Si certains avaient encore un doute sur la nature de la crise qui touche la zone euro, la semaine qui vient de s’écouler leur a permis d’ouvrir les yeux : le gouffre qui s’ouvre sous nos pieds tient à une mésentente politique avant d’être imputable à une difficulté économique.
Le problème majeur de l’Espagne est en effet largement concentré dans le refus exprimé par l’Europe du Nord de venir au secours, sans contrepartie, d’un secteur bancaire espagnol vérolé par les mensonges et les prises de risques inconsidérées. Ses banques capitalistes mises à part, l’Espagne souffre d’un secteur bancaire mutualiste qui a massivement investi dans l’immobilier, sans disposer des gilets de sauvetage pour éviter la noyade en cas de retournement du marché. Ces gilets de sauvetage s’appellent les actionnaires et les fonds propres.
Maintenant, il faut gérer la déconfiture : les investissements immobiliers en Espagne ne valent plus rien. La bulle éclate. Et les banques se trouvent à la tête d’un patrimoine dont elles ne tirent plus un euro. Du coup, toute l’économie chancelle et anticipe, dans un climat de récession calamiteuse (1,7 % de recul du PIB en 2012, annonce le FMI), un effondrement global.
Dans ce contexte, les indicateurs économiques s’affolent. Le chômage atteint des records : plus de 50 % pour les jeunes, 25 % dans la population. C’est la société espagnole dans son ensemble qui est fragilisée et mise sous tension.
Pourtant, à l’issue du dernier sommet européen, des communiqués triomphalistes avaient annoncé qu’enfin le problème était jugulé. Toute la difficulté consiste aujourd’hui non pas à le faire réussir économiquement, mais politiquement.
D’un côté, le gouvernement espagnol doit accepter de passer sous les fourches caudines des pays du Nord. De l’autre, les pays du Nord doivent payer une nouvelle fois pour une solidarité qu’ils jugent contestable.
En réalité, le noeud gordien de la crise est enkysté dans le sujet de fond : quelle ambition politique pour l’Europe ? De ce point de vue, la crise espagnole résonne comme la mort par asphyxie d’un projet communautaire bâti sur la conviction- celle de l’Acte Unique de 1986 - que la création d’un marché unique engendrerait naturellement une unité politique. Non, l’Europe n’est pas une ambition économique. Non l’Europe n’est pas un projet de commerçants.
L’Europe est bien autre chose. Elle est une idée. Elle est un esprit. Et ce qui nous manque aujourd’hui, c’est son affirmation.