Incertitude : accumulez, accumulez, c’est la tactique politicienne et les populistes !

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Par Hervé Goulletquer Publié le 22 mai 2020 à 12h22
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@shutter - © Economie Matin
6%La chine a fixé un objectif de chômage urbain à 6% pour 2020.

Il est difficile de se satisfaire de la remontée des indices PMI en mai ; les niveaux atteints restent trop bas. Ce qui justifie les discours appelant à en faire plus du côté de la politique économique.

Les relations sino-américaines se dégradent. Des deux côtés, on fait mine de considérer que cela concerne la sphère du politique et que les équilibres économiques seront préservés. Qui peut le croire ?

Les indices PMI ont remonté en mai tant aux Etats-Unis qu'en Zone Euro. Ils paraissent suivre en cela et avec un décalage de deux mois le profil observé en Chine, mais avec moins de force. Dans tous les cas, des indices composites à respectivement 30,5 et 36,4 restent très bas (après 27 et 13,6 en avril). L'analogie qui me vient en tête est celle du sous-marin qui perd le contrôle de sa plongée. Disons que la profondeur maximale de sécurité est de 200 mètres. Le bateau se stabilise à -250m ; l'équipage est terriblement inquiet. La remontée finit par s'engager. A -220m, l'espoir commence à renaitre, mais l'incertitude reste forte.

L'incertitude, peut-être plus que l'inquiétude, est assurément ce qui caractérise l'état d'esprit des membres du comité américain de politique monétaire. Les minutes de la réunion d'avril ont été publiées mercredi soir (heure de Paris). Elles en attestent. Les équipes du Board ont présenté aux policymakers le scénario d'une chute de l'activité en T2, suivie d'une reprise en T3 et au-delà. Cela serait, si on comprend bien, le scénario central. Un scénario alternatif, plus pessimiste mais tout autant possible, a aussi été discuté. De façon plus générale, il ressort des minutes, une impression de difficulté à baliser le chemin économique devant, avec une double inquiétude sur l'apparition de dommages permanents à l'économie et de fragilisation du système bancaire. On comprend alors l'antienne de Jerome Powell et de ses collègues : davantage de soutien doit être apporté à la croissance. Pour reprendre notre image, la remontée du sous-marin doit impérativement se poursuivre ! Comme en écho à l'analyse de la banque centrale, le secrétaire au Trésor a admis hier que davantage de soutien budgétaire serait sans doute nécessaire. Le propos peut sans doute aussi s'interpréter comme une invite aux Républicains du Congrès pour qu'il trouve un terrain d'entente en la matière avec leurs collègues démocrates. On se souvient que ceux-ci ont produits une proposition de loi sur un nouveau programme de relance de 3000 milliards d'USD. Le consensus se fera probablement autour d'un nombre plus bas. Mais l'idée d'en faire plus avance.

Notons aussi deux ou trois points importants en matière de conduite de la politique monétaire. La forward guidance (guidage prospectif) et le QE sont préférés au contrôle de la courbe des taux ou au plafonnement de ceux-ci. Sans que pourtant, si on comprend bien, tout soit « gravé dans le marbre ». Il se pourrait ainsi que la forward guidance soit renforcée. Des éléments de calendrier (un taux directeur proche de zéro jusqu'à telle date) ou de résultats économiques (des taux de chômage et d'inflation à tel et tel niveaux) seraient alors introduits. Remarquons que l'hypothèse de taux négatifs n'a pas été discutée. Ajoutons un point de datation à ces paramètres « opérationnels ». Il a été apporté hier au soir par Richard Clarida, le Vice-président du Board. La forward guidancene devrait pas être revue avant l'automne. Le temps que l'incertitude se dissipe et qu'il devienne alors possible de se projeter plus loin. Ne faut-il pas lire « en creux » que l'accompagnement par la politique monétaire d'une reprise hésitante s'inscrit dans le temps long ?

A côté du manque de repères pour anticiper le profil de l'activité au cours des prochains trimestres, l'ambiance tristounette observée hier sur les marchés s'explique par le climat politique et plus particulièrement la montée des tensions entre les Washington et Pékin. Le Président Trump pour la première fois a pointé un doigt accusateur sur son homologue chinois, Xi Jinping. Celui-ci serait « derrière » une campagne de désinformation et de propagande contre les Etats-Unis et l'Europe. On avait compris que la thématique électorale de l'actuel « locataire » de la Maison blanche tournerait autour de deux idées : il est le mieux à même de faire redémarrer l'économie et il est le plus ferme vis-à-vis d'une Chine qui n'est plus un partenaire, de moins en moins un concurrent et de plus en plus un adversaire. On le sent ; la communication s'éloigne du terrain économique, sur lequel on essaie de conserver les équilibres en cours, et investit le champ plus large des relations internationales, qui devraient aller se dégradant. L'essentiel du crescendo est-il pour avant l'élection de novembre prochain, ou pour après ? On ne sait évidemment pas répondre (qui sera le prochain Président américain ?), mais un apaisement à venir rapidement ne semble pas être l'hypothèse à privilégier.

La Chine n'a pas répondu avec force aux propos du Président américain. Sans doute les responsables politiques sont-ils accaparés par l'ouverture de l'Assemblée Nationale Populaire. Pour ce qui est des relations entre les deux pays, deux choses sont à noter ; l'approche est très dialectique. Il y a d'abord la volonté de respecter l'accord commercial de phase 1, signé en janvier dernier. Il y a ensuite cette déclaration sur la mise en place d'une loi de sécurité nationale concernant Hong Kong. On comprend que l'autonomie de la région administrative spéciale va être remise en cause. Cela ne peut qu'amener à une dégradation des relations politiques entre Pékin et Washington.

Comment ne pas se rendre compte du parallélisme des attitudes de part et d'autre : volonté réelle de dégradation des relations politiques et tentative affichée de préserver les liens commerciaux ? Qui peut croire que cela puisse fonctionner sur la durée ?

Passons aux dossiers davantage domestiques présentés en introduction des travaux de l'Assemblée Nationale Populaire. Par rapport à ce qu'on discutait mardi, il n'y a pas beaucoup de surprises.

Notons quatre points :

− L'abandon d'un objectif chiffré de croissance économique ; pas tant pour des raisons internes au pays et bien plus du fait des incertitudes internationales !
L'ambition de stabiliser le chômage « urbain » à 6% ; ce qui envoie un message sur la volonté de « tenir » l'économie pour garantir les équilibres sociaux ;
− Accélérer la réforme des entreprise d'Etat, avec le but d'améliorer leur compétitivité et de les décharger d'un certain nombre d'obligations sociétales ; l'entrée au capital d'intérêts privés sera encouragée ;
− Une nouvelle étape de libéralisation des investissements étrangers en Chine sera organisée (comme un « clin d'œil » aux Asiatiques et aux Européens à un moment de dégradation des relations sino-américaines).

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Hervé Goulletquer est stratégiste de la Direction de la gestion de La Banque Postale Asset Management depuis 2014. Ses champs d’expertises couvrent l’économie mondiale, les marchés de capitaux et l’arbitrage entre classe d’actifs. Il produit une recherche quotidienne et hebdomadaire, et communique sur ces thèmes auprès des investisseurs français et internationaux. Après des débuts chez Framatome, il a effectué toute sa carrière dans le secteur financier. Il était en dernier poste responsable mondial de la recherche marchés du Crédit Agricole CIB, où il gérait et animait un réseau d’une trentaine d’économistes et de stratégistes situés à Londres, Paris, New York, Hong Kong et Tokyo. Il est titulaire d’une maîtrise d’économétrie, d’un DEA de conjoncture et politique économique et diplômé de l’Institut d’Administration des Entreprises de Paris.

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