Aux opérations escargot organisées par les taxis un peu partout en France, le gouvernement opposait jusqu’à présent la politique de l’autruche, renvoyant aux tribunaux le soin de trancher. Ce qu’ils n’ont pas vraiment fait. Le 12 décembre, la demande d’interdiction d’UberPOP par trois concurrents du Californien se soldait par un échec, le tribunal de Commerce de Paris se défaussant à son tour, estimant qu’il revenait au juge pénal de décider. Et puis, lundi 15 décembre, rebelote, les taxis ralentissent à nouveau le trafic à Paris et aux alentours, ils ne sont qu’une poignée mais cette fois le gouvernement cède. Par la voix du porte-parole du ministère de l’Intérieur, il annonce l’interdiction pure et simple d’UberPOP à compter du 1er janvier 2015. Les taxis ont été entendus, les usagers, eux, c’est moins sûr.
UberPOP est en tout point égal à un service de VTC classique, à ceci près qu’il est moins cher, et permet aux particuliers de transporter d'autres particuliers pour arrondir leurs fins de mois. Ce que ne tolèrent ni les taxis, ni les VTC lambda, arguant qu’il s’agit là d’une forme de « concurrence déloyale ». Il faut croire qu’en décidant d’interdire UberPOP, le gouvernement a fini par leur donner raison. « Déloyale » c’est vite dit, les taxis ont beau jeu de sortir un tel argument de leur chapeau, eux dont la force de frappe en termes de lobbying n’a rien à envier à celle de la Grosse Bertha, et qui sortent régulièrement la sulfateuse pour réduire au silence la concurrence.
Surtout, la décision d’interdire UberPOP, au-delà d’apparaître comme un geste de complaisance à l’égard d’une profession enferrée dans ses privilèges, au-delà de constituer une déclaration de guerre contre l’innovation, évacue complètement le sujet de l’intérêt du client du débat.
Pour la petite histoire, l’idée de la création d’Uber est venue à l’esprit de ses fondateurs en 2008 à Paris, alors qu’ils ne trouvaient pas de taxis disponibles pour les transporter. Et pour cause, le nombre de taxis est le même aujourd’hui que dans les années 30. Quand on sait que dans la capitale, les deux tiers d’entre eux réalisent 80 % de leur chiffre d’affaires grâce aux courses sur réservation, et qu’une bonne partie des 6 000 restants se bornent à faire des aller-retours entre Paris et les aéroports des environs, on comprend qu’il en reste en effet peu pour s’intéresser aux clients « basiques » les hélant sur le bord de la route.
Les taxis sont trop rares à Paris, mais aussi trop chers. Leur quasi-monopole leur permet de gonfler les prix à outrance, une flambée qu’ils expliquent par le coût prohibitif de leur licence. La belle affaire. Si ces « permis de marauder » se monnayent environ 230 000 euros, rappelons qu’ils sont à l’origine délivrés gratuitement, et que ce sont les taxis eux-mêmes qui se les revendent à prix d’or, spéculant sur le numerus clausus de leur profession.
Bref, le manque de véhicules de transport attractifs à Paris et dans le reste de la France commençait à se faire prégnant. Sur ces entrefaites, les VTC ont fait leur apparition. Une alternative privilégiée par les clients, qui donnent, selon un rapport récent de l’Observatoire société et consommation (Obsoco) et le groupe Chronos, la note de 7,3 sur 10 en moyenne aux VTC, quand les taxis n’obtiennent que 6. Les raisons d’une telle différence ? Les premiers offriraient un meilleur service et seraient moins chers.
Ne pouvant décemment interdire les VTC, le législateur s’est chargé d’en organiser la rareté, en n’accordant de licence qu’à ceux ayant passé une formation en forme d’obstacle. La loi Thévenoud, dans son souci de favoriser les taxis en entravant l’essor de la concurrence, prévoit également l’interdiction pour les VTC d’avoir recours à la géolocalisation. De ces contraintes visant à tuer dans l’œuf toute tentative de remise en question du monopole des taxis est né UberPOP, service malin, où à peu près tout le monde peut devenir chauffeur. Las, le premier janvier il sera interdit.
Sur Twitter, les réactions ne se sont pas fait attendre. Un hashtag #uberlove a même été créé. Le internautes s’insurgent de voir UberPOP interdit, quand BlaBlaCar prospère. Ils conseillent aux taxis ayant un problème avec l’application californienne de baisser leurs prix pour le régler. Mais globalement, l’ambiance est à l’optimisme. Pas dupes, les utilisateurs d’Uber savent que ce dernier finira par obtenir gain de cause. A l’instar de Lucas : « Les taxis essayent de garder leur dernier bout de gras. Cela ne durera pas longtemps. »
C’est à craindre en effet pour nos amis chauffeurs de taxis. La loi Thévenoud et l’interdiction d’UberPOP leur accordent un simple répit. Ils ont gagné par le passé, à force de tractations éhontées, de nombreuses batailles, s’opposant à la création d’une ligne ferroviaire directe entre l’aéroport Charles-de-Gaulle et Paris, empêchant l’établissement d’un prix forfaitaire pour la desserte des aéroports, bloquant l’installation de stations Autolib et de bornes de recharge électriques dans les aéroports parisiens, faisant interdire la circulation sur les voies qui leurs sont réservées aux deux roues et VTC, etc. Mais s’ils ont remporté la première manche dans le combat qui les oppose aux VTC et à Uber, il ne fait aucun doute que cette opposition ne tiendra pas longtemps.
Les taxis ont le soutient du gouvernement, pas du public, qui assimile de plus en plus l’idée que nous ne sommes plus en 1930, et que l’on peut aujourd’hui prétendre trouver une voiture avec chauffeur rapidement, facilement, et sans devoir manger des pâtes à l’eau pour le restant de la semaine. Une dynamique que devraient encourager les taxis, plutôt que de se battre avec des armes d’un autre siècle contre un ennemi qui n’est autre que la personnification du progrès. A New York, ville comptant pléthore de VTC et dérivés, les citadins utilisent sept fois plus les taxis que les Parisiens. Pourquoi ? Simple. L’abondance de VTC désengorge les rues, les usagers délaissant leurs voitures, et les taxis captent une part importante de cette clientèle ravie de pouvoir se déplacer rapidement. CQFD.