Sans ambition européenne forte, les pays du Vieux Continent, à commencer par la France, se condamnent à subir la mainmise des Etats-Unis et de la Chine sur l’économie mondiale. L’UE doit d’une part engager des programmes de recherche et d’infrastructures ambitieux et de l’autre mettre en œuvre une véritable harmonisation fiscale et sociale.
A l’approche des élections européennes, le 26 mai prochain, et en plein psychodrame sur le Brexit, le pessimisme est en vogue sur le Vieux Continent. Les institutions de l’UE ne suscitent guère l’enthousiasme des peuples, l’économie européenne ne se manifeste pas par son dynamisme actuel, l’Europe a raté le virage des GAFA et laisse Etats-Unis et Chine faire la course en tête... Pourtant, ne cédons pas à la morosité car la France et l’Europe ont aussi toutes les cartes en main pour préparer un autre avenir.
Un parallèle historique s’impose ici. A partir du milieu des années 1960, le gouvernement français, sous l’impulsion de Georges Pompidou, à l’époque Premier ministre du Général de Gaulle avant de prendre sa succession en 1969, a su engager des projets d’infrastructures très ambitieux (centrales nucléaires, TGV etc.) qui ont permis à la France de devenir une nation industrielle de premier plan à partir des années 1970. A l’échelle paneuropéenne, Airbus a été officiellement lancé en 1967 et constitue toujours à ce jour la plus belle réussite industrielle du Vieux Continent. Aujourd’hui, les chantiers à l’échelle de l’Europe ne manquent pas : autoroutes de l’information, réseaux télécoms 5G, développement de l’énergie photovoltaïque, création d’un système d’exploitation européen etc. Mais la volonté politique reste très en deçà des besoins.
Le plan Juncker (335 milliards d’euros d’investissement) va dans le bon sens mais n’est pas à la hauteur des enjeux pour préparer notre continent aux défis du 21ème siècle. L’enveloppe totale devrait dépasser les 1.000 milliards d’euros. Nos règles budgétaires ne le permettent pas ? Une solution serait, enfin, de distinguer les dépenses de fonctionnement qui doivent être contraintes par des critères stricts et les dépenses d’investissement qui préparent l’avenir. Il suffirait que l’UE se concentre sur une dizaine de projets d’envergure et laisse les autres sujets, dont les enjeux sont moindres, au niveau des Etats.
A l’échelle de la France, il est indispensable d’engager une réforme en profondeur de l’enseignement et de l’apprentissage. Promouvoir l’égalité des chances plutôt qu’un égalitarisme qui nivelle par le bas est la clé pour remettre en fonctionnement cet ascenseur social faisant aujourd’hui défaut dans notre pays. Former les jeunes aux nouvelles technologies, si besoin en créant de nouvelles écoles, comme l’a fait Xavier Niel, doit être une priorité absolue au regard des besoins mentionnés plus haut.
Une « route de la soie » qui met en lumière les divisions européennes
En attendant, la Chine avance ses pions en Europe, en étendant sa « route de la soie » aux ports italiens. Au même moment, Rome annonce qu’elle pourrait lancer un emprunt obligataire « Panda » destiné aux investisseurs chinois. Ainsi, l’Italie hypothèque son indépendance sans que la Commission européenne, affairée à régler les conditions du Brexit, ne réagisse. C’est une affaire qui en dit long sur la faiblesse et la division des Etats européens face à l’appétit de la puissance chinoise. Comme l’Etat italien a besoin de liquidités à court terme, il accepte un financement de la Chine qui, non content d’avoir déjà mis la main sur le port du Pirée en Grèce, renforce peu à peu son influence sur le Vieux Continent.
S’il n’est pas question de faire « les Etats-Unis d’Europe », l’Europe doit en revanche s’appuyer sur la diversité de ses différentes cultures qui la composent et engager un effort considérable pour renforcer son unité face aux Etats-Unis et à la Chine. Concrètement, cela signifie qu’il faut mettre fin à la concurrence fiscale et sociale délétère entre les différents pays de l’Union. L’harmonisation de la fiscalité (celle des entreprises en premier lieu) est le préalable à toute solidarité européenne digne de ce nom. La période de transition, qui sera délicate pour certains pays, pourrait être financé par un véritable « plan Marshall » avec l’appui de la BCE puisque la création monétaire débridée depuis le lancement du QE s’avère au final très peu inflationniste.
Construire une Europe sociale et fiscale, appuyée par des projets d’infrastructure de grande ampleur, pourrait en effet permettre au Vieux Continent de regagner une place de premier plan sur la carte de l’économie mondiale, entre les Etats-Unis et la Chine. Une ambition à la hauteur des enjeux du 21ème siècle. Il n’est pas trop tard.