Grand Débat : comment baisser les dépenses publiques ?

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Par Eric Verhaeghe Modifié le 23 janvier 2019 à 9h54
France Dette Reduction Depenses Publiques
@shutter - © Economie Matin
56,4%Avec 56,4% du PIB consacrés aux dépenses publiques, la France est de loin la « championne du monde ».

Baisser les dépenses publiques? C'est à la fois le sujet le plus important, et même le plus crucial, mais aussi le plus technique et le plus ennuyeux du débat public. On trouvera ici une synthèse forcément restreinte, qui appelle de nombreux développements, mais qui se veut la moins rébarbative possible. Le lecteur pardonnera le parti pris incisif et « carré » de certains propos, destinés à être forcément modérés... Mais il est parfois bon de procéder à quelques électrochocs, face à des résistances massives.

OECD Chart: Dépenses des administrations publiques, Total, % du PIB, 2016

Commençons par le commencement, et rappelons d’abord pourquoi il est urgent ET vital de baisser les dépenses publiques en France. Le graphique ci-dessus montre le poids de celles-ci dans les premières économies du monde (hors Chine). Avec 56,4% du PIB consacrés aux dépenses publiques, la France est de loin la « championne du monde », devant l’Italie, autre pays malade de l’Europe.

L’Allemagne, pays triomphant de la décennie, mutualise ou publicise (chacun choisira son terme) 12,5 point de PIB de moins que la France. Les États-Unis mutualisent 20 points de PIB de moins.

Pourquoi baisser les dépenses publiques ?

Il ne s’agit pas ici de consacrer la religion de la norme OCDE. Il n’en reste pas moins qu’une corrélation se dégage objectivement entre une faible croissance et une boursouflure des dépenses publiques dans les grandes économies. Autrement dit, plus l’État dépense, moins la prospérité collective est forte.

Pour contrer cet argument, beaucoup de polémistes vont chercher des exemples de petits pays comme la Finlande ou le Danemark, qui ont des dépenses publiques moindres que la France, cela dit, pour expliquer qu’on peut cumuler un État omniprésent et une prospérité relative. Reste à démontrer que ce qui vaut pour des petits pays à tradition spécifique vaudrait aussi pour des pays beaucoup plus peuplés et ayant un rôle beaucoup plus polyvalent dans la division internationale du travail.

Faute d’une démonstration probante sur l’expérience danoise ou finlandaise transposée à la France, on se cantonnera à ce constat sérieux et prudent: l’excroissance des dépenses publiques en France tue peu à peu notre prospérité.

Une brève histoire de la dépense publique en France

Il n’est peut-être pas inutile, pour illustrer le débat, de replacer la dépense publique dans son historique récent. Et pour bien forcer le trait du traité d’Aix-la-Chapelle qui suscite tant de polémiques, notamment parce qu’il préconise un rapprochement économique entre la France et l’Allemagne, on mettra ici en parallèle l’histoire de cette dépense comparée entre les deux pays :

OECD Chart: Dépenses des administrations publiques, Total, % du PIB, 1995 – 2016

Ce graphique est évidemment très éloquent, dans la mesure où il montre comment, de façon saisissante, d’un point de départ commun en 1995 (55% du PIB en dépenses publiques), l’Allemagne et la France ont suivi des trajectoires de dépenses publiques diamétralement opposées. Avec 90 millions d’habitants, l’Allemagne est parvenue à baisser sans trouble social majeur sa dépense publique de 10 points dans le PIB, quand des relations sociales chaotiques accompagnaient en France l’approche des 57% de PIB, c’est-à-dire une hausse, à coup de pression fiscale, de 3 points de PIB de la dépense publique.

En substance, la France relevait sa dépense publique de 60 milliards en l’espace de 10 ans, quand l’Allemagne la baissait de près de 350 milliards !

On notera qu’à l’occasion de la crise de 2008, l’Allemagne n’a pas hésité à augmenter temporairement sa dépense publique de 5 points de PIB, quand la France concédait seulement 4 points de hausse. À la différence de l’Allemagne, la France (sous François Hollande puis sous Emmanuel Macron) n’a pas jugulé cette hausse, quand l’Allemagne a fait l’effort de revenir à un point bas de dépense publique.

Les ambitions macroniennes pour baisser les dépenses publiques

Dans ce paysage apocalyptique où la perte de compétitivité de la France est évidente, l’élection présidentielle a ébauché un débat (vite avorté, curieusement) sur la baisse des dépenses publiques. Le candidat Macron proposait alors de baisser les dépenses publiques de trois points de PIB en cinq ans. Une lecture du graphique ci-dessus montre que cet effort, présenté comme quasi-insurmontable par la technostructure, est ridiculement insignifiant en comparaison des choix opérés en Allemagne.

Malgré cette insignifiance, le gouvernement Philippe a soigneusement évité d’aborder ce sujet, repoussant systématiquement les suppressions d’emplois dont le pays a besoin, et rangeant au placard le pourtant modeste rapport CAP 22. Alors que le Président s’est précipité pour augmenter la pression fiscale (notamment avec la CSG), il a bien pris garde à ne pas s’attaquer à son chantier intégré à son programme présidentiel sur la baisse des dépenses publiques.

La technostructure devrait fermement résister au projet

Malgré l’ambition modeste du président Macron (qui peut se résumer à un retour aux dépenses publiques telles qu’elles étaient sous Lionel Jospin, ce qui est loin de l’hyper-libéralisme), la technostructure a d’ores et déjà commencé à s’arc-bouter sur la question. Selon elle, si des dépenses publiques doivent être sacrifiées, ce sont d’abord celles qui visent à favoriser l’emploi privé et, bien entendu, le niveau de vie des plus faibles (tout ceci au nom de l’égalité, de l’intérêt général et de la solidarité, comme il se doit!)

Retrouvez ici les premières frappes préventives de la technostructure contre une baisse des dépenses publiques et ici le plaidoyer de la technostructure contre le CICE.

Tout laisse à penser, donc, que le combat sera rude pour obtenir une baisse des dépenses. D’ores et déjà, il est exclu, pour les élites administratives, de mener un examen au cas par cas des dépenses les plus élevées. Les mesures qui seront prises viseront essentiellement les retraites et les dépenses de santé, et ne toucheront pas à notre administration obèse.

Une méthode pour baisser les dépenses publiques

Face aux argumentations byzantines de la haute fonction publique pour ne surtout pas baisser ses dépenses publiques à elle (c’est-à-dire les tribus de fonctionnaires inutiles avec des salaires souvent mirobolants) et plutôt diminuer les dépenses des autres (les retraites et la santé), il faudra souquer ferme et commencer par une méthode solide, robuste, pour escalader la montagne.

De ce point de vue, nous proposons ici un cadre global conforme au droit communautaire: interdire toute intervention publique monopolistique là où le marché est efficient. C’est le fondement même du marché unique d’avoir contraint progressivement, les États membres à harmoniser leurs pratiques d’intervention publique en imposant cette règle, au fondement de nombreuses jurisprudences de la Cour de Luxembourg.

Il est donc proposé de supprimer le monopole public partout où le marché peut être efficient, et d’établir une neutralité fiscale entre l’intervention publique et l’intervention privée lorsque l’intervention publique continue.

La méthode appliquée à la santé

Pour illustrer ce propos, on appliquera simplement ce procédé à la santé. Aujourd’hui, la puissance publique gère directement environ les deux tiers de l’hospitalisation en France. Des études précises ont démontré l‘inefficacité de la dépense publique dans ce domaine. Non seulement les hôpitaux publics gèrent moins bien leurs coûts, mais leur management interne créent artificiellement des coûts bureaucratiques comme la tarification à l’activité (T2A) qui débouchent sur des majorations de tarifs ou de dépenses uniquement liées à la sur-administration des structures.

Le maintien d’une pléthore d’hôpitaux publics alors qu’il existe des cliniques privées qui dispensent des soins moins chers que les hôpitaux publics amène forcément des questions. Si la persistance d’un réseau d’hôpitaux universitaires publics se justifie, on voit mal pourquoi l’État gaspille des fonds publics en gérant mal, et souvent dans des conditions chaotiques, des structures locales qui pourraient être déléguées au secteur privé sans aucun reste à charge pour les patients.

La suppression du statut de la fonction publique dans les hôpitaux publics constituerait une première étape importante, qui introduirait de la flexibilité dans la gestion des effectifs hospitaliers. Dans la pratique, le statut est générateur de nombreux conflits sociaux, là où la gestion privée se révèle étonnamment plus humaine et participative.

La méthode appliquée à l’assurance maladie

Dans le prolongement de ce qui est dit ci-dessus, les conditions de remboursement des soins, pompeusement appelées en France protection sociale, mériteraient un examen approfondi. Malgré une politique de plus en plus coûteuse, l’assurance maladie (obligatoire et monopolistique en France) continue à mal prendre en charge le cancer et les affections graves. Comme elle est monopolistique, l’assurance maladie relève des dépenses publiques et donc des déficits contrôlés par le traité de Maastricht.

Or, une réforme identique à ce qui fut pratiqué en Allemagne dans les années 90, à savoir une préservation des caisses primaires existantes, mais une suppression de l’affiliation obligatoire à celles-ci, permettrait d’introduire de la concurrence dans le système et de sortir les dépenses de protection sociale hors des comptes publics. Cette solution, qui pourrait être pratiquée facilement en France en autorisant les organismes complémentaires à rembourser au premier euro au-delà d’un certain seuil de revenus, améliorerait les soins et diminuerait fortement les dépenses publiques.

La méthode appliquée à l’Éducation Nationale

Dans le domaine éducatif, l’application de la méthode permettrait de constater que la floraison d’écoles privées hors contrat (c’est-à-dire sans aucune subvention publique) prouve qu’il existe un marché de la scolarité, qu’une abondante politique d’écoles publiques ne suffit pas à étouffer. Il faut dire que les résultats cataclysmiques de l’école publique en termes de performance internationale expliquent à eux seuls la méfiance largement répandue vis-à-vis de l’école publique.

Dans le domaine scolaire, l’attribution d’un crédit d’impôt aux parents inscrivant leurs enfants dans des structures hors contrat garantirait la neutralité fiscale de l’État. Ce crédit d’impôt serait égal à la subvention moyenne accordée à un enfant inscrit dans une école publique. Il serait d’environ 5.000€ à l’école primaire, et 9.000€ au lycée. Bien entendu, ce versement pourrait être entouré de garanties sur le sérieux de la structure scolaire en question.

Cette méthode serait une décision égalitaire: elle permettrait aux enfants pauvres d’avoir accès à des écoles d’excellence quelle que soit leur situation géographique. Cette égalité est rendue impossible par le système scolaire actuel.

Supprimer le statut de la fonction publique pour les très hauts fonctionnaires

L’ensemble de ces exemples suppose toutefois un ré-examen en profondeur de nos réglementations. Nous ne sommes plus ici dans des ajustements tactiques du système, mais dans un revirement stratégique où ce qui est privilégié n’est plus de solvabiliser l’offre (c’est-à-dire de financer des services publics), mais de solvabiliser la demande (c’est-à-dire de permettre aux citoyens d’avoir accès aux biens dont ils ont besoin en les laissant libres de choisir celui qui leur convient). Ce revirement ne peut fonctionner que si et seulement si un changement de mentalité est opéré dans les services publics.

Sur ce point, la notion de responsabilité doit envahir l’organisation du système. Elle passe forcément par les têtes pensantes, qui doivent pouvoir finir chez Pôle Emploi lorsqu’ils n’atteignent pas leurs objectifs. Ceci suppose la fin du statut de la fonction publique et de sa protection pour les directeurs d’administration centrale.

Paradoxalement, face à une politisation généralisée de la haute administration (il n’est plus possible aujourd’hui d’être directeur dans le service public sans être encarté dans une mouvance politique), la fin du statut pour les directeurs d’administration centrale (et quelques autres) est la meilleure garantie pour une indépendance retrouvée du secteur public.

La méthode du choc plutôt que la méthode du reboulonnage

On l’a compris, la méthode proposée ici procède par remède de cheval et par choc salutaire. Elle vise à « re-engineeré » les services publics, comme on dit, c’est-à-dire à resserrer l’État sur les domaines régaliens (police, armée, justice, diplomatie, collecte de l’impôt), et à ouvrir le reste de l’intervention publique actuelle à la concurrence.

Nous avons bien pris de la tactique de « reboulonnage » proposée par la haute fonction publique, qui vise à modérer en permanence les réformes possibles, à les réduire pour qu’il en reste le minimum possible à la fin.

Nous pensons que l’arbitrage entre les deux méthodes ne se fera pas par la raison humaine, mais par le destin historique. La méthode proposée par la haute fonction publique, qui est profondément immobiliste, créera des troubles sociaux de plus en plus importants. Elle repose en effet sur une augmentation constante de la fiscalité, jusqu’à des niveaux insupportables. In fine, le reboulonnage deviendra si ingérable qu’il débouchera sur une insolvabilité de l’État et sur un recours forcé à la méthode du choc. Nous pensons donc que, plus tôt la méthode du choc sera utilisée, moins elle sera douloureuse.

Dans tous les cas, elle est la plus rationnelle et la plus protectrice pour l’intérêt général.

Article écrit par Eric Verhaeghe sur son blog

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "