Depuis les voeux du Président de la République, l'exécutif affiche de la fermeté vis-à-vis des Gilets Jaunes. Cette stratégie semble payante à court terme auprès de l’électorat d’Emmanuel Macron. Mais peut-elle être soutenue dans la durée? La question reste entière, alors que l’organisation du Grand Débat tourne au vinaigre.
Les voeux avaient donné le ton: Emmanuel Macron et le pouvoir exécutif ont décidé de passer à l’offensive dans la gestion de la crise ouverte par les Gilets Jaunes. D’où des annonces de répression et de reprise en main, qui n’ont pas tardé à montrer leurs limites.
L'illusion que la crise des Gilets Jaunes était passée
Samedi 5 janvier, le dispositif de sécurité avait été allégé comme si aucun incident n’était plus à craindre. À croire que l’Élysée et son écosystème étaient piégés par la méthode Coué : à force de se répéter que le mouvement était usé et quasi-anéanti, la garde était relevée. Et patatras ! Les manifestants se sont illustrés par quelques hauts faits qui ont eu, sur l’opinion, l’effet d’un électrochoc. Nous annoncions dès dimanche 6 janvier au soir que, face à cette mauvaise nouvelle, la crispation sécuritaire serait la première tentation de la macronie, et sa moins bonne idée avant une dissolution de l’Assemblée.
Les événements ont commencé à confirmer cette annonce depuis lundi.
Pourquoi Macron recourt à la stratégie répressive
Après plusieurs semaines d’abattement, Macron n’a pas fait le choix de la répression pour des raisons totalement farfelues. Dans la pratique, il continue à bénéficier de son socle initial d’environ 20% d’opinions favorables à son action. Or, cette frange de l’électorat est exaspérée par les blocages causés par les Gilets Jaunes. Pour ne pas perdre ce support fondamental, il devenait urgent de réagir en montrant les muscles.
Ce fut la mission d’Édouard Philippe lundi soir au journal de 20 heures sur TF1. Dans une interview morne où pas une seule fois le mot débat ne fut prononcé, le Premier Ministre a annoncé des équipements nouveaux pour la police, et la préparation en urgence d’une loi anti-casseurs.
En réalité, la droite parlementaire avait travaillé à l’automne, sans écho de la part d’En Marche, sur un texte dont la majorité devrait désormais s’inspirer. Cette circonstance souligne le caractère chaotique et manifestement fébrile de la conduite gouvernementale depuis ce qui ressemble fort à une relance de la contestation.
Les mêmes atermoiements sont apparus dans la gestion de plusieurs dossiers, dont celui du commandant Andrieux à Toulon.
De premiers résultats encourageants pour Emmanuel Macron
Dans la pratique, cette stratégie s’est assez vite révélée payante. Dès mardi, la cote de popularité d’Emmanuel Macron et d’Édouard Philippe était donnée en hausse significative par les sondages. Voilà au moins du rapide et du concret.
Dans le même temps, la majorité En Marche semblait se ressouder sur les plateaux de télévision, en tenant des discours délibérément offensifs, appelant à lutter fermement contre la violence. Cette mise en scène peut accréditer l’idée que la stratégie de Macron doit désormais s’orienter vers une répression sans état d’âme.
La fièvre continue à monter dans l'opinion
Si le style déterminé d’Emmanuel Macron plaît à son électorat, tout laisse à penser qu’il n’apaise guère l’opinion. L’affaire des « cagnottes » l’a montré: un grand nombre de Français continue à s’enflammer en faveur de la contestation.
Créée sur le site Leetchi, la cagnotte de soutien à Christophe Dettinger, ancien boxeur professionnel connu sous le pseudonyme du « gitan de Massy » qui a attaqué à mains nues un groupe de policiers, a suscité de nombreuses passions. Elle a montré que la violence ne suffisait pas à discréditer le mouvement aux yeux d’une partie de la population.
Cette cagnotte a suscité la colère des forces de police, qui ont exigé sa disparition. Ils ont trouvé un soutien bienveillant dans la bouche de certains élus En Marche, dont la secrétaire d’Etat Marlène Schiappa. Celle-ci a demandé à connaître le nom des contributeurs…
En réponse à cette opération, Renaud Muselier a créé une cagnotte de soutiens aux policiers victimes de violence. Le succès de celle-ci a inversement montré l’état d’indignation dans laquelle une partie des Français se trouve face aux Gilets Jaunes.
Et c’est probablement la leçon à retenir provisoirement de ces enchaînements très intenses. L’opinion publique française est profondément clivée. Ce clivage risque de s’aggraver avec la mise en détention provisoire de Christophe Dettinger, dans l’attente de son procès le 13 février. Par son extrême violence et sa tout aussi extrême témérité, l’intéressé est devenu une sorte de légende urbaine difficile à gérer pour le pouvoir. Les policiers ont exigé sa mise en détention. Rien ne permet de préjuger de ce que sera la réaction de l’opinion à cette annonce.
L'embarrassant soutien de l’opinion aux Gilets Jaunes
C’est que, sur le fond, l’opinion publique conserve une forte sympathie au mouvement. Un sondage indique qu’ils sont encore 60% à lui accorder du crédit. Ce chiffre est en baisse par rapport à la semaine précédente, mais il reste curieusement élevé.
Pour le gouvernement, c’est à la fois un problème, un échec et un danger. Un problème parce que la sympathie des Français pour la contestation déjoue tous les pronostics, notamment ceux fondés sur l’idée que la violence dégraderait l’image du mouvement. Un échec, parce qu’aucune tentative macronienne pour reprendre la main n’est venue à bout de cette perception positive. Un danger parce que la contestation est majoritaire dans le pays et limite forcément la stratégie de la répression.
Que faire pour en sortir ?
Le Grand Débat patine dans la choucroute
Dans le même temps, le Grand Débat connaît d’importants ratés et laisse penser qu’il pourrait comporter un puissant effet boomerang pour Emmanuel Macron.
Attaquée sur son salaire trop élevé, la présidente de la Commission Nationale du Débat Public, Chantal Jouanno, a dû se retirer de son organisation. Le gouvernement devait annoncer à l’issue d’un séminaire tenu aujourd’hui les modalités d’organisation en l’absence de la présidente de l’autorité administrative indépendante. Mais il a finalement gardé le silence…
Alors que les premiers débats doivent officiellement commencer le 15 janvier, rien ne semble prêt pour sa tenue… Il s’agit là d’une sérieuse prise de risque pour un Président pressé de réprimer la contestation. La répression suppose en effet que l’Etat soit sûr de remporter la manche dans une confrontation globale. Et ce point-là est tout sauf acquis.
Article écrit par Eric Verhaeghe sur son blog