Hantée par le « taper tantrum » de 2013, la Réserve fédérale américaine (Fed) a travaillé dur pour communiquer ses changements de politique monétaire durant la pandémie. Ce mois-ci, après avoir préparé les marchés à une accélération de la normalisation afin de combattre l'inflation, la banque centrale a surpris les investisseurs en annonçant une nécessaire réduction de son bilan. Le resserrement des conditions monétaires, qui s'ajoute à la hausse des taux, inaugure une nouvelle phase du cycle.
L'inflation américaine ayant atteint les 7% en décembre, un niveau inégalé depuis 39 ans, la maîtrise de l'augmentation des prix est devenue une priorité. La semaine dernière, la gouverneure de la Fed Lael Brainard a déclaré que ramener l'inflation à 2% sans perturber la reprise américaine serait la « mission la plus importante » de la banque centrale.
Cet objectif n'est pas complètement nouveau. En décembre, la Fed a cessé de traiter l'inflation comme une diversion « transitoire », les données indiquant des répercussions plus vastes. Alors que son cadre de ciblage de l'inflation sur le moyen terme a permis à la banque centrale américaine de regarder au-delà des pressions inflationnistes à court terme, la vigueur du rebond économique de 2021, ainsi que les problèmes en matière de chaînes d'approvisionnement et les prix élevés de l'énergie, ont accéléré la nécessité d'une normalisation.
En réponse à la hausse de l'inflation et à la reprise rapide du marché de l'emploi, la Fed a déclaré qu'elle prévoyait de mettre fin en mars au programme d'achats d'urgence et annoncé au moins trois hausses de son taux directeur en 2022. Le rendement des bons du Trésor américain à 10 ans est passé en ce début d'année à 1,78%, un niveau plus enregistré depuis le déclenchement de la pandémie en janvier 2020. Le Bund allemand a également augmenté pour s'échanger autour de zéro pour la première fois depuis mai 2019, affichant un rendement de -0,09% la semaine dernière.
Cependant, les indications concernant une réduction de la taille de son bilan – publiées le 5 janvier dans le procès-verbal de la réunion de décembre de la Fed - ont créé la surprise. Grâce à ses achats d'actifs, la Fed a plus que doublé son bilan depuis le début de la pandémie : le total des actifs a bondi de 4 200 milliards USD en février 2020 à 8 800 milliards USD au début de cette année, soit l'équivalent de 40% du produit intérieur brut du pays.
Les taux réels commencent à bouger
Pourquoi est-ce important pour les investisseurs ? Durant la pandémie, la stratégie combinée d'achats d'obligations souveraines - limitant la réserve d'actifs « sûrs » à la disposition des investisseurs – et de taux d'intérêt historiquement bas, a calmé les marchés et propulsé les indices boursiers vers des sommets. Alors que ce soutien s'atténue et que les taux s'apprêtent à remonter, les taux réels – corrigés de l'inflation – commencent à bouger. Une évolution qui aura des répercussions sur toutes les classes d'actifs.
D'un point de vue économique, la question est de savoir à quel moment les hausses de taux commenceront à freiner la croissance américaine. Pour y répondre, nous examinons le coût du capital, en comparant la croissance potentielle avec les taux à 10 ans ajustés en fonction de l'inflation. Les taux réels sont passés de -1% au début de l'année à environ -0,75% actuellement, leur niveau le plus élevé depuis neuf mois. Cependant, ils resteront historiquement bas. Même les trois relèvements de 25 points de base prévus en 2022 peineront à entraîner les taux réels américains en territoire positif cette année. Le précédent cycle avait culminé en 2018 avec des taux réels à 1% et un taux nominal à 10 ans à 3%.
Dans le même temps, la Banque centrale européenne (BCE) prévoit aussi de mettre fin en mars à ses achats d'actifs d'urgence, tout en indiquant qu'elle n'avait pas l'intention de relever ses taux cette année. À la Banque d'Angleterre, le cycle de hausse des taux d'intérêt a débuté en décembre avec une augmentation de 15 points de base. En revanche, la Banque populaire de Chine emprunte la direction opposée, en assouplissant sa politique monétaire afin de contrer le ralentissement de la croissance économique observé en 2021.
Classes d'actifs face à la remontée des taux
Qu'est-ce que cela signifie pour les classes d'actifs ? Nous pensons que les actions enregistreront de bonnes performances en 2022, absorbant l'impact des hausses de taux aussi longtemps que la croissance économique et l'activité seront vigoureuses. Dans cet environnement inflationniste, les investisseurs privilégieront les entreprises les plus à même de protéger leurs revenus de la hausse des coûts. Plus précisément, nous pensons que les titres de type « valeur » (value) devraient bien se porter. Dans une moindre mesure, certaines valeurs cycliques devraient également bénéficier de la solidité de l'activité économique, tandis que les petites capitalisations présentent des valorisations attrayantes.
Par le passé, le crédit d'entreprise tendait à surperformer la dette souveraine lors des cycles de hausse des taux et les spreads se resserraient, absorbant en partie l'impact des hausses de taux. Ceci pourrait s'avérer moins évident en 2022. Les rendements sont globalement plus faibles et les spreads serrés par rapport aux normes historiques. Les rendements des emprunts d'États étant appelés à augmenter en 2022, nos prévisions de fin d'année pour les bons du Trésor américain et les Bunds allemands à 10 ans sont respectivement de 2,25% et 0,25%.
En ligne avec les attentes de normalisation des politiques monétaires aux États-Unis et dans la zone euro, nous préférons un biais de duration courte et les obligations d'entreprise à taux variable. Au niveau de la classe d'actifs, nous sous-pondérons les obligations souveraines et de qualité ( investment grade), en faveur du crédit asiatique libellé en dollars et de la dette chinoise libellée en renminbi.
Tandis que les taux réels restent en territoire négatif, ce qui signifie que la détention de liquidités a un coût, nous avons augmenté nos positions en liquidités en novembre. Dans un environnement de volatilité croissante, cela nous permettra de saisir les opportunités de réinvestir dans des actifs risqués.
L'or, refuge traditionnel contre l'inflation, a été tempéré par un dollar robuste et par les attentes en matière de hausse des taux. Historiquement, l'or tend à souffrir devant un premier relèvement des taux – et plus encore lorsque les marchés anticipent des hausses plus rapides que prévu. Une fois le cycle de hausse entamé, la performance de l'or dépend de la persistance de la politique monétaire à vouloir cibler, ou non, l'inflation. Dans l'ensemble, plus rapidement l'inflation recule et les taux réels augmentent, plus la pression sur le cours de l'or est forte. Nous pensons que le métal jaune va baisser cette année pour finalement s'échanger vers 1 600 USD l'once, et nous conservons notre sous-pondération.
Les autres matières premières, comme le pétrole brut, le cuivre et les matières premières agricoles, sont moins directement affectées par la politique monétaire et davantage par l'expansion de l'activité et les niveaux d'approvisionnement.
Cette année, nous tablons sur un renforcement du dollar américain et un affaiblissement de l'euro, tandis que le renminbi devrait rester stable durant la première moitié de l'année. L'euro-dollar pourrait demeurer sous pression, dans l'hypothèse d'un ralentissement de la croissance mondiale vers sa tendance et tant que la BCE sera en retard sur le rythme du resserrement monétaire de la Fed. La forte balance extérieure de la Chine et le fait que l'essentiel de sa dette est financé en renminbi devraient limiter la sensibilité de la monnaie chinoise à la hausse des taux américains comparativement aux autres monnaies émergentes.