Hakim Gaouaoui possède huit restaurants dans les Hauts-de-Seine (bientôt dix). Pour ce self made man, patron des Bistrots Pas-Parisiens - 30 millions de chiffre d’affaire prévisionnel pour 2020 -, hors de question de développer ses affaires à Paris. La banlieue, c’est son terrain de jeux. Et il gagne à chaque fois.
Pas Parisiens
« On a sorti les Hauts-de-Seine du no man’s land », analyse fièrement Hakim Gaouaoui, propriétaire de huit bistrots situés dans le riche département de l’ouest parisien. Assis devant la baie vitrée de la grande salle du Là-haut (à Suresnes), face à la Défense, l’homme, aussi élégant et chaleureux que ses restaurants, rejoue avec plaisir le film de sa vie professionnelle. Suresnois de naissance, il a franchi toutes les étapes de la restauration avant de devenir l’un des acteurs principaux du dynamisme de la région avec les établissements Macaille et Là-haut (Suresnes), Sapristi (Rueil-Malmaison), Saperlipopette (Puteaux), Splash (Asnières-sur-Seine), et quatre autres enseignes du groupe Bistrots Pas Parisiens. Pourtant, rien ne prédestinait ce fils de serrurier et d’assistante maternelle à être désigné chef d'entreprise de l'année 2019 par le prestigieux guide gastronomique Gault et Millau.
Avec quelques notions de comptabilité en poche, acquises tant bien que mal, le cadet d’une fratrie de quatre gagne ses premiers euros en livrant des pizzas à Paris au début des années 1990. En l’espace de quelques mois, le jeune homme devient serveur, barman, manager, puis file en Grande-Bretagne où l’attend un poste de directeur de restaurant avant de revenir en France pour diriger des établissements sous la houlette du groupe Bertrand et de Philippe Fatien, patron du Queen. Jusqu’en 2010, où il décide d’acheter l’Escargot, à Puteaux. Cette fois-ci, le seul patron, c’est lui. Surnommé le « Dragon » par ses équipes, l’homme est grand travailleur et reconnaît n’avoir aucune autre passion : « Vers quarante ans lorsque je me suis arrêté de travailler, avant de reprendre l’Escargot, je pensais pouvoir vivre de mes rentes en étant heureux. Erreur ! J’étais riche mais déprimé. J’aime travailler et j’aime mon travail. Je ne conçois pas la vie autrement », déclare ce petit dormeur dont il faut devancer les ordres : « Avec lui, il faut être rapide parce qu’il peut être très vite agacé », confirme un fidèle compagnon de route. « Il a beaucoup d’idées et il est capable de les concrétiser. C’est une vraie force », confirme Manuel Aeschlimann, maire d’Asnières-sur-Seine.
Restauration de qualité en banlieue
Des idées a priori toutes simples mais diablement efficaces : une cuisine de chef, de bon rapport qualité-prix, dans une décoration soignée, à quelques minutes de la Défense et de ses grandes entreprises. Pour les cadres sup, c’est une véritable aubaine : finis, les déjeuners à Paris et son lot d’embouteillages pour y parvenir. Et pour les communes de banlieue, la vie peut commencer : « Le lancement très people du restaurant a été un moment fort pour Asnières, cela participe à l’image dynamique et attractive de la ville », souligne M. Aeschlimann. Même le médiatique chef Norbert Tarayre, partenaire de M. Gaouaoui, était de la partie.
Hakim Gaouaoui fait ainsi la joie des maires, intarissables à son sujet. Patrick Ollier, maire de Rueil-Malmaison, se souvient de leur rencontre il y a deux ans, lors d’un déjeuner au restaurant Saperlipopette de Puteaux dont l’ancien président de la république, Nicolas Sarkozy, est un client. Depuis, M. Ollier et se réjouit chaque jour de l’ouverture du Sapristi dans sa commune. Christian Dupuy, maire de Suresnes, en parle comme d’un magicien : « C’est un garçon débordant d’imagination, doué pour transformer des lieux et les rendre attractifs ». Il n’a pas tort. Les restaurants sont pleins.
Le principal intéressé pourrait en rougir s’il n’avait pas en permanence « peur de tout perdre ». Alors il s’entoure : « À chaque fois que je monte une marche, tout le monde monte avec moi ». Il a ainsi su conserver une fidèle équipe d’une dizaine de personnes depuis l’ouverture de l’Escargot sept ans auparavant. Yohann Flament, chef de cuisine du Là-haut, le confirme : « Quand je suis arrivé, j’étais second de cuisine. Depuis, j’ai participé à toutes les ouvertures. Le bonheur d’Hakim, c’est de nous voir prendre des responsabilités ». Un talent de manager reconnu par le directeur associé du fonds de pension Extendam, principal investisseur dans les affaires du suresnois : « Hakim est un chef de meute ».
Tirer les salariés vers le haut
Comme pour s’excuser, le principal intéressé, réservé, veut rassurer : « Je pars d’en bas, je ne l’oublie pas », insiste-t-il. Et de loin, pourrait-il ajouter, tant l’histoire de son grand-père, venu seul de Kabylie en France pour y trouver du travail, l’émeut encore : « Je sais ce que c’est de manquer d’argent, alors j’aide mes salariés lorsqu’ils ont des projets. Je les incite à devenir propriétaire et je les y aide. Mais pour qu’une affaire marche, le salaire n’est pas le seul critère, il faut de la reconnaissance, du temps passé avec eux », souligne l’homme d’affaire. Pour y parvenir, il s’est notamment plongé quinze jours en cuisine dans l’un de ses restaurants. La recette fonctionne, les jeunes restent.
Mais Hakim Gaouaoui soupire, car le plus gros reste à faire : « Il faut tout reprendre dans ce métier. Il faut une vraie réflexion de fond si l’on veut rester un pays de gastronomie. Il faut avoir une vraie politique en matière de qualité et d’origine des produits. Et revoir impérativement la formation des jeunes dans les lycées professionnels. Aujourd’hui, ils apprennent le métier dans des restaurants de province des années 80, avec des crêpes flambées et découpées devant le client, à l’ancienne, sans savoir parler, sans savoir se tenir. On ne leur apprend pas l’expérience client, il faudrait au moins qu’ils aient des cours de théâtre ». Ce sont les limites du système.
« De mon côté, ma seule limite, c’est moi », reprend-il dans un sourire en se versant un deuxième grand crème (il ne boit jamais d’alcool). « Oui, j’ai des projets, quelque chose qui n’existe pas encore », lâche-t-il du bout des lèvres. Notamment un hôtel de luxe, bien plus grand et plus chic que l’hôtel de Russie, situé au Mont Dore (Auvergne), que le couple Gaouaoui avait acquis et tenu pendant trois ans au début des années 2000. Mais à quel endroit cette fois-ci ? Toujours dans les Hauts-de-Seine, bien entendu, « Là où il y a de la demande, mais pas d’offre », ajoute-t-il, tout en restant mystérieux. Il ne rencontrera aucune difficulté. Le maire d’une commune le confirme : des discussions sont en cours.
Terminé, le no man’s land. Les Hauts-de-Seine vont devenir the place to be. Merci qui ?