La gestion de la crise coronavirus 2020 a amplifié la tendance des autorités françaises, et de beaucoup de leurs homologues, à produire des faux-semblants. Qu'est-ce en effet que la dette publique, au-delà d'un certain niveau, lorsqu'elle ne résulte pas d'investissements, si ce n'est un semblant de richesse pour ses porteurs, un semblant d'épargne rendu possible par la distribution de revenus nettement supérieurs à la production et à la consommation, une fiction ?
Les organismes publics, tant sociaux qu'étatiques, ont réagi à l'urgence sanitaire en distribuant beaucoup plus d'argent qu'ils n'en collectent. En trois mois, avril, mai et juin, la dette publique (dette de l'Etat, des collectivités locales et de la sécurité sociale) a augmenté de 200 Md€, montant énorme qui l'a fait passer de 2 438 Md€ à 2638 Md€. Cette création monétaire massive a été rendue possible par une extraordinaire mansuétude de la BCE, qui a complétement renoncé à la prudence coutumière des banquiers centraux sérieux. Seule une partie minime de cet argent créé ex nihilo a servi à financer des investissements : pour l'essentiel, cet argent a été versé à des organismes publics et privés en vue d'éviter leur cessation de paiements - autrement dit leur faillite. Ces organismes ont ainsi pu continuer à verser des salaires et des prestations sociales malgré le très fort ralentissement de l'activité.
Trop d'argent pour trop peu de biens et services
Il a ainsi été procédé à une distribution de revenus peu inférieure à celle qui aurait eu lieu en l'absence de crise sanitaire, et donc nettement supérieure à la production effective de biens et services. Les Français, et beaucoup d'Européens, ont disposé globalement de beaucoup plus d'argent qu'il n'y avait de biens et services disponibles, que ce soit pour la consommation ou pour l'investissement. Dans une situation de ce type, deux réactions sont possibles :
- ou la population essaye de dépenser ce qui entre sur ses comptes bancaires, et comme il n'y a pas assez de biens et services, le travail et la production ayant chuté, les producteurs profitent de cette forte demande pour vendre plus cher : c'est l'inflation.
- ou bien l'homme de la rue, inquiet, thésaurise, si bien que les producteurs manquent de clients, ce qui entraîne certains d'entre eux à faire des rabais : cela accentue le recul de l'activité économique et la mise en difficulté des entreprises.
Nous sommes, hélas, dans le second cas de figure. Les ménages français, et une bonne partie des ménages européens, accumulent « de l'argent », c'est-à-dire des créances sur des banques, elles-mêmes créancières des Etats. L'endettement des Etats n'est pas en soi une mauvaise chose : s'il a servi à financer des investissements réellement utiles, il contribue efficacement à la croissance et à la prospérité. Hélas, l'endettement public actuel ne sert pas à investir, mais à verser des salaires à des personnes qui ne produisent pas grand-chose, et des prestations à des personnes qui ne participent pas à la production.
Dangereuse stabilité monétaire
Il y a quelques décennies, l'inflation se chargeait de rendre supportable l'endettement public, mais cette alliée des gouvernements incompétents a fait défection depuis au moins une décennie, en particulier du fait que l'Occident peut recourir aux travailleurs payés « trois francs six sous » qui pullulent sur les trois quarts de la planète.
La mondialisation joue un rôle essentiel dans la situation actuelle. Elle peut nous apporter un niveau de vie confortable en travaillant peu et, dans certains domaines, assez mal, mais elle nous prive de cette purge périodique dont ont besoin les économies amatrices de faux-semblants : la dévalorisation de l'unité monétaire, lorsqu'elle constitue un retour à la réalité.
Le coronavirus peut être un révélateur. Si la crise qu'il a provoquée nous permet de prendre conscience de la montée formidable des faux-semblants dans nos sociétés, et du caractère dangereux, pour ne pas dire mortifère, de ce fossé qui se crée entre la réalité économique et la fiction « politiquement correcte », à quelque chose malheur aura été bon.
Le refus de lucidité nous perdra
Mais si nous persévérons à vouloir vivre dans un monde imaginaire, à prendre les cryptomonnaies pour argent comptant, à croire qu'on prépare sa pension en payant celle de ses aînés, et à multiplier les signes monétaires bien plus que la production tout en réussissant à éviter l'inflation, j'ai peur que nous mettions en défaut le cri bien connu de Paul Valéry après la Grande guerre : « nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles ». Notre civilisation est mortelle, mais nous ne voulons pas le savoir. J'ai peur que nous n'ayons rien appris ; j'ai peur que nous relevions de la parole du prophète Jérémie : « Ils ont des yeux et ne voient point ; ils ont des oreilles et n'entendent pas. »
Jésus a repris cette parole ; je citerai à ce propos le chapitre 8 de l'évangile selon Marc : « avez-vous l'esprit bouché, des yeux pour ne point voir et des oreilles pour ne point entendre ? » Que l'on soit croyant ou incroyant, c'est une question d'importance vitale. Si la pandémie pouvait seulement nous faire comprendre à quel point ce refus de voir et d'entendre est répandu et menace notre civilisation, nous devrions une fière chandelle à ce fichu Covid-21 !
Lecture conseillée
Le livre que votre serviteur vient de publier à L'Harmattan, Cure de Jouvence pour la Sécu, expose la perte du sens des réalités qui sévit dans le domaine de la sécurité sociale, et le moyen de faire de notre bonne vieille Sécu une institution pilote en matière de sortie des faux-semblants, qui actuellement l'écrasent de leur poids pharamineux.