En annonçant son intention de supprimer l’exit tax dans une interview au magazine Forbes, Emmanuel Macron ouvre une nouvelle polémique sur la fiscalité des entrepreneurs, perçus comme les plus riches contribuables. Sur le fond, c’est bien le problème du libre-échange et de l’ouverture des frontières qui est traité dans ce dossier.
L’exit tax fut inventée en 2011 par Nicolas Sarkozy pour juguler l’exil fiscal des entrepreneurs français vers la Belgique. L’astuce était simple: elle consistait à taxer en France la plus-value latente des entrepreneurs sur la vente de leur entreprise, lorsqu’ils s’installaient à l’étranger. Cette démarche procédait d’une volonté de lutter contre le grand mythe moderne qui structure désormais le débat public : la fraude fiscale, qui représenterait, paraît-il, une perte de 60 milliards d’euros pour l’Etat.
Bien entendu, personne n’est capable d’apporter le moindre début de documentation crédible pour justifier ce chiffre de 60 milliards. Mais il fait partie des mantras contemporains qu’il est de bon ton de répéter en boucle avec un air convaincu : les entrepreneurs fraudent chaque année à hauteur de 60 milliards d’euros. Il est donc normal de les soumettre à une punition collective, qui s’appelle une surtaxation systématique. Et il est aussi normal de les emprisonner dans leur propre pays en leur interdisant de le quitter, sauf à les faire payer des sommes colossales dès qu’ils bougent le petit doigt de pied.
Le paradoxe des internationalistes qui aiment l’exit tax
Cette idée de demander aux entrepreneurs de payer une taxe sur une plus-value qu’ils n’ont pas réalisée (mais qu’ils pourraient réussir…) se justifie implicitement par le besoin de les punir de vouloir vivre leur réussite à l’étranger. Pour eux, aucune frontière punitive n’est donc trop belle.
Il faut leur faire rendre gorge d’avoir l’outrecuidance de ne pas être fonctionnaire, de ne pas dépendre de la générosité publique, et de pousser l’arrogance jusqu’à ne pas rêver de se dorer la pilule sous le soleil rayonnant de notre sublime modèle social que le monde entier nous envie (à l’exception de tous les pays autres que la France, bien entendu).
On ne devrait pas tarder à lire, sous la plume des pourfendeurs des frontières en tous genres qui ont vilipendé la loi sur l’asile et l’immigration parce qu’elle n’était pas assez universaliste, des diatribes outrées contre la proposition d’Emmanuel Macron. C’est le paradoxe bobo: quand une frontière empêche un prétendu réfugié de s’installer en France, elle est mauvaise, inhumaine, indigne, condamnable, une incarnation contemporaine du fascisme, du nazisme, du nationalisme réunis. En revanche, quand la même frontière empêche un prétendu riche de quitter la France, là, elle est soudain bonne, indispensable, régénérante.
Vérité de la frontière en-deçà du « vivre ensemble », erreur au-delà.
Sur ce point, Macron devrait jouer sur du velours en prenant ses adversaires à contrepied. Eux qui ont prôné l’abolition des frontières à l’Assemblée Nationale, peineront à plaider leur rétablissement pour les seuls riches qui quittent la France.
Macron prisonnier de sa politique migratoire?
Inversement, et c’est en cela que la suppression de l’exit tax sera politiquement compliquée à justifier, les adversaires d’Emmanuel Macron ne devraient pas peiner à mettre en relief la contradiction présidentielle sur la question des frontières. D’un côté, le gouvernement prétend mener une politique migratoire restrictive et manifester ainsi une forme de méfiance vis-à-vis de l’ouverture des frontières. Mais quand il s’agit d’appliquer la même doctrine aux plus aisés, Emmanuel Macron se montre beaucoup plus flexible.
Macron voudrait nourrir l’image taillée sur mesure de président des très riches qu’il ne s’y prendrait pas autrement. On peut se demander d’ailleurs par quelle étrange rupture d’empathie, Emmanuel Macron n’a pas mesuré combien il était malhabile d’annoncer à un journal américain une mesure fiscale de cette nature, rendue publique en France le lendemain d’un 1er mai agité.
Le calendrier de cette annonce est, dans le meilleur des cas, malheureux. Sauf bien entendu à ce qu’Emmanuel Macron se soit lancé dans une forfanterie, ou dans une provocation audacieuse, destinée à montrer à l’opinion publique qu’il peut se permettre n’importe quelle décision sans opposition réelle dans le pays.
Quoiqu’il en soit, on aimerait quand même comprendre la philosophie de la frontière qui domine Emmanuel Macron. La frontière n’est-elle opposable qu’aux plus pauvres?
La France malade de ses entrepreneurs
Reste qu’un pays qui punit les entrepreneurs qui émigrent est un pays malade. Et l’exit tax n’est pas la seule déconvenue subie par les entrepreneurs en France. Dans la pratique, il ne fait pas bon y être patron, et la fiscalité y demeure largement confiscatoire pour toux ceux qui ne sont pas salariés.
Dans la pratique, un entrepreneur qui dégage 100.000 euros de bénéfices et ne se verse pas de rémunération par ailleurs, subit une fiscalité proche de 65%. Il lui reste, au total, 3.000 euros nets pour vivre. Pour peu qu’il achète un appartement et une résidence secondaire, il est rapidement plumé par les régimes fiscaux qui pèsent sur l’immobilier.
Bref, la France déteste l’idée qu’une entreprise enrichisse son fondateur et reprochera éternellement à celui-ci de ne pas s’être contenté de demeurer salarié.
Si la suppression de l’exit tax peut avoir une utilité dans le contexte compliqué où son annoncé survient, elle est là. Dans la réhabilitation de la prise de risque, que nous sommes les seuls à stigmatiser à ce point.