Gouvernance européenne : au-delà des noms

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Par Véronique Riches-Flores Publié le 23 juillet 2019 à 5h53
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@shutter - © Economie Matin
383Ursula von der Leyen a été élue à 383 voix pour, avec 327 voix contre et 22 abstentions.

Nous avions opté, à la veille des élections européennes, pour un titre provocateur : « Sans électrochoc salvateur, l'Europe se dirige droit dans le mur ». Après le fiasco des premiers rounds de négociations sur la désignation des responsables des postes-clés de la gouvernance de l'Europe, les nominations finales sont plutôt réconfortantes. L'électrochoc s'est-il produit ? On est tenté de le penser, comme semble d’ailleurs en témoigner l’écrasement du spread de taux d’intérêt italo-allemands depuis l’annonce des nominations de C. Lagarde et d’U. von der Leyen respectivement à la tête de la BCE et de la Commission.

Si ce point de départ rassure, le plus dur reste néanmoins à faire : il s’agit de sortir l'Europe de l'immobilisme de ces dernières années et de parvenir à atteler ses différentes parties à une ambition collective. C'est tout l'impératif de ce quinquennat au cours duquel il faudra raccrocher les wagons que la crise de ces dernières années a trop dispersés. Au-delà des chefs de file, les dissensions sont intenses entre les différents pays de la région et, contrairement à ce que l’on serait tenté de penser, un environnement international adverse n’est pas forcément synonyme de meilleure cohésion intra européenne. Si les chances de réussite existent, elles appelleront une détermination sans faille et un degré d’habileté que les conditions économiques difficiles en présence ne cesseront de challenger, que ce soit sur le plan monétaire, financier ou budgétaire.

La bonne équipe

Le soulagement est net depuis les nominations des responsables européens. Alors que l’éclatement des voix du scrutin a pu faire redouter une certaine paralysie, les négociations qui ont suivi ont plutôt été porteuses de bonnes nouvelles avec les nominations respectives de C. Lagarde à la tête de la BCE, d’U. von der Leyen à la présidence de la Commission ou encore celle de C. Michel au Conseil européen et de l’Italien D. Sassoli pour le parlement.

- Première raison de satisfaction, la nomination de personnalités de caractère, ayant non seulement fait preuve de leurs convictions européennes mais aussi de leur pragmatisme, qualités indiscutablement prioritaires pour espérer gérer les sensibilités politiques et culturelles de plus en plus exacerbées au sein de l’UE. Le choix de deux femmes aux deux postes les plus influents de responsabilité est, par ailleurs, loin d'être anodin et marque potentiellement une rupture avec le passé d'une gouvernance souvent perçue comme trop technocratique.

- Deuxième raison, l’implication d’un représentant de l’Allemagne dans les instances dirigeantes. Il aurait été préoccupant que, le candidat M. Weber refoulé, l’Allemagne ne soit pas partie prenante de la direction européenne. Difficile, en effet, d’imaginer de quelconques avancées significatives sans sa participation active. En ce sens, la nomination de Mme von der Leyen est incontestablement un bon point, dont le positionnement modéré laisse espérer la formation d’un nouveau terrain d’échanges entre l’Allemagne et ses partenaires, hypothèse que le profil du candidat légitime M. Weber, rendait nettement moins envisageable.

- Enfin, les promesses sur lesquelles a dû s’engager la présidente de la Commission pour assurer son élection au parlement vont dans le sens d’une plus grande cohésion et de politiques ambitieuses dont l’Europe a indiscutablement besoin que ce soit en matière économique, d’environnement, ou d’immigration, pour espérer retrouver un socle de croissance décent et, plus encore, l’envie européenne.

L’ensemble offre, en théorie, à la nouvelle équipe dirigeante la capacité de marquer un véritable tournant dont l’Europe ne peut se passer si elle veut réenclencher le processus d’approfondissement de sa construction inachevée. De cette réussite dépendra la réduction à terme du risque existentiel de l’UE et de la monnaie unique qui a fini par prendre le dessus après des années d’immobilisme et de crise.

Pour quel jeu ?

L’enlisement économique de ces dernières années a fini par faire accepter une réalité trop souvent refoulée que l’on peut résumer sur le plan économique par les principaux points suivants.

1- La gestion de la politique économique par la seule politique monétaire n’a pas de sens dans la durée. L’absence de relais budgétaire, voire l’inverse, comme cela a été trop longtemps le cas pendant les années de restriction fiscale, réduit à l’évidence l’efficacité des initiatives monétaires, quand elle ne les rend pas nuisibles. À ce titre, il fait peu de doute que des mesures d’accompagnement budgétaire du soutien monétaire auraient probablement permis de limiter les distorsions de richesse induites par l’assouplissement quantitatif de la BCE de ces dernières années, élargi le champ de ses bénéficiaires et réduit la nécessité d’accroitre dans les proportions exubérantes les liquidités injectées dans nos économies.

2- La restriction fiscale trop longtemps imposée par le carcan bruxellois constitue un danger de plus en plus évident pour la démocratie et la capacité des pays européens à s’inscrire dans la mouvance du renouveau économique sur lequel surfent ses principaux concurrents internationaux. Il fait peu de doute, là encore, que la politique menée a sanctionné l’investissement et l’initiative privée au cours de ces dernières années.

3- La prédominance du modèle allemand comme principale référence du chemin de la réussite a du plomb dans l’aile. Après avoir prôné pendant plus de dix ans des politiques de déflation interne à des fins compétitives, l’Europe ne peut plus décemment défendre cette voie. Il lui faut donc réinventer une politique de croissance que ce soit sur le plan industriel, sur celui de la recherche, de l’innovation ou de l’environnement, propositions qui n’avaient que peu d’échos auprès des institutions européennes tant que le modèle allemand s’imposait et trouvent aujourd’hui tout leur sens.

4- L’accélération du réchauffement climatique et le souhait de politiques plus affirmées sur le front environnemental exprimé par les citoyens lors des dernières élections ne s’accommoderont pas d’une politique de petits pas et obligent les responsables européens à avancer dans une direction dont on peut affirmer aujourd’hui qu’elle constitue un enjeu central pour l’avenir économique.
Ces éléments dessinent déjà les contours de l’orientation prise par la future gouvernance européenne, en particulier par la présidente de la Commission. Toutefois, des contours au contenu et à la mise en place, le chemin pourrait être encore bien long et sinueux tant les inconnues, la frilosité, les oppositions et résistances sont, potentiellement, nombreuses.

Du Green New Deal au Green Deal

Lorsque la future présidente de la commission s’engage sur un Green Deal européen, comme elle l’a fait au lendemain de son élection au Parlement, on peut lui faire confiance sur le choix de ses mots ; elle ne parle pas, en effet, de Green New Deal. Cet écart de langage fait partie des nuances susceptibles de faire toute la différence entre une politique volontaire de relance et une orientation simplement verdie des choix de développement dont les implications ne sont naturellement pas de même nature. Il faut dire que Mme von der Leyen ne bénéficie pas d’une assise politique des plus confortables, laquelle serait nécessaire pour autoriser une véritable ambition. Élue avec neuf voix d’avance sur la majorité requise, elle a toutes les chances de se heurter à bien des oppositions au cours des cinq années à venir et de voir ses marges de manœuvre considérablement restreintes quand, son peu de soutien du côté allemand, ne permet guère d’envisager qu’elle puisse avancer à l’encontre des intérêts supposés de l’Allemagne.

Les questions ne manquent pas non plus sur le plan monétaire malgré le caractère plutôt rassurant que constitue le couple Lagarde-Lane quant à la possibilité d’une avancée vers une certaine mutualisation des dettes souveraines. Les réticences de bon nombre de pays ne disparaîtront pas du jour au lendemain et pourraient diluer dans un temps long les avancées sur le sujet. Les Européens seront-ils véritablement mieux armés pour faire face à la prochaine crise que pourraient, le cas échéant, provoquer les marchés à la première étincelle pour s’assurer d’une véritable réduction du risque souverain en zone euro ? Rien ne permet, pour l’instant, de l’assurer.

Au total, bien malin qui peut dire ce que donnera cette nouvelle gouvernance et sa capacité à faire écran aux prochaines crises économiques et financières ou à faire face à d’éventuelles attaques protectionnistes de D. Trump…

Malgré les espoirs suscités par les nominations récentes, il serait bien précoce de considérer que l’Europe soit sortie de l’auberge. On attendra, alors, davantage pour envisager que l’Italie soit définitivement à l’abri du risque souverain et que les valeurs bancaires puissent retrouver un vent de poupe.

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Économiste, diplômée de l’Université de Paris I,  Véronique Riches-Flores dirige la société RichesFlores Research - Global Macro & Thematic Independent Research, une société de recherche économique indépendante depuis 2012, après une expérience professionnelle dans le milieu académique -Observatoire Français des Conjonctures Économiques-, et dans la banque d'investissement, en tant que chef économiste chez SG CIB -Société Générale Corporate & Investment Banking- de 1994 à 2012. Son analyse de l'environnement financier international s'assoit sur une double approche à la fois conjoncturelle et structurelle de l'économie mondiale permettant d'avoir un produit spécifiquement adapté aux besoins des professionnels de la gestion d’actifs et des grandes entreprises.

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