La guerre de l’aluminium aura-t-elle lieu ?

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Par Alexandre Lobov Publié le 23 mai 2018 à 5h00
Aluminium Taxes Etats Unis France
@shutter - © Economie Matin
10 %Les Etats-Unis ont décidé de mettre en place des taxes douanières sur les importations d'aluminium à hauteur de 10 %.

Les sanctions américaines ont amorcé une guerre de l’aluminium féroce : visant ad hominem 38 personnalités et firmes russes, elles ont fait craindre des sanctions secondaires pour leurs partenaires.

Si le Trésor américain a écarté cette possibilité, une appréciation extensive de la nationalité américaine pourrait cependant faire tomber sous le couperet des sanctions, des entreprises étrangères ayant des intérêts aux Etats-Unis.

« On ne déclenche pas une guerre commerciale contre ses alliés », déclarait le 22 avril Emmanuel Macron, en visite à Washington pour convaincre Donald Trump d’exempter définitivement l’Europe des taxes sur les importations d’acier et d’aluminium. Les Etats-Unis ont en effet décidé de mettre en place des taxes douanières sur les importations d’aluminium et d’acier, à hauteur, respectivement, de 10 et 25 %, ceci afin de répondre aux “agressions” dont seraient victimes ces industries aux Etats-Unis selon Donald Trump.

A ces taxes s’ajoutent des sanctions visant ad hominem des entreprises et personnes physiques russes. Parmi elles, le magnat russe Oleg Deripaska et plusieurs des entreprises qu'il contrôle, dont Rusal l’un des leaders mondiaux en fourniture d’aluminium. Les entreprises américaines qui traiteront encore avec Rusal après le 23 octobre s’exposent dès lors à des amendes. Conséquence directe de ces annonces américaines, l’action du producteur russe dévisse et le cours de l’aluminium s’envole. L’onde de choc provoquée par les sanctions contre Rusal a eu pour effet de saboter l’objectif de l’Administration américaine de relancer la capacité de production du secteur de l’aluminium aux Etats-Unis. Une balle dans le pied, en somme.

Le secteur industriel touché par la crise de l’aluminium

La hausse des taxes sur l'aluminium se répercutera mécaniquement sur les consommateurs finaux (prix des canettes ou des voitures). Mais les sanctions contre l’entreprise Rusal, qui disposait de 7% des parts de marché mondiale en 2017, risquent d’être également problématiques pour les entreprises, européennes notamment. D’après l’association allemande WirtschaftsVereinigung Metalle, à cause des sanctions contre Rusal, des usines risquent de se retrouver en pénurie de fournisseurs ou des usines risquent de fermer en Europe. La guerre de l’aluminium ne fait peut-être que commencer.

Par ailleurs, Rio Tinto a déclaré un cas de force majeure sur certains contrats notamment celui avec la raffinerie Aughinish située en Irlande. La raison est que l’usine appartient à Rusal et que l’entreprise ne souhaite pas s’exposer aux sanctions américaines. Pour l’expert Andy Home « Si Rio Tinto cesse de livrer du bauxite (principal minerai permettant la production d’aluminium) à Aughinish, l’usine fermera en faisant perdre deux millions de tonnes d’alumine au marché européen, ce qui à son tour provoquera des fermetures de fonderie en Ecosse, France et Islande».

A Dunkerque, la première fonderie d’aluminium d’Europe aux 540 salariés, a cessé de s’approvisionner chez Rusal, son plus gros fournisseur d’alumine. L’absence de ce matériau essentiel pour la production d’aluminium pénaliserait toute la production. L'usine Dunkerque Aluminium a été rachetée par l’entreprise anglo-australienne, Rio Tinto, qui dispose de filiales aux Etats-Unis et est donc, de facto, soumise à la loi américaine.

Constellium, multinationale spécialisée dans la fabrication de produits en aluminium, est fortement ancrée dans le paysage européen notamment français. Avec l’extraterritorialité du droit américain, sera-t-il concerné le 23 octobre prochain par l’interdiction de toutes relations commerciales avec Rusal ? Le groupe ne compte pas moins de sept sites répartis aux quatre coins de l’Hexagone. C’est notamment le cas à Issoire, dans le Puy-de-Dôme : l’entreprise, numéro deux mondial dans la production d’aluminium pour le secteur aérospatial, emploie 1 600 personnes. Les sanctions américaines rendent l’avenir du groupe incertain.

Des PME françaises touchées

En France, les PME confrontées à la hausse des prix du cours de l’aluminium risquent d’être fortement impactées. Les plus petites entreprises pourront difficilement se maintenir et anticiper les aléas potentiels liés à la politique étatsunienne. Combien mettront la clé sous la porte ? Difficile pour le moment de l’évaluer. L’usine à Ronchin Fives ECL est un véritable champion national : PME, championne de l’export… Ses 370 salariés fabriquent toutes les machines nécessaires à la fabrication de l’aluminium à destination des professionnels du secteur. Si le cours du matériau devient volatil ou si une nouvelle crise frappe ce secteur comme entre 2012 et 2015, quel avenir pour l’usine ?

C’est aussi le cas dans le Lot, chez Figeac Aéro, un sous-traitant aéronautique qui travaille principalement avec le groupe français Safran. Spécialisé dans la construction d’éléments de moteurs d’avions de nouvelle génération, il a empoché un contrat sur dix ans d’un demi-milliard de dollars. Les embauches prévues pour répondre à ce nouveau contrat risquent de ne jamais voir le jour après les sanctions décidées par l’administration américaine.

Dans un monde globalisé, les sanctions n’auront pas de conséquences que sur leurs cibles. Pour les fabricants de voitures ou de canettes, d’après Reuters, la « perte de 200 000 - 230 000 tonnes d’aluminium par mois, importées de Russie, causera une « demande critique» pour le métal chinois ». Un métal boudé car ne correspondant pas à de nombreux usages pourtant essentiels au quotidien. Des entreprises comme Volkswagen, Airbus subiraient des dommages collatéraux. Les PME seraient aussi concernées nécessairement. Selon le comité oriental de l’économie allemande, ce sont 60 entreprises allemandes concernées avec « des annulations chiffrées à plusieurs centaines de millions d’euros».

Le 23 avril, Le Trésor américain s’est voulu rassurant en annonçant que les sanctions ne s’appliqueront pas aux entreprises partenaires non-américaines. Mais peut-on estimer qu’elles sont pour autant à l’abri ? L’extraterritorialité agressive du droit américain laisse craindre le contraire.

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Alexandre Lobov, Président d’une PME familiale spécialisée dans la conception de produits d’aluminium à destination de l'industrie. Expert en stratégie des PME.