Il y a comme un parfum de révolte contre le Capitole à la veille du cinquième Yellow Saturday –samedi jaune, sur les Champs Elysées en flammes. De l’embrasement à la Révolte.
Tout a semblé si soudain alors que les évènements étaient pourtant prévisibles, et comme consubstantiels au régime macroniste. On se souvient de la confrontation du monde aseptisé de la macronie, du coup de gueule des ouvriers en colère et de la gouaille de Marine Le Pen. Comment n’avoir pas tiré les leçons de la journée Whirlpool, et l’avoir ainsi réduite à une énième séquence de campagne sans lendemain alors que s’y trouvait déjà la quintessence du malaise français ?
Derrière le gilet jaune, forme de geai moqueur sifflant le ralliement des gueux de France venus du fin fond de la province au contact de l’opulence parisienne, jouissante encore des Black Friday, c’est la misère des districts qui cherche à se faire entendre. Pas celle des chômeurs, pas celle des immigrés reclus dans leurs cités, celle de la classe moyenne rackettée fiscalement et moralement humiliée. La province des gens ordinaires se présente comme la cohorte des pères et mères de famille, des petits enfants ou des grands parents venant défendre, qui les droits de ses enfants, qui la retraite de sa grand-mère, arc-boutés sur leur généalogie, seule richesse à laquelle ils s’accrochent encore.
Face à la mode du célibat et des familles éclatées sur l’autel du bonheur individuel, cette masse invisible des districts qui surgit dans Paris souille la capitale illuminée. La litanie des doléances ne cesse de s’allonger : c’est le district 10 qui hurle au racket fiscal, le 5 qui réclame contre la loi Travail, le 3 qui interpelle sur la marchandisation des corps et l’esclavagisme, le 12 qui réclame les votations ou la proportionnelle. Et les autres qui se taisent dans l’attente que l’on puisse évoquer les impacts de la crise migratoire, la progression de la violence ou la corruption généralisée.
Pour qui connaît la trilogie de Suzanne Collins, le parallèle est en effet remarquable, à l’absence près de Katniss Everdeen. Personne ne souhaite endosser l’armure, chacun préférant rester chez soi, mais tous sont pourtant dehors. La rue est le théâtre de la division, et seuls les plateaux télé orchestrent le face à face qui oppose ces ordinaires, déclassés, oubliés, aux journalistes sophistiqués, aux membres du gouvernement déconnectés, et aux bourgeois paniqués. Le rideau de fumée des gaz lacrymogènes et les grenades assourdissantes peinent à masquer la surdité collective et institutionnelle. De la théologie politique du double corps du roi, déployée aux lendemains de son élection, le président Macron ne porte plus qu’une dépouille qui annonce des funérailles. Aux discours compassionnels face aux revendications des minorités succède une fermeture absolue à toute revendication dès lors qu’elle est portée par les simples citoyens de Panem. Posture figée au sommet du G20, la bouche pleine encore de la transition énergétique et de l’Europe des technocrates, et le pin’s de la lutte contre le sida à la boutonnière, Macron se présente moins comme un roi paternel que comme l’avatar du froid Coriolanus Snow, perdu dans le scénario futuriste d’un monde hors sol auquel font encore obstacle les derniers gaulois réfractaires.
Comme un Roi, Macron se laisse toucher, mais par qui ? Et ses 13 minutes d’intervention n’y suffiront pas. Le président paye aujourd’hui l’arrogance d’hier, la violence institutionnalisée d’un Benalla, ses folles invitations festives à l’Elysée, et l’imprudent « qu’ils viennent me chercher ! ». Impliquant une lutte physique à mort, se joue désormais à travers les annonces fiscales un autre « jeu de la faim ».