Avec des contrats d’armements multiples qui font à la fois la fierté de l’industrie et les gros titres de la presse nationale, le gouvernement peut légitimement se réjouir d’une entrée de devises propres à amoindrir (un peu) notre déficit commercial. Puissance exportatrice de longue date, la France aurait pourtant tort de se reposer sur ses lauriers. Car il est possible de faire plus, beaucoup plus.
Ne gâchons pas pour autant notre plaisir et Stéphane Reb, directeur du développement international de la direction générale de l’armement (DGA) peut être satisfait : depuis sa nomination à ce poste en octobre 2012, la France enchaine les contrats d’armements à l’export à une cadence devenue subitement infernale. Stéphane Reb, qui a été directeur du programme Rafale entre 2007 et 2009, puis directeur de l’unité de management Rafale entre 2009 et 2012, n’est probablement pas étranger à la frénésie d’achat de l’avion emblématique de Dassault.
Cercle vertueux du succès
Sachant que ce type de contrats met généralement des années pour arriver à maturité et signature, c’est surtout la soudaineté, voire la précipitation de certains acheteurs, qui a surpris tout le monde. Certes le Rafale bénéficiait de sa sélection en négociation exclusive pour l’appel d’offres MMRCA en Inde, mais le contrat continue d’achopper sur un montage industriel délicat, avec en toile de fond les exigences du « Make in India » des autorités indiennes. Le Rafale s’est aussi excellemment positionné dans toutes les compétitions internationales dans lesquelles il a eu à affronter la concurrence, sans succès, mais souvent pour des raisons politiques, comme en Suisse. Surtout, le Rafale a fait ses preuves au combat : de l’Afghanistan au Mali en passant par le Libye, le multi-rôle de Dassault est de tous les déploiements, avec une efficacité et une disponibilité qui ont forcé l’admiration.
Pourtant, jusqu’à la décision subite de l’Egypte d’acheter 24 avions ainsi qu’une frégate multimissions en décembre 2014 (contrats signés en février 2015), le Rafale semblait maudit : trop cher, trop complexe, trop français… tout et son contraire ont été reprochés au fleuron de Dassault. Mais comme un succès n’arrive jamais seul, le Qatar s’est à son tour décidé pour 24 avions, lors d’un contrat signé début mai 2015. Puis l’Inde s’est finalement lancé à son tour, compte tenu de l‘urgence opérationnelle, pour une première tranche de 36 avions « sur étagère ». Ce dernier contrat doit encore être finalisé et pose question sur l’avenir de la commande pour 126 avions initialement prévues. Mais une commande ferme aujourd’hui vaut mieux qu’une promesse de « contrat du siècle » remise sine die.
Toujours dans l’aéronautique, Airbus Helicopters a de son côté récemment décroché auprès de la Pologne, un « méga-contrat » pour 50 EC-725 Caracal, la dernière version de l’EC-725, pour un montant de plus de 2 milliards d’euros. Un volume et un montant relativement rare dans le secteur des hélicoptères. Le ministre de la Défense Le Drian, le Président de la République et même le Premier Ministre ont donné de leur personne pour ressusciter le « triangle de Weimar » autour des questions de défense. Mais si on peut se réjouir à juste titre de ces succès dans l’aéronautique, les autres secteurs semblent pâtir d’un défaut d’intérêt de la part des politiques. Moins emblématiques que les bateaux ou moins prestigieux que l’aéronautique, les véhicules kaki et les équipements ne passionnent apparemment pas autant nos VRP politiques de l’armement.
Quid de l’armement terrestre et des missiles ?
Alors que les enjeux économiques et industriels sont tout aussi importants, ces deux domaines ne semblent pas susciter autant d’engouement politique que l’aéronautique. Certes, Nexter Systems peut se réjouir du lancement du programme Scorpion, qui, en novembre 2014, a officialisé la future production de l’EBRC Jaguar et du VBMR Griffon en collaboration avec Renault truck Defense et Thalès. 2080 blindés sont ainsi prévus au total et devraient être livrés à l’armée de terre française à compter de 2018. Nexter Systems s’est également vu notifié par la DGA un contrat d’une valeur de 330 millions d’euros en mars 2015 pour la rénovation de 200 chars Leclerc. De son côté MBDA n’a pas passé une mauvaise année 2014, avec 4,1 milliards d’euros de contrats décrochés dont 2,5 milliards à l’export. « Pour la première fois, la part de notre carnet de commandes hors d’Europe dépasse celle des clients européens », souligne d’ailleurs Antoine Bouvier, PDG de MBDA.
Ces contrats permettent d’assurer la pérennité des emplois et des savoir-faire dans un secteur sous pression. « L'enjeu, c'est aussi bien sûr de continuer d'améliorer leur positionnement à l'export, dans des secteurs qui devraient connaître une croissance nette dans les années à venir », expliquait Jean-Yves Le Drian lors du salon Eurosatory 2014. Si MBDA a réalisé une excellente année 2014, il lui reste encore à remporter ou à finaliser plusieurs contrats : systèmes de défense aérienne en Pologne et en Turquie, et surtout le contrat SRSAM en Inde pour la fourniture de près de 2 milliards d’euros de missiles sol-air, sur base du SAMP/T. Reportée à plusieurs reprises, la décision sur ce contrat n’est pas attendue pour cette année, mais le soutien diplomatique sur ce sujet reste nettement moindre que dans le cas du Rafale. Or il serait dangereux de penser que l’activité missile est moins stratégique que la filière aéronautique. Mais le soutien politique et diplomatique en la matière semble plutôt léger.
Soutien des industriels : le Qatar en ligne de mire
Dans l’armement comme ailleurs, aucune situation n’est jamais acquise, et il reste beaucoup à faire. Si le duo Hollande-Le Drian a permis de finaliser le contrat Donas (DONation Arabie Saoudite) pour le Liban (3 milliards d’euros pour des VCB90, des VAB MkIII de RTD, des CAESAR de Nexter Systems ou encore des Milan de MBDA), il reste certains contrats en suspens. Le Qatar et les Emirats Arabes Unis doivent notamment bientôt prendre une décision concernant le choix ou non du VBCI, un véhicule sur lequel Nexter Systems a beaucoup investi, avec notamment la possibilité d’intégrer la tourelle du BMP3 ou la toute nouvelle tourelle CTA40. Si les Emirats Arabes Unis semblent avoir gelé l’appel d’offres, le Qatar a de son côté relancé les tests entre VCI concurrents pour départager les finalistes. L’enjeu est de taille puisqu’il est question d’un autre « contrat du siècle », dont le montant dépasserait les 3 milliards d’euros. Compte tenu de l’appel d’air provoqué par le contrat Rafale, le moment serait plus qu’opportun pour faire valoir les avantages d’un VBCI combat-proven, à l’efficacité redoutable sur tous les théâtres où il a été déployé.
Le Qatar a également manifesté son intérêt pour des hélicoptères et des équipements de DCNS ou des missiles : on parle de trois frégates ATBM de 4.000 tonnes, armées de missiles Aster 30 (MBDA et Thales) et de missiles mer-mer Exocet (MBDA) pour au moins 2,5 milliards environ. A lui seul, le Qatar pourrait représenter au bas mot encore 5 milliards d’euros de recettes potentielles pour les entreprises françaises. Une motivation plus que suffisante pour qu’hommes politiques, DGA et industriels se coordonnent pour reprendre le chemin de Doha.