La spirale inflationniste, le manque de personnels et les deux années de pandémie pèsent lourd sur la situation des hôpitaux, qui démarrent l’année dans l’inquiétude. Pour les fédérations hospitalières, cette situation exceptionnelle doit amener l’État à mettre en place des dispositifs financiers qui le seraient tout autant.
« La France a le meilleur système de santé au monde ». Vraie ou fausse, cette généralité est de plus en plus contestée, confrontée à la réalité d’un quotidien de plus en plus difficile, voire insoutenable, dans de nombreuses structures hospitalières à travers le pays. Après deux années à subir les assauts répétés des vagues épidémiques de Covid-19, les hôpitaux français sont pour beaucoup au bord de la rupture.
Malgré les efforts financiers consentis par le gouvernement et face au choc d’inflation qui vient après deux ans de crise sanitaire, la situation des hôpitaux tend à se dégrader fortement. D’après une étude menée par le cabinet Roland Berger, les tarifs hospitaliers nets d’inflation enregistrent une baisse réelle de -3.8 points en 2022, dans un contexte général d’inflation de +4,5%. Cet « effet ciseaux » entre hausse des coûts et baisse nette des tarifs soumet ainsi les hôpitaux français à « un niveau de tension inédit depuis cinq ans », affirme le cabinet privé. En bref, dans le contexte actuel, à tarif équivalent, les hôpitaux creusent à nouveau leurs déficits et perdent leurs capacités de rattrapage des soins après le Covid et de réinvestissement.
Inflation généralisée et surcoûts liés à la pandémie
Les structures de santé n’échappent en effet pas à la hausse générale des prix induite par la perturbation des chaînes d’approvisionnement au niveau mondial, et par la guerre en Ukraine. Pesant « lourd dans les dépenses globales d’un hôpital », selon Cécile Chevance, responsable finances de la Fédération hospitalière de France (FHF), celles liées à l’énergie connaissent une nette envolée. Dans un communiqué en date du 7 février dernier, la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP) faisait état de prévisions d’augmentation de coûts d’achat de l’ordre de 35 % pour le gaz et de 26 % pour l’électricité. Ce qui, à terme, devrait contribuer à affaiblir durablement leur trésorerie.
Cette pression inflationniste vient aussi s’ajouter à d’innombrables surcoûts liés à la crise sanitaire. L’étude réalisée par Roland Berger lève le voile sur une partie de ces dépenses additionnelles, dont les plus importantes concernent les primes des contrats de prévoyance (+40 %) et les achats de matériels (+5,2 %). Là aussi, la hausse globale des dépenses couplée à la baisse de l’activité hors-Covid – en raison des reports d’intervention et des déprogrammations – dessine un « effet ciseaux » aux conséquences préoccupantes sur les hôpitaux.
En début d’année, la FHF a par ailleurs alerté sur la spirale de dépenses dans laquelle sont engagés de nombreux hôpitaux. Ils sont effectivement nombreux à avoir entamé des chantiers de rénovation, sur la base des fonds alloués dans le cadre du « Ségur », dont les coûts augmentent de façon vertigineuse en raison de l’envolée des prix des matières premières.
Peur sur l’offre de soins
Dans un contexte marqué par une pénurie de soignants, le doute plane d’autant plus sur la capacité de la filière hospitalière française à assurer une offre de soins suffisante et de qualité. Alors que le conseil scientifique a de nouveau tiré la sonnette d’alarme en octobre dernier, par la voix de son président, Jean-François Delfraissy, la perspective d’une augmentation d’effectifs hospitaliers peine à se dessiner.
Dans son audition par la commission d’enquête du Sénat, en février, la présidente de la Haute autorité de santé (HAS), le Pr Dominique Le Guludec, établissait pourtant à nouveau, nettement, le « lien entre le niveau de personnel d’un établissement et la qualité des soins ». Il en va, selon la scientifique, de « l’amélioration du travail en équipe », indispensable au bon fonctionnement de toute structure hospitalière.
Le manque de personnels fait craindre une situation catastrophique cet été
Au fil des mois, les structures (et les soignants) au bord de la rupture se multiplient à travers le pays. En témoignent les plans blancs – batterie de mesures d’urgence – déclenchés par les responsables hospitaliers aux quatre coins de l’hexagone, quelques semaines après les avoir levés en raison de l’amélioration de la situation sanitaire liée à la pandémie. Une soixantaine d’hôpitaux ont déclenché un plan blanc entre février et avril 2022 du fait d’un absentéisme causé par l’épuisement généralisé des soignants, tandis qu’une cinquantaine ont dû fermer leurs urgences à cause de manques d’effectifs, rapportait Challenges le mois dernier. À Orléans, la crise des services d’urgences a contraint les infirmières et aides-soignantes remplaçantes à pallier les manques liés à l’absence de 76 titulaires, en arrêt maladie pour cause de burn-out. Le centre hospitalier régional de la ville connaît, depuis plusieurs semaines, un important mouvement social, qui menace de se propager comme une trainée de poudre à travers le pays.
Le 15 mai dernier, dans les colonnes du Journal du dimanche (JDD), une experte du secteur allait jusqu’à prédire « l’enfer » en juillet-août, du fait notamment des congés estivaux. Ces derniers pourraient contraindre, au-delà des seuls services d’urgence, des structures entières à stopper toute activité. À l’image de La Collégiale, hôpital gériatrique parisien, qui n’aura d’autre choix que de fermer ses 130 lits dès juin et pour une durée indéterminée. Au vu des nombreuses inquiétudes remontées par les acteurs de terrain au ministère de la Santé, un pic de tensions pouvant conduire à d’autres fermetures de ce type – jusque dans des établissements généralement épargnés, comme à Bayonne, Poitiers ou Lyon – est à prévoir cet été.