Prêt à prendre l’helicopter money ?

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Par Cécile Chevré Publié le 10 mai 2016 à 5h00
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@shutter - © Economie Matin
275 millionsPas moins de 275 millions d'Européens pourraient bénéficier de cet helicopter money.

« Helicopter money« , le terme fait bruisser la presse et certains économistes aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe et au Japon.

Mais pourquoi tant d’emballement autour de cet helicopter money ? Et que signifie-t-il ? Commençons par une définition : l’helicopter money, c’est la possibilité qu’une banque centrale puisse distribuer de l’argent directement aux contribuables pour les inciter à consommer – et ainsi relancer une économie faiblarde, voire moribonde. Le terme renvoie à l’image d’un banquier central qui, du haut d’un hélicoptère, déverserait des billets sur une foule aussi déchainée qu’enthousiaste. Vous visualisez l’idée ?

Panem et circenses, version perverse

En tous cas, elle n’est pas nouvelle. Si sa théorisation revient à l’économiste Milton Friedman en 1969, la distribution de richesse au peuple par des autorités soucieuses de s’attirer les faveurs du plus grand nombre est vieille comme… le pouvoir. L’helicopter money est une version modernisée, et plus perverse, du fameux « du pain et des jeux » pratiqué par les empereurs romains, qui en connaissaient un rayon en manipulation des foules.

Pourquoi un peu plus perverse ? Parce qu’elle va plus loin que la simple opération pour gagner paix sociale et popularité. L’helicopter money est censé agir en profondeur sur l’économie et repose sur l’idée assez simpliste – et donc dangereuse – que la consommation est à la base de la richesse. Une consommation qui doit se faire à n’importe quel prix.

Cela fonctionnait peut-être quand on en était aux balbutiements du capitalisme mais les récentes crises financières sont venues nous rappeler que cette course à la consommation, encouragée par le crédit, n’était pas la solution idéale pour une économie saine et responsable. Mais laissons de côté mes diatribes utopistes contre la sur-consommation et revenons au coeur de notre sujet du jour : l’helicopter money.

Si celui-ci a été sorti du cimetière des idées foireuses, c’est que les banques centrales ont été confrontées à un énorme « hic » au moment de la crise des subprime. Il leur a fallu intervenir massivement pour maintenir à flots le navire économie. Ben Bernanke, l’ancien président de la Fed, y a gagné le surnom d’Helicopter Ben, rappel des centaines de milliards de dollars qu’il a déversé sur les banques et les marchés américains. Ce fut la grande époque du TARP, du QE1, QE2, etc.

A partir de 2009, l’helicopter money a disparu de nos radars. Il faut dire que la Bourse reprenait du poil de la bête et que les interventions massives de la Fed semblaient avoir eu quelques effets positifs sur l’économie américaine.

Helicopter money, arme ultime des banques centrales

Mais depuis environ un an, voilà l’hélicoptère qui repointe le bout de son nez. Et cela s’est encore intensifié ces derniers mois. Pourquoi ? Parce que les banques centrales semblent à court d’armes pour combattre la faible inflation, le ralentissement économique et la déprime généralisée. En Europe, c’est la déflation qui inquiète tout particulièrement. Aux Etats-Unis, les craintes d’une nouvelle récession. Quant au Japon… ah… au Japon… tout va mal.

En parallèle, les banques centrales ont fait tout ce qu’elles ont pu. Même la BCE, qui traînait des pieds, a fini par se laisser convaincre par le non-conventionnel. Quantitative easing, baisse des taux, soutiens aux banques, aux Etats, aux entreprises et même, depuis récemment, taux négatifs : tout a été tenté pour relancer consommation, inflation et économie. Or l’échec est patent, ou quasiment.

Mais les banques centrales n’abandonnent pas la partie. Aux Etats-Unis, en Europe ou au Japon, toutes les occasions sont bonnes pour rappeler que les banquiers centraux tiennent fermement la barre et sont bien décidés à tout faire pour remporter la bataille de l’économie. Ce qui explique pourquoi l’helicopter money parade de nouveau dans nos cieux déprimés : il serait l’arme ultime. Le dernier recours. Puisque distribuer de l’argent aux entreprises, aux banques ou aux Etats n’a pas fonctionné… pourquoi ne pas le donner directement au bout de la chaîne, à savoir vous, moi, les consommateurs ?

500 euros par Européen

Munis de cette manne, tombée non pas du ciel mais des planches à billets de la Fed, de la BCE ou de la Banque du Japon, les consommateurs frénétiques que nous sommes se précipiteraient dans les magasins, flamberaient ces bienvenues liquidités et relanceraient l’économie mondiale par la seule force de leur portemonnaie. Ecrasons une larme de bonheur…

L’idée est prise assez sérieusement par quelques groupes d’influence. Calculette à la main, et chiffres à l’appui, le mouvement QE4people (Le QE pour le peuple) démontre que, pour sauver la Zone euro, la BCE pourrait sans sourciller distribuer 500 euros à chaque habitant adulte. 275 millions d’Européens entrant dans ces critères x 500 euros = 137,5 milliards d’euros.

Une paille quand on sait que la BCE rachète, chaque mois, pour 80 milliards d’euros d’actifs financiers (60 milliards entre début 2015 et mars 2016). Et tout ceci sans parvenir à relancer l’inflation ou à inciter les banques à prêter plus. En clair, l’helicopter money version QE4People ne coûterait à la BCE que deux mois de QE européen. 500 euros, cela ne se refuse pas, n’est-ce pas ? Même si cela paraît trop beau pour être vrai.

Le Japon, laboratoire de l’helicopter money

Pourtant, le Japon a déjà testé quelque chose d’assez semblable. En fouillant les arcanes d’Internet, on découvre que le gouvernement nippon a, à la fin des années 90, offert six milliards de dollars de bons d’achats pour inciter les Japonais à consommer. Des bons d’achats – et pas des chèques – qui avaient en outre une durée de vie limitée afin d’obliger les heureux bénéficiaires (1) à consommer (et non pas à épargner ou rembourser des crédits) et (2) à le faire vite.

Fin 2014, nouvelle tentative. Face à une nouvelle crise économique, le gouvernement de Shinzo Abe tente de relancer l’économie grâce à un plan à 3 500 milliards de yens (29 milliards de dollars) incluant des bons d’achat pour les plus défavorisés. Les Abenomics ayant échoué, le gouvernement japonais réfléchirait actuellement à une nouvelle grande distribution de bons cadeaux, parmi d’autres aides estimées à 5 500 milliards de yens.

Cela ressemble beaucoup à un largage d’argent par helicopter money, non ? L’idée ne reste pas cantonnée à l’archipel nippon. Je vous disais qu’en Europe, certains think tanks et économistes militent activement pour cette solution, trouvant un relai auprès des médias. Même Mario Draghi a joué avec cette possibilité, affirmant, le 10 mars dernier, qu’elle était « un concept très intéressant« .

De l’idée à la réalisation

Ne vous emballez pas, cher lecteur. Inutile de vous précipiter sur votre boîte à lettres pour vérifier si la BCE ne vous aurait pas envoyé un chèque. Draghi est un spécialiste de la petite phrase qui porte (vous souvenez-vous du « whatever it takes to save the Euro » ?) mais qui ne débouche sur pas grand-chose.

Pour l’instant, l’helicopter money stricto sensu reste donc dans les limbes de la politique monétaire européenne. L’Allemagne y est de toute manière strictement opposée. Remarquez, elle était aussi un farouche adversaire du QE européen, qui a malgré tout finit par voir le jour.

Légalité, faisabilité et surtout utilité d’une telle opération posent évidemment de gros problèmes – sur lesquels nous auront peut-être l’occasion de revenir. C’est la raison pour laquelle elle pourrait prendre une forme plus subtile qu’un simple chèque distribué par les banques centrales. Quant à moi, je vais continuer à traquer cet hélicoptère.

Pour plus d’informations et de conseils de ce genre, c’est ici et c’est gratuit

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Cécile Chevré est titulaire d'un DEA d'histoire de l'EPHE et d'un DESS d'ingénierie documentaire de l'INTD. Elle rédige chaque jour la Quotidienne de la Croissance, un éclairage lucide et concis sur tous les domaines de la finance. Elle est également rédactrice en chef de La Quotidienne Pro.

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