Monsieur le Premier ministre,
Je suis surpris par votre Président. Il vient de se plaindre en public de « l'équivalence ricardienne » et de l'effet d'éviction, sans me nommer directement et sans expliquer ces deux notions et les liens qui les unissent. Je suis surpris de le voir s'étonner ce 16 septembre : « Nous avons le taux d'épargne le plus élevé d'Europe, derrière l'Allemagne et, dans le même temps, les entreprises manquent de financements longs. »
Je suis encore plus surpris quand je vous entends lors du « vote de confiance » et vois les querelles entre députés au sein du Parti socialiste. Elles opposent, selon certains experts, Ricardiens à anti-Ricardiens. Je note qu'il faut lire « Ricardiens » et non « Rocardiens », même s'ils sont proches.
Parlons d'abord de cette « équivalence ricardienne ». Elle oppose les Ricardiens aux anti-Ricardiens. Les premiers veulent réduire la dépense publique. Ils indiquent que c'est le plus sûr moyen pour soutenir l'investissement puis l'emploi, par la croissance privée. Les autres, anti-Ricardiens, veulent plutôt réduire graduellement le déficit public. Ils indiquent que c'est, pour eux, le plus sûr moyen de soutenir la « demande globale » et d'éviter ainsi tout risque récessif. Ils critiquent les Ricardiens : « inféodés à Bruxelles », anti-sociaux, sinon « libéraux ». Il est possible que, dans leur bouche, ce ne soit pas un compliment.
Les Ricardiens français d'aujourd'hui, mes petit-petit-petits... fils spirituels, sont-ils du côté de « la rigueur », pire de « l'austérité » ? Je ne le pense pas et crois qu'ils ont raison de mettre en avant la baisse de la dépense publique. Ils ne sont selon moi ni de droite ni de gauche. Ils calculent à long terme et aussi rationnellement que possible les effets des décisions privées et publiques. Ils ne cèdent pas à « l'illusion nominale » et comptent en euros réels. Autrement dit, ils prennent en compte l'inflation actuelle et future puis actualisent en euros d'aujourd'hui les dépenses et les recettes de demain et d'après-demain. Avec ces calculs, ils se disent que les dettes publiques deviendront des impôts si la croissance privée ne repart pas suffisamment pour les payer. Ont-ils si tort ? Et si tel n'est pas le cas, il leur faut se préparer, en épargnant sur leurs revenus actuels. Ce calcul est-il fou ?
Les « anti-ricardiens » français incarnent-ils la seule voie équilibrée de réduction des déficits ? Je ne le pense pas. Je crois qu'ils ont tort de mettre en avant la réduction graduelle du déficit public et d'essayer de combiner « logique d'offre » et « logique de demande ». Ces deux logiques sont, aujourd'hui en France, plus contradictoires que complémentaires. Les anti-ricardiens mettent l'accent sur le gradualisme dans la réduction du déficit budgétaire. Il permettrait de ne pas trop affaiblir la croissance d'ensemble, sans trop inquiéter ménages et entreprises et tomber en récession. Ce déficit lentement amorti crée, toujours selon eux, de la croissance, certes moins. Surtout ce déficit soutient l'activité indépendamment de ce qu'il finance : retraites, fonctionnaires ou « investissements d'avenir ». Alors ils ne s'inquiètent pas et désépargnent.
Monsieur le Premier ministre, « l'équivalence ricardienne », c'est l'idée que le déficit public d'aujourd'hui fait l'impôt de demain si la croissance compétitive n'est pas l'axe central de la politique suivie. Bien sûr, il y a dans ce calcul des hypothèses fortes, notamment d'information et de rationalité. Mais les Français sont cartésiens !
Ensuite, passons à « l'effet d'éviction » dont s'alarme le Président Hollande, toujours sans le nommer. Or « l'équivalence ricardienne » est la mère de « l'effet d'éviction » ! « Nous avons le taux d'épargne le plus élevé d'Europe... et, dans le même temps, les entreprises manquent de financements longs » dit-il. Et oui ! Dépenser plus dans le public sans accroître la croissance à long terme dans le privé n'a d'autre effet que d'augmenter l'épargne qui va acheter des bons du trésor au détriment de l'investissement ! CQFD.
Monsieur le Premier ministre, n'aimant pas être à ce point incompris, au risque d'affaiblir un pays que j'aime, voici mes sentiments sur le combat que, j'espère, vous allez gagner.
David Ricardo
Article initialement publié sur le blog de Jean-Paul Betbèze et reproduit ici avec l'aimable autorisation de son auteur.