Dans les trois débats des primaires socialistes en 2011, François Hollande était un orateur correct. Une comédienne et une metteuse en scène philosophe lui avaient donné quelques conseils. Il était encore correct pendant sa campagne présidentielle de 2012, malgré quelques problèmes de voix vers la fin février, qu’il corrigea avec un coach vocal pour chanteurs de variété. A la fin de sa campagne, il gagna son face à face contre Nicolas Sarkozy. Le regard, le dos et la voix se développaient proprement. Son expression était à la fois construite et naturelle. Il était en même temps d’une redoutable efficacité intellectuelle, mens sana in corpore sano. Mais il n’était encore que candidat, face à un adversaire fatigué, qui portait la fonction depuis cinq ans. Une fois élu, le poids de la fonction lui est tombé sur les épaules, et il n’a plus été à la hauteur.
Le rôle de Président de la République doit passer par le ventre
Pour porter un grand rôle dans la vie publique, comme au théâtre, il faut une respiration puissante et une voix bien placée. François Hollande n’a ni l’une, ni l’autre. Du coup sa voix manque de puissance et n’est pas à la hauteur de la fonction. Mais là n’est pas le plus grave. Au théâtre, l’acteur ne rencontre vraiment son rôle que lorsque le texte lui passe par le ventre, parce qu’alors, il le vit. C’est aussi le cas des orateurs dans la vie publique. François Hollande ne rencontre pas (encore) son rôle de Président, parce qu’il ne lui passe pas par le ventre.
Il est arrivé la même chose à Nicolas Sarkozy. Pendant son quinquennat, il n’a jamais réussi à vivre la fonction présidentielle. Au contraire de François Hollande, qui n’est pas doué et a un peu travaillé, il est doué mais n’a jamais travaillé. Si son don lui a suffi pour incarner un de Ministre de l’Intérieur de belle manière, il ne lui a pas suffi pour incarner un Président. C’est seulement dans ce rôle qu’on le vit produire quantité de tics, s’énerver à tous propos contre les journalistes – « vous faites votre joli métier ! », et mettre en scène de sa personne beaucoup plus que sa fonction – « Carla et moi, c’est du sérieux ! ». Tout cela n’est pas d’un Président. Quant à ses textes ils furent plus souvent du niveau d’un expert ou d’un ministre que d’un Président. Nicolas Sarkozy n’a pas non plus rencontré son rôle de Président.
François Hollande, un orateur sans souffle
François Hollande ne semble pas sur la bonne voie pour y arriver. Il se donne l’apparence d’un Président. Il se compose des airs. Sa verticalité plus décidée que naturelle n’est pas très assurée, notamment au niveau du cou. Quand il est debout il tient ses bras le long du corps d’une façon si appliquée qu’on voit bien qu’il le fait exprès. Avec tout cela, il a perdu le regard allumé et présent à l’autre qui signait son style et lui donnait ses réparties. C’est un orateur sans souffle qui essaie de faire croire qu’il en a. Mais il ne trompe personne car sa voix ne sonne pas. A défaut de son, il «met le ton», ce qui le rend aussi faux que son apparence.
On dit de lui qu’il ne tranche pas et qu’il a des problèmes d’autorité. Cela vient du fait qu’il n’incarne pas sa fonction. Il en a certainement une conception intelligente, mais qui restera théorique et impuissante tant qu’elle ne passera pas par son ventre. Quand on ne vit pas physiquement un rôle, on n’en a pas l’instinct. Alors on pèse et on sous pèse, on a du mal à décider. Et si en plus c’est un grand rôle, on ne produit pas le leadership attendu.
Patrice Chéreau, qui vient de nous quitter, admirait et comprenait les acteurs. Dans une interview sur Arte, il disait à propos du travail de l’acteur en général : « La façon dont la pensée part du visage dans le corps est magnifique». Cette courte phrase dit tout du métier de l’acteur, et de celui des grands orateurs. Dans le corps François Hollande, il n’y a que le petit souffle d’un chanteur de variété. Autant dire trop peu pour recevoir et renvoyer vers les français une pensée de Président. Il lui faudrait plutôt le souffle puissant d’un chanteur lyrique.