Mohamed, réfugié politique en Norvège : « Le pire est derrière moi »

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Par L'ECO Publié le 16 janvier 2015 à 3h02

En 2014, entre 5 000 et 10 000 Africains sont morts en Méditerranée en fuyant leur continent. Parmi les migrants qui l'ont franchie, certains, comme Mohamed, sont autorisés à vivre en Europe en tant que réfugiés car ils ont fui la guerre ou la dictature. D'autres n'en ont pas le droit ; ils doivent (en théorie) repartir ou sont renvoyés chez eux.

L'ÉCO : Pourquoi avoir choisi de rejoindre la Norvège ?

Mohamed : Quand j'étais petit, à l'école, on nous donnait des biscuits appelé « Norway » (« Norvège » en anglais). « C'est le nom du pays qui vous envoie ces biscuits », nous avait expliqué l'enseignant. Plus tard, j'ai connu un compatriote vivant en Norvège depuis 20 ans. Prof, il revenait chaque année aider sa famille. Mon oncle me disait : « C'est bien, la Norvège. » Les pays scandinaves sont connus pour être des États providence.

Comment es-tu arrivé ici, depuis l'île de Lampedusa?

La police italienne nous a conduits en avion jusqu'à Trieste, sur le continent. Là, j'ai refusé de donner mes empreintes digitales ; sinon, j'aurais été obligé de vivre en Italie, mon pays d'arrivée en Europe. J'ai fui le camp et pris le train pour Milan. Là, j'ai dormi dans la rue, il faisait froid, puis chez des Érythréens. Avec les 500 euros que tu m'as donnés pour m'aider, j'ai acheté à un passeur érythréen un faux passeport et un billet d'avion pour Oslo, la capitale norvégienne. J'ai déchiré le passeport et l'ai jeté dans les WC pendant le vol. On était quatre Érythréens à bord. À l'arrivée, les policiers, les bras croisés, nous ont tous laissés passer. Puis je me suis rendu au commissariat pour demander l'asile politique. On m'a demandé mes papiers…

« AVEC UN FAUX PASSEPORT ET UN BILLET D'AVION FOURNIS PAR UN PASSEUR, J'AI REJOINT LA NORVÈGE. »

Mais tu ne les avais pas...

Non. J'ai demandé par Face-book à un cousin au Soudan de me les envoyer car je les lui avais laissés. J'ai dormi une nuit au poste avant d'être interrogé, avec un interprète, et enfin emmené dans un camp d'immigrés. Après deux mois, la police m'a posé plein de questions, pendant sept heures. Je devais prouver que j'étais bien érythréen. On me demandait sans cesse : « Pourquoi as-tu quitté ton pays ? » J'ai répété : « Pour des raisons politiques : mon père est en prison et on a essayé de m'arrêter pour faire mon service militaire. Mais moi, je devais continuer des petits boulots (rabatteur de taxis, vendeur de glaces…) pour aider ma famille. » Les policiers m'ont donné des vêtements chauds, des bottes et une carte SIM. Deux semaines plus tard, j'ai obtenu l'asile politique.

Comment as-tu réagi ?

J'étais tellement content ! Un ami m'a prêté un peu d'argent pour appeler ma mère. Elle était sidérée. Elle m'a dit : « Mon fils, tu es un homme maintenant. Essaie d'être un homme bien, travaille dur et ne nous oublie pas. »

Ta première impression de la Norvège ?

Froid ! Il faisait – 5 °C, en décembre. Et la nuit tombe tôt, vers 14 h 30. Les Norvégiens parlent tous anglais, heureusement. Mais je n'aime pas leur spécialité de hot-dog, je préfère notre riz au poulet. Cela dit, bizarrement, je me sens chez moi ici.

Pourquoi habites-tu à Kristiansand ?

Il faut demander au gouvernement ! C'est ici qu'il m'a trouvé une maison. Plus tard, je pense que j'aurai plus de chances de trouver un travail à Oslo ou Stavanger (4e plus grande ville du pays). En tant que citoyen norvégien, je peux emprunter de l'argent à l'État pour étudier (il a choisi la géologie du pétrole à Stavanger). En attendant, je reçois 3 000 krones (l'équivalent de 330 euros environ) par mois de la mairie.

Tu as une petite amie ici ?

Non, ma petite amie vit au Soudan. C'est une copine d'enfance de mon village. Son père est soudanais, sa mère érythréenne. Elle n'a pas Face-book, alors je l'appelle deux fois par mois. Elle veut me rejoindre et ne me croit pas quand je lui dis que je n'ai pas d'argent pour la faire venir, alors que je suis en Europe ! Dieu va peut-être nous arranger cela un jour.

Comment as-tu vécu ce voyage de plus de 5 000 km et de deux ans ?

Il fallait rester en vie. Le reste n'était pas un problème. Le pire est maintenant derrière moi

C'EST QUI ? C'EST QUOI ? Mohamed (pseudo)

21 ans. Réfugié politique. Cet ex-étudiant en archéologie a fui son pays, l'Érythrée, à pied, en 2012. Il est un boat people sauvé au large de Lampedusa en 2013. Il vit à Kristiansand (Norvège) depuis fin 2013.

Il s'exprime en anglais.

Lampedusa (Italie)

Île méditerranéenne la plus au sud de l'Europe, à environ 100 km de la Tunisie et 300 km de la Libye. Elle compte environ 6 000 habitants, sur 20 km2 .

L'été, elle accueille de nombreux touristes italiens dans des criques paradisiaques et une réserve naturelle protégée.

Érythrée/Norvège

Pays africain de 6 millions d'habitants (5 millions pour la Norvège), le long de la mer Rouge. C'est l'un des 10 pays où l'IDH est le plus faible (la Norvège a le meilleur !).

L'Érythrée, une dictature, est 180e et dernière du classement Reporters sans frontières sur la liberté de la presse (Norvège : 3e ).

Cet article est extrait de l'Eco, hebdo destiné aux 12-16 ans.

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