En juillet 1970, la DATAR publiait un document prospectif à horizon de l'an 2000 dont le sous-titre était " le scénario de l'inacceptable ". Finalement la réalité a plus ou moins validé certaines des perspectives envisagées et hélas " les points de polarisation " (sic) correspondant à la montée en puissance de grandes métropoles dotées de banlieues mal construites et porteuses de ségrégation sociale.
A horizon 2025, ce défi de domestication de la civilisation urbaine, de mitages des zones péri-urbaines et de désertification de certaines campagnes restera de grande importance. Si les habitants veulent vivre en harmonie, ils doivent aimer leur territoire d'autant que les flux migratoires représentent un défi dans une société où le sous-emploi est massif. Ségrégation, harmonie avec le territoire et acceptation de l'Autre sont trois lourds défis à horizon 2025.
Parallèlement, notre démographie va nous entraîner inexorablement vers une société différente : 2025 enregistrera sûrement le dynamisme des cheveux gris ( troisième âge ) mais aussi le coût humain et social de la dépendance et du grand âge ( quatrième âge et centenaires ). A l'inverse de la situation présente, il est hautement probable que les jeunes retraités de 2025 aient à consentir des sacrifices en termes de pouvoir d'achat et que la retraite soit donc moins une cassure physique qu'une inflexion à la baisse pour ce qui concerne le mode de vie. ( pourcentage plus élevé de salariés ne partant pas à taux plein et efforts de solidarité ). 2025 ne sera pas une épreuve mais une période d'efforts pour cette classe d'âge.
Traitant de classe d'âge, le véritable défi de la France de 2025 sera sa capacité à former les jeunes et à les insérer dans le monde du travail. Cela fait des années que des rapports parlementaires s'entassent sur la réforme du collège unique, sur l'apprentissage et sur la formation professionnelle ( dont seul un chômeur sur six bénéficie... voir rapport Larcher d'avril 2012 ). Nous avons une bonne capacité collective à émettre des diagnostics mais une difficulté notoire pour embrayer et engager des réformes ( qui ne touchent en rien des acquis sociaux et nous mettraient en convergence avec bien des pays européens ). Cette inertie – qui finalement n'a pas de couleur politique particulière – est véritablement coupable pour qui songe aux jeunes qui sont versés dans un pseudo-assistanat ( voir nouvelle aide aux 18 – 25 ans ) et pose une question pesante à la sphère publique notamment exécutive et parlementaire.
A l'inflation des textes qui paraissent régulièrement ( et que stigmatise le rapport annuel du Vice-Président du Conseil d'Etat ) vient se dresser une ankylose de la décision publique qui ne peut que surprendre. Songeons ici à cette question dite du millefeuille administratif qui correspond à une organisation décentralisée mal articulée et coûteuse en redondances. Tôt ou tard, il faudra revenir sur le principe de pleines compétences dévolues à chaque type de collectivité territoriale. On aimerait se dire que cela sera fait à horizon 2025 mais la célèbre phrase de Gramsci trouve son application : " il faut avoir l'optimisme de la volonté et le pessimisme de l'intelligence ". Oui, en matière de réorganisation du monde des élus ( nombre, attributions, cumuls, etc ), c'est davantage le pessimisme qui l'emporte sur l'optimisme qui viendrait d'une rationalisation.
Traitant de rationalisation, celle-ci va être sévère pour l'agriculture et l'industrie où ne survivront que des producteurs très modernisés ou quelques producteurs sur des marchés de niche. En clair, en 2025, il y a aura encore plus de salariés dans le total de la population active ( déjà à hauteur de 91% ) et encore plus de salariés dans le secteur des services. Comme on l'entrevoit depuis quelques mois aux Etats-Unis, il y aura bien un mouvement de relocalisation industrielle mais ces unités de production compteront davantage d'automatismes et de robots que d'opérateurs de production. Autrement dit, cela revient à stimuler l'apparition de sociétés telles qu'Ubisoft ou LVMH : soit le talent conceptuel français, soit le haut de gamme et notre " art de vivre " dont les futurs grands consommateurs des pays émergents sont déjà friands.
Disant cela, nous devons prendre garde à ce que " la France ne soit pas cantonnée au rôle d'un immense parc d'attractions " ( Jean-Pierre Chevènement ) et que le statut de la recherche et développement ( exemple L'Air Liquide ) soit encore privilégiée et que des barrières fiscales n'incitent nos talents à quitter notre sol. Objectivement le risque existe lorsqu'on voit l'agressivité positive de nos concurrents pour drainer les meilleurs cerveaux de la planète. C'est évidemment exact pour les Etats-Unis, cela commence à l'être pour la Chine.
A titre personnel, j'ai confiance en nos capacités nationales et suis lassé des discours sur le déclin qui existe depuis plus de cent ans et que l'Histoire a souvent ridiculisé : les faiblesses viennent rarement de là où nous les escomptions. Tandis que les forces doivent effectivement être stimulées sur le moyen terme. Jean-Baptiste Say a écrit la loi des débouchés : " L'offre créé sa propre demande ". Regardez l'exactitude de cette loi si l'on songe aux succès du musée du Louvre à Lens ou du Beaubourg de Metz. En tant que Vice-Président de la société des Amis de l'Institut du Monde Arabe, je ne peux que confirmer le succès de la France dans bien des échanges culturels internationaux. C'est donc une stimulation de l'offre qui nous fera bâtir de nouveaux Danone, Gaumont ou L'Oréal et certainement pas un discours du type : " il n'y a plus rien à faire en France, etc ".
Pour conclure sur une note plus directement opérationnelle, un point doit être souligné. La crise qui s'étire depuis 2008 va entraîner – au moins jusqu'en 2018 – un chômage de masse donc des surcoûts que certains entrepreneurs ( et salariés ) voudront contourner par le recours à l'économie souterraine. Si vous êtes confrontés à un fort niveau de charges sociales et à une pression fiscale à l'unisson, la tentation est grande. Dès lors, sans véritablement craindre d'être démenti, il est probable que 2025 sera une phase où l'économie informelle se portera bien : digne de certaines dérives regrettables. En conséquence, les politiques macroéconomiques seront fondées sur des biais statistiques puisqu'elles auront une capacité visuelle de Cyclope. Il suffit de voir les paramétrages actuels des modèles utilisés au Ministère des Finances. Selon l'un d'entre eux, la fraude sociale en son ensemble s'élèverait à 160 millions d'euros ( sur 450 milliards...) alors que plusieurs instituts privés l'évaluent à 12 milliards.
Dans ces conditions, nous pensons que l'Etat colbertiste sera toujours très présent en France en 2025 mais qu'il doit effectuer une révolution copernicienne en matière de remontée des données économiques. A défaut, il sera un acteur relativisé par rapport au dynamisme de la société civile. Lors de l'émission " L'Heure de vérité " du 13 juin 1993 ( il y a donc vingt ans ), Claude Bébéar déclarait : " L'Etat a trop de macro-économistes et n'écoute pas assez les micro-économistes ". Souhaitons que ce penchant réel et néfaste soit amoindri d'ici à 2025 sinon nous verrons des décisions publiques prises sans une bonne et valable compréhension du monde de l'entreprise. Là est aussi un vrai défi pour notre Etat et pour la France.