On aimerait sur le marché que la visibilité s'améliore. Et les investisseurs et les opérateurs de considérer qu'un vaccin contre la COVID-19 pourrait être disponible bientôt, que la croissance économique est bien en train de repartir et que les banques centrales « font ce qu'il faut ». Le jeu d'hypothèse fait sens ; pourtant il pourrait être remis en cause. Dans tous les cas, il est à-peu-près sûr que le déroulé politique ne contribue pas à l'impression que tout est en train de devenir plus lisible. Bien au contraire !
Où trouver de la visibilité sur les marchés , alors même que les taux d'intérêt à long termes restent à des niveaux très bas et que les marchés d'actions ne sont pas très bon marché ?On a presqu'envie de dire que les opérateurs et les investisseurs s'ingénient à en chercher. Il y a l'espoir qu'un vaccin contre l'épidémie de COVID-19 soit trouvé, il y a l'impression que l'activité économique va mieux et il y a la conviction que les banques centrales restent à la manœuvre.
On comprend évidemment la formulation de tels souhaits. Cela ne doit pas empêcher de les passer au test de réalisme . D'abord, personne ne va critiquer la communication volontariste des équipes de recherche médicale et des laboratoires pharmaceutiques . Elle maintient des anticipations positives et elle participe d'une politique de différenciation. Il n'empêche qu'« il y a loin de la coupe aux lèvres », ou pour mieux dire de la découverte d'un vaccin à la généralisation de son usage à l'échelle de la planète. Combien de temps faudra-t-il ? Doit-on compter en trimestres ou en années ? On se passionne pour les progrès de la Science ; peut-être devrait-on faire de même pour les questions de logistique posées par une campagne de vaccination à mener à l'échelle du globe.
Ensuite, il est dorénavant acquis que la croissance économique a significativement rebondi au cours de l'été. Qu'il s'agisse des Etats-Unis ou de la Zone Euro, un rattrapage, compris entre les deux tiers et les trois quarts, de la baisse enregistrée durant le printemps a dû intervenir. Mais quid de la suite ? L'hypothèse de la retombée dans la « récession » n'est pratiquement pas évoquée ; probablement parce que celle d'un re-confinement généralisé est écartée. Il n'empêche qu' on manque de convictions étayées pour justifier telle ou telle progression du PIB en T4 2020 et au-delà. D'un côté, tant la situation sanitaire que la confiance des agents économiques ne sont pas stabilisées (pour ce dernier point, malgré le soutien apporté par la politique économique) et de l'autre les indicateurs conjoncturels et l'appareil statistique ont du mal à appréhender les implications d'une crise sanitaire inusitée. D'où une dispersion des prévisions de croissance importante ; aux Etats-Unis pour le trimestre prochain, par rapport au précédent et en rythme annuel, le consensus Bloomberg est à +5,5%, avec le Conference Board à +1,3% et Citigroup à +10,1%.
Enfin, Si tout le monde, ou à-peu-près, salue l'activisme des banques centrales, il règne au minimum de prudence, voire un scepticisme, sur leur capacité à faire remonter l'inflation vers la barre des 2%. Cela vaut même aux Etats-Unis, où la Fed a présenté sa nouvelle stratégie monétaire, qui consiste à tolérer une dynamique des prix plus forte. Celle-ci n'entrainera pas une réaction « automatique », au travers d'une hausse du taux directeur. De fait, les différents indicateurs de marché des anticipations inflationnistes (on pense au Breakeven 10 ans ou au swap inflation 5 ans dans 5 ans) n'enregistrent guère d'inflexions haussières.
C'est dans ce triple contexte qu'il faut se pencher sur l'évolution en cours des dossiers politiques. Disons-le tout net ; ils participent davantage de la confusion que de la clarification.
Commençons par l'affaire du jour, le Sommet Chine - Europe. Le Président Xi sera face au triumvirat formé de Merkel, Michel et von der Leyen. L'ambition des Européens est connue : « embarquer » tous pays de l'UE dans la même démarche et créer un rapport de force favorable. Du côté de Pékin, la stratégie de la « circulation duale », dont nous avons déjà parlé, devrait se caractériser par une volonté de rapprochement avec l'Europe, puisque les relations avec les Etats-Unis semblent profondément dégradées. Pourtant il n'est pas certain que les choses se passent ainsi. La tentation chinoise de jouer du rapport de force plutôt que de créer les conditions du compromis est peut-être illustrée par la décision prise hier d'interdire les importations de porcs allemands.
Rappelons l'attitude surprenante du gouvernement britannique, prêt semble-t-il à remettre en cause l'accord de sortie de l'UE, vieux d'à peine un an. Le coût diplomatique et économique serait élevé. Le cabinet Johnson est-il sûr que le bénéfice à tirer en politique domestique puisse être supérieur ?
Terminons par l'élection américaine. Pour dire les choses simplement, le risque est qu'un résultat contesté de la course à la Maison Blanche se traduise par une situation incertaine pendant le mois qui suivra le jour de « convocation » des électeurs aux urnes (le 3 novembre), voire sur une période un peu plus longue. Le système institutionnel américain finira par reprendre les choses en main et un vainqueur sera désigné. Il n'empêche que la confiance dans les institutions pourra en être affectée négativement. Le tableau et les g?raphiques suivants reprennent les principaux éléments à garder en tête, qu'il s'agisse du calendrier ou d'éléments de scénario.
Hervé Goulletquer est stratégiste de la Direction de la gestion de La Banque Postale Asset Management depuis 2014. Ses champs d’expertises couvrent l’économie mondiale, les marchés de capitaux et l’arbitrage entre classe d’actifs. Il produit une recherche quotidienne et hebdomadaire, et communique sur ces thèmes auprès des investisseurs français et internationaux.
Après des débuts chez Framatome, il a effectué toute sa carrière dans le secteur financier. Il était en dernier poste responsable mondial de la recherche marchés du Crédit Agricole CIB, où il gérait et animait un réseau d’une trentaine d’économistes et de stratégistes situés à Londres, Paris, New York, Hong Kong et Tokyo.
Il est titulaire d’une maîtrise d’économétrie, d’un DEA de conjoncture et politique économique et diplômé de l’Institut d’Administration des Entreprises de Paris.