées aux repas offerts par son fils aîné à des fonctionnaires de haut rang du parti n'ont pas aidé. Le pays doit organiser des élections pour la Chambre basse du Parlement avant le 21 octobre et l'impopularité du Premier ministre, ainsi que la perte attendue de sièges, pourraient inciter son parti à lui chercher une alternative lorsque son mandat à la tête du Parti libéral démocrate prendra fin en septembre. La semaine dernière, M. Abe a réitéré son soutien à M. Suga tout en spéculant sur quatre successeurs possibles.

En conséquence, à l'approche des élections, le Japon se retrouve dans un contexte d'incertitude politique. Depuis 2012, le Parti libéral-démocrate (PLD) s'appuie sur l'efficience électorale de son partenaire de coalition, le Komeito, dont les racines religieuses ont tempéré les ambitions de l'aile droite du PLD et du Parlement de réviser la constitution du pays. A plus long terme, et exprimé de manière simpliste, l'éventail des possibilités politiques s'élargit.

Relance budgétaire

Depuis le début de la pandémie, le Japon a dépensé quelque 10% de son PIB pour relancer son économie. Le gouvernement japonais a déployé trois programmes de soutien liés à la pandémie, pour un total de 286 000 milliards de yens (JPY) (2?600 milliards USD). Il s'agit des dépenses de relance les plus importantes après celles des États-Unis (cf. graphique).

Afin de financer ces dépenses, le gouvernement japonais a émis en 2020 un nombre record d'obligations pour un total de 112 000 milliards JPY, soit plus du double du précédent record de 52 000 milliards JPY en 2009. Certes, la dette publique n'est pas un phénomène uniquement lié à la pandémie, ni propre au Japon. Cependant, la dette publique japonaise a bondi de 238% du PIB en 2019 à 266% l'année dernière, ce qui place le pays au deuxième rang mondial après le Venezuela.

Du fait de son mandat consistant à maintenir les obligations gouvernementales de référence à 10 ans à environ 0%, la BoJ détient près de la moitié des obligations d'État en circulation. Son bilan serait ainsi vulnérable à toute hausse des taux d'intérêt.

La BoJ a maintenu des taux d'intérêt proches de zéro pendant plus de deux décennies et imposé les taux négatifs pour la première fois en janvier 2016. La banque centrale a confirmé en avril que son objectif d'inflation de 2% ne sera pas atteint sous le mandat du gouverneur actuel, qui expire en 2023. Le «bazooka monétaire», c'est-à-dire la politique monétaire ultra-accommodante mise en place par Haruhiko Kuroda à son arrivée à la tête de la banque centrale en 2013, a fait remonter le marché boursier et affaibli le yen. Les confinements dus à la pandémie ont maintenu l'inflation des prix à la consommation en territoire négatif en glissement annuel. Étant donné que la reprise économique du Japon prend du retard sur celle des États-Unis, de l'UE et de la Chine, « les prévisions d'inflation à moyen et long terme vont certainement rester plus ou moins inchangées. » Le prochain rapport de la BoJ sur les perspectives en matière de politique monétaire est agendé au 16 juillet.

Perspectives pour les actifs financiers

Les entreprises japonaises ont profité de 20 ans de politique monétaire agressive pour réduire leur dette, restructurer leurs bilans et augmenter leurs flux de trésorerie. Bénéficiant de la reprise mondiale qui a pris racine en Chine et de la rotation vers les valeurs cycliques qui l'a accompagnée, la récente performance des actions japonaises a été positive. Un contexte qui a amélioré le sentiment des investisseurs à l'égard du marché boursier japonais.

Toutefois, le marché japonais reste à la traîne des indices américains et mondiaux. En JPY, le TOPIX a généré un rendement de 7% depuis le début de l'année, et de 2% en USD, ce qui reflète l'affaiblissement de la devise japonaise par rapport au dollar. A titre de comparaison, l'indice MSCI World a enregistré cette année une performance de 11%.

De plus, les valeurs industrielles représentent environ 24% du marché actions japonais, soit presque 13 points de plus que dans le MSCI World. Au niveau mondial, les titres industriels ont bénéficié des programmes de relance et de la hausse de la demande à mesure que les économies se redressaient. Néanmoins, nous pensons que dans les mois à venir les valorisations élevées et l'inflation des coûts limiteront une nouvelle surperformance de ce secteur.

Dans ce contexte, nous maintenons notre sous-pondération des actions japonaises. Tandis que les vastes réformes des entreprises offrent des opportunités tactiques, la demande de l'Asie du Sud-Est et la solidité des bilans ne suffisent pas encore à compenser les niveaux de rentabilité historiquement bas des entreprises japonaises et le régime de protection limitée des investisseurs étrangers. En outre, la dynamique initiale des bénéfices enclenchée au moment de la reprise mondiale pourrait caler au Japon en raison de la persistance des restrictions liées au Covid-19. Par opposition, d'autres marchés cycliques, comme la zone euro ou le Royaume-Uni, jouissent déjà d'un large rebond.

À plus long terme, compte tenu de la politique monétaire inflationniste du Japon, nous pensons que les actifs à faible valorisation seront avantagés et le ratio cours/bénéfice par action devrait atteindre 14,5x l'année prochaine, offrant un potentiel haussier très modeste au TOPIX. Plus précisément, nous estimons que le TOPIX attendra un niveau de 2 000 points environ à un horizon de douze mois, soit une hausse de 4% par rapport à son niveau actuel.
Par ailleurs, nous tablons une hausse du yen par rapport au dollar, due en grande partie à l'amélioration de la balance commerciale du Japon. Néanmoins, un risque pèse sur cette prévision, à savoir l'appétit croissant des entreprises nippones pour les fusions et acquisitions internationales.

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Stéphane Monier est Chief investment officer chez Lombard Odier.