Après l’acte IX samedi dernier, le mouvement des Gilets jaunes, quoi que divisé et hésitant sur le parti à tenir, annonce l’acte X. Le président de la République, avec sa consultation des élus locaux, tente de jouer l’apaisement. Comment peut évoluer la situation ? Éléments de réponse avec François-Bernard Huyghe, co-auteur du livre « Dans la tête des gilets jaunes ».
"Nous saurons samedi si le mouvement des gilets jaunes fera un flop (parce que difficile à organiser sans appareil politique ou syndical) ou s’il coagulera, comme c’est plus vraisemblable, une exaspération qui ne surprend que ceux qui n’y participent pas.
La riposte gouvernementale s’articule autour de deux arguments simples :
— Ce n’est pas notre faute – nous faisons le maximum pour vous soulager – et, de toute façon, à long terme, il n’y a pas d’alternative (argument de nécessité)
— Attention, vous allez être manipulés par les extrémistes (argument des intentions et conséquences)
Sans discuter sur le fond du premier argument (part des taxes dans le prix du litre de carburant et répartition des fonds supplémentaires collectés, répercussion de la baisse du baril etc.), force est de constater qu’il tombe assez à plat. Moins par l’argumentaire qu’il développe que par la relation qu’il instaure. Le ton pédagogique est employé pour démontrer aux malheureux (qui voient bien ce que leur coûtent de plus leurs trajets quotidien) que tout cela n’est qu’une perception relative : le carburant a déjà été plus cher, il faut comparer à d’autres pays, la part des taxes revenant à l’Etat est à évaluer par rapport à son usage et aux avantages que vous en retirez…
C’est l’air bien connu de : « c’est plus complexe, il ne faut pas faire d’amalgame ». Certaines de ces considérations relativistes ne sont pas délirantes, mais le message que retiennent les usagers mécontents est surtout qu’ils sont traités de débiles. La réalité qu’ils éprouvent est dévaluée au nom de la vérité supposée des chiffres. Mieux : ils leur sont retournés dans la figure pour leur démontrer qu’ils ne comprennent pas leur véritable intérêt. Qu’ils sont aveuglés et peut-être un peu stupides.
C’est dit implicitement ou explicitement. Dans le genre « antibeauf », le compte Twitter de Jean Quatremer de Libération est assez représentatif de cette stratégie de l’insulte. Elle consiste à systématiquement qualifier le contradicteur (faux pauvres, mais vrais stupides, haineux, manipulé par l’extrême droite, ou lâches, anonymes, se faisant représenter une dame qui croit à l’astrologie ou autres coquecigrues). Il est connu que ces niais sont victimes de fake news et de discours complotistes. Et en choisissant bien ses adversaires (le tweet le plus excité et le plus mal orthographié), on peut trouver de quoi justifier son mépris de classe.
Le seconde argument, la manipulation d’extrême-droite (voire un petit peu d’extrême-gauche), fonctionne sur le principe d’un complotisme anti-complotiste. Son postulat : les gens ne pourraient pas mal penser s’il n’y avait pas de mauvaises gens pour les faire penser faux. Du fait qu’ils ne croient pas la même chose que les dirigeants et les élites, ou du moins que les médias mainstream, on déduit que les mécontents sont manipulés. Ce type de raisonnement suppose une inversion : puisque les fachos soutiennent une revendication (après coup) et qu’ils risquent d’en profiter (éventuellement), c’est qu’ils l’ont suscitée (avant et délibérément).
Et comme, par hasard, les régions où il y a le plus de mécontents et gilets jaunes, se trouvent bien plus coïncider avec la France périurbaine qui se déplace beaucoup en voiture et qui vote Le Pen ou Mélenchon qu’avec la rive gauche, le suspect est confondu."
François-Bernard Huyghe